Quelle réglementation des nanomatériaux dans les biocides en Europe ?
Quelle réglementation des nanomatériaux dans les biocides en Europe ?
Par l'équipe Avicenn - Dernier ajout août 2021
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Les produits "biocides" sont des substances actives destinées à éliminer les organismes "nuisibles" pour la santé humaine ou animale (insectes, microbes, etc.). Ils recouvrent une très large gamme de produits, d'usage industriel mais aussi domestique : principalement des désinfectants ménagers et industriels, bactéricides, fongicides, insecticides et rodenticides utilisés aussi bien de manière curative (nettoyage) que préventive (peinture anti-salissure des bateaux, protection du bois d'oeuvre, bactéricide à l'intérieur des réfrigérateurs).
Les pesticides à usage agricole ainsi que les substances actives comprises dans les médicaments et cosmétiques ainsi que dans les denrées alimentaires, échappent au règlement Biocides, car ils sont censés être couverts par d'autres mesures européennes (qui ne se réfèrent pourtant pas nécessairement à leur caractère nanométrique).
En revanche, le règlement s'applique aux produits utilisés pour désinfecter les surfaces en contact avec les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (matériel, conteneurs, ustensiles de consommation, surfaces ou conduits utilisés pour la production, le transport, le stockage ou la consommation de denrées alimentaires ou d'aliments pour animaux - y compris l'eau potable).
Que prévoit le Réglement Biocides concernant les nanomatériaux ?
Le Règlement Biocides a été définitivement adopté par le Conseil de l'Union européenne le 10 mai 2012, pour remplacer la directive 98/8/CE.
Il est entré en vigueur au 1er septembre 2013 pour une première série de substances actives et en 2020 pour le reste. (Ses dispositions sont donc directement applicables car elles ne demandent pas transposition par les Etats membres, garantissant ainsi une mise en oeuvre plus harmonieuse au sein de l'UE).
Il instaure de nouvelles règles sur ces produits à l'échelle européenne afin de mieux "protéger la santé humaine et l'environnement, tout en simplifiant le processus d'approbation pour la commercialisation des produits"1.
L'article 69 demande à ce que l'étiquette indique non seulement la présence de nanomatériaux dans le produit, avec le terme "nano" entre parenthèses, mais aussi "les risques spécifiques éventuels qui y sont liés" ; cette disposition constitue une première, les obligations d'étiquetage prévues par d'autres textes européens étant jusqu'ici limitées à la seule mention du terme "nano" ; reste à voir si et comment elle est mise en pratique.
Les risques des nanomatériaux n'ayant pas encore fait l'objet d'une évaluation appropriée, les biocides contenant des nanomatériaux nécessitent une autorisation spécifique.
La définition des nanomatériaux retenue dans le Règlement biocides est celle recommandée par la Commission en octobre 2011, avec un seuil à 50% de particules en nombre inférieures à 100 nm2.
A noter, un problème de taille : l'obligation d'étiquetage ne concerne que les produits biocides pour lesquels des priorités biocides sont revendiquées. Ce qui signifie que des nanoparticules biocides peuvent être utilisées sans faire l'objet d'une autorisation de mise sur le marché ni d'une mention (nano) sur l'étiquette, dès lors qu'elles ne sont pas revendiquées par le fabricant du produit ?
seules deux substances actives biocides qui sont des nanomatériaux ont été approuvées :
le dioxyde de silicium pyrogène, synthétique amorphe, nano, traité en surface
et le dioxyde de silicium synthétique amorphe (nano).
un seul produit a été autorisé dans 11 États membres : le Synthetic amorphous silicon dioxide (nano) (pour ce produit, il a été conclu qu’aucune exposition aux particules primaires à l’échelle nanométrique n’est attendue pendant son utilisation).
Deux autres substances actives qui sont des nanomatériaux sont incluses dans le programme d’examen (en 2020, la demande d’autorisation de l’une d’entre elles a été rejetée, car le demandeur n’avait pas payé les redevances). Lesquels ?
L'application de ce règlement soulève de nombreux défis - tant pour les pouvoirs publics que pour les entreprises concernées - listés par Steffen Foss Hansen et Anna Brinch dans :
un article paru en 2014 dans la revue Chemical Watch3 : à cette date, soit plus de 6 mois après l'entrée en vigueur du Réglement, aucun des 200 produits contenant du nanoargent répertoriés dans leur Nanodatabase danoise n'était étiqueté (nano)...
un autre article paru début 2016 dans la revue Nanomaterials4
Fin 2016 la DGCCRF a indiqué5 que le nano dioxyde de silice amorphe synthétique était la seule substance nano à avoir été approuvée (en 2014), à compter du 1er novembre 20156.
Des contrôles ont été lancés en mars 2019 ; leurs résultats ont été publiés fin 20207 ; l'argent sous forme nano ("silver, nano form") est mentionné deux fois :
d’abord dans le cadre des "substances actives autorisées trouvées dans les articles inspectés" (tableau 12, page 44),
ensuite dans le cadre des "substances actives non autorisées trouvées dans les articles inspectés" (tableau 14, page 47).
Envoyez-nous vos photos d'étiquettes portant la mention (nano)
Envoyez vos clichés des premières étiquettes portant la mention (nano) à redaction(at)veillenanos.fr en précisant les références du produit, la date et le lieu de vente.
Certains industriels se servent de l'argument "sans nanoargent" comme d'un argument commercial.
C'est notamment le cas de :
l'entreprise Fisher and Paykelt8 qui a choisi de se distinguer de son concurrent Samsung en transformant en argument de vente son refus d'intégrer des nanoparticules d'argent dans ses machines à laver ; idem pour l'entreprise Man & Machine qui fait la promotion de ses claviers et souris sans nanoargent9. Aujourd'hui, de nombreux appareils électroménagers (machines à laver, réfrigérateurs notamment) et électroniques (claviers de téléphones portables, ordinateurs, souris, etc.) sont en effet recouverts de revêtements au nanoargent. Dans les deux cas, les entreprises ont fait le pari que leur souci affiché pour la santé humaine et l'environnement sera payant.
Les microbes sont aussi nos meilleurs alliés, Conférence de Marc-André Selosse, biologiste spécialiste en botanique et mycologie, professeur au Muséum national d'histoire naturelle, octobre 2020
Archives : Comment ces mesures ont-elles été accueillies en 2012 ?
- Satisfaction des Verts et des ONG environnementales
Le groupe "Les Verts / Alliance Libre européenne" (ALE) qui a joué un rôle moteur dans la préparation de ce texte, et notamment dans les dispositions spécifiques relatives aux nanomatériaux, s'est félicité de l'adoption définitive de ce texte. Michèle RIVASI, députée européenne du Groupe des Verts/ALE, souligne ainsi que "ces minuscules particules se retrouvent de plus en plus dans les biocides, et au vu de l'incertitude qui règne à ce sujet, il est plus prudent de mettre en place des contrôles spécifiques pour les produits qui contiennent des nanoparticules"11.
Si l'ensemble du texte a suscité des réserves auprès de plusieurs ONG environnementales, notamment Pesticide Action Network (Germany, Europe, UK), Health & Environment Alliance (HEA), et Women in Europe for a Common Future (WECF), ses dispositions spécifiques concernant les nanomatériaux ont été saluées, par ces mêmes associations, comme "une avancée majeure par rapport aux autres textes juridiques" : en effet les nouvelles propriétés des nanomatériaux et les risques qui y sont potentiellement associés sont pris ici en considération12.
Selon Elisabeth Ruffinengo du WECF, "une majorité de gens ne sont pas conscients de la présence de substances biocides dans les produits qu'ils utilisent au quotidien: alors que la population est consciente des risques liés à l'utilisation des pesticides, elle manque d'informations factuelles sur les biocides et son exposition à ces substances. Pourtant, les problèmes de santé émergents comme la résistance aux antimicrobiens peuvent être liés à une utilisation croissante de produits contenant des biocides"12.
En mars 2010, l'AFSSET, devenue depuis ANSES, avait recommandé de restreindre voire interdire certains usages du nanoargent, jugés peu essentiels (par exemple dans les chaussettes pour empêcher la formation des mauvaises odeurs), afin de ne pas prendre de risques inutiles liés aux possibles effets toxiques13.
En septembre 2010, lors du vote en 1ère lecture au Parlement européen, Louise Duprez du Bureau Européen de l'Environnement avait également insisté sur la toxicité du nanoargent, plus importante que celle de l'argent sous forme non nanométrique, et sur les conséquences néfastes du nanoargent sur l'environnement, même à faible concentration14.
Georgia Miller, des Amis de la Terre regrette cependant que les députés n'aient pas saisi cette opportunité pour exiger des études d'impacts du nanoargent en terme de santé publique, plus globales que la seule évaluation de la toxicité des produits au cas par cas15. Dans un autre texte voté l'année dernière, le Parlement européen a "invité" la Commission à réaliser une étude, d'ici le 30 septembre 2013, relative à des substances dangereuses pour évaluer s'il existe un lien de causalité entre les réactions allergiques et les substances chimiques (et notamment les nanoparticules) utilisées dans les produits textiles. Mais ce texte n'a pas de valeur contraignante.
Ce site est édité par l'association AVICENN qui promeut davantage de transparence & de vigilance sur les nanos.
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