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Vigilance autour des déchets contenant des nanomatériaux : des propositions concrètes plutôt qu'une controverse stérile !
Vigilance autour des déchets contenant des nanomatériaux : des propositions concrètes plutôt qu'une controverse stérile !
Une accusation de manipulation peu étayée jette le trouble sur un récent rapport de l'OCDE qui pointe les risques liés à la présence croissante de nanomatériaux dans les déchets.
A l'opposé du déni émanant de scientifiques "nanorisk-sceptiques", un collectif d'ONG européennes veut renforcer le message de vigilance adressé par l'OCDE et proposer des mesures pour une approche constructive, concrète et collective de la question.
Par MD - Article mis en ligne le 17 mars 2016 (mis à jour le 13 avril 2016)
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Les nanomatériaux dans les flux de déchets ont fait l'objet d'un récent rapport de l'OCDE ("Nanomaterials in waste streams"), dont nous avions relayé la publication en février dernier à la "une" de veillenanos.fr et sur nos réseaux sociaux.
Le rapport propose un état des connaissances sur les impacts du recyclage, de la mise en décharge, de l'incinération de ces déchets ainsi que de l'épandage agricole des boues des stations d'épuration en contenant.
Il présente les données de façon factuelle, en pointant les nombreuses incertitudes qui demeurent et met en évidence les effets négatifs potentiels des nanomatériaux relargués par certains processus de traitement des déchets : des nanomatériaux peuvent passer à travers des installations de traitement des déchets, voire contaminer l'environnement via les déchets résiduels, tels que les boues d'épuration ou les résidus provenant des usines d'incinération des déchets (en particulier, les cendres et mâchefers).
Bien qu'il ne tire pas de conclusions sur les risques et les impacts des nanomatériaux relâchés dans l'environnement, faute de données suffisantes, il appelle néanmoins à davantage de recherches sur les risques liés à la présence croissante de nanomatériaux dans les déchets.
Que les associations et agences sanitaires mettent en garde sur les risques nano n'est pas étonnant, elles le font depuis une dizaine d'années maintenant1. Mais "si même l'OCDE le dit, c'est que c'est vrai !" a-t-on pu entendre à l'occasion de la sortie de ce dernier rapport.
Or voilà que la polémique apparaît... où on ne l'attendait pas : "L'OCDE a peut-être cédé à la pression des industriels du traitement des déchets, désireux d'augmenter leurs tarifs" : c'est du moins la thèse assez déconcertante avancée par la journaliste Hélène Crié dans un article de Sciences & Avenir le 4 mars dernier.
Sollicité par Avicenn, l'auteur de l'un des chapitres du rapport, le chercheur Jean-Yves Bottero du CEREGE2 considère cette controverse comme "totalement artificielle" : il a insisté sur le fait qu'il a écrit son chapitre"seul et en fonction de (son) activité de recherche dans le domaine des nanotechnologies" permise par des financements de l'ANR, l'Europe, l'ANSES et aussi des Etats-Unis via un groupement de recherche associé à CEINT. Il n'a pas été contacté par les entreprises gérant les déchets lorsqu'il a rédigé ce chapitre.
Contacté par email, Peter Börkey, à la direction de l'Environnement de l'OCDE, a réfuté lui aussi une telle accusation : "pour l'élaboration de son rapport, l'OCDE a utilisé un processus ouvert et transparent qui a permis à toutes les parties prenantes, des pays membres de l'OCDE en passant par le secteur privé et les ONG, en particulier les délégués et les experts du Groupe de travail de l'OCDE sur les nanomatériaux manufacturés et du Groupe de travail sur la productivité des ressources et les déchets, d'apporter leur contribution".
Au-delà de l'OCDE, ce sont les filières de traitement des déchets qui sont mises en accusation
Non seulement l'article, dès son titre, fait peser le soupçon de "manipulation" de l'OCDE par les filières de traitement des déchets, mais il va même bien plus loin, jusqu'à accuser ces dernières de ce qui s'apparente même à une vraie "machination". Selon les propos (présumés) rapportés d'un toxicologue3, "les traiteurs de déchets [feraient] le choix tactique de maximiser les quantités relâchées dans l'environnement, donc le danger potentiel pour leurs sites et leurs travailleurs, afin de pouvoir facturer plus cher leurs prestations de service" !
Cette deuxième accusation est plus lourde encore que la première. Or la journaliste la relaie, sans que l'article ne donne plus d'éléments permettant d'apprécier la réalité de telles pratiques.
Avicenn a sollicité divers représentants des industries du traitement des déchets (la FP2E en France et AquaFed au niveau international) dont nous attendons toujours les réponses à ce jour.
Selon le chercheur Jean-Yves Bottero cité plus haut, les entreprises qui traitent les eaux usées se penchent seulement depuis peu sur les questions entourant les impacts sanitaires et environnementaux des nanomatériaux manufacturés : jusqu'à présent, elles se concentraient davantage sur les apport des nanotechnologies pour améliorer l'efficacité des stations d'épuration pour traiter les polluants majeurs.
Avicenn espère pouvoir avoir prochainement plus d'éléments sur cette question : nous avons en effet lancé une consultation en ligne "nano et eau" auprès des acteurs mobilisés autour de l'eau, accessible jusqu'au 28 mars 2016, que nous vous invitons à remplir et diffuser dans vos réseaux.
Qui manipule qui ?
Les personnes avec qui nous avons pu échanger à ce sujet sont unanimes pour considérer qu'il s'agit d'un faux semblant de controverse. "Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage" commente-t-on, au sein même de la communauté scientifique.
Ce n'est pas parce que l'on pourrait constater que les médecins ont un retour financier lorsqu'il y a plus de cancers du poumon qu'il viendrait à l'idée d'accuser les médecins de manipuler les autorités sanitaires lorsqu'elles mettent en garde contre les méfaits du tabac ! Une telle façon de présenter les choses, ou plutôt de (dis)tordre la réalité, est non seulement assez fallacieuse mais également peu robuste. Poussons la logique jusqu'à son terme : quand bien même les industriels des déchets auraient un intérêt financier à facturer leurs services plus cher pour compenser les coûts supplémentaires de la pollution nano, ils n'auraient pas intérêt à alerter de façon trop "alarmiste" sur les risques car ils prendraient alors le risque de tuer cette (présumée) poule aux oeufs d'or !
Au final, à qui profite l'affaire ? Au final, ce genre de polémique sert ceux qui veulent minimiser les risques, en créant de la confusion. L'accusation relayée par la journaliste émane d'un toxicologue3 réputé pour son caractère trempé et volontiers provocateur. Représentant des Pays-Bas à l'OCDE, il est également coordinateur du programme de recherche européen (NanoReg), un programme qui vise à proposer une approche européenne commune aux tests réglementaires des nanomatériaux. Les Amis de la Terre Australie y voient de leur côté un tapis rouge déroulé aux fabricants et utilisateurs de nanomatériaux pour écrire les règles à leur convenance et donc minimiser l'encadrement réglementaire des nanomatériaux4...
David Azoulay, directeur du programme Santé et Environnement de l'ONG Center for International Environmental Law (CIEL), considère que le poids économique des industriels fabricants de nano est bien plus important au sein de l'OCDE que le poids des industriels du traitement des déchets. Il rappelle ainsi que malgré dix ans de travaux et de rapports techniques les lignes directrices de l'OCDE (utilisées pour les essais toxicologiques des substances chimiques) ne sont pas encore complètement adaptées à l'étude des nanomatériaux5 ! Elles font l'objet de négociations au sein du Groupe de Travail sur les Nanomatériaux Manufacturés (WPMN), lequel est sans doute bien plus soumis à la pression des fabricants nano que le Groupe de travail sur la productivité des ressources et les déchets (GTPRD) ne l'est à celle des industries du traitement des déchets...
L'article fustige un rapport "alarmiste". En guise de "cris d'alarme", on y lit plutôt des constats factuels sur lesquels les auteurs nous alertent, posément, en jouant le rôle qui est le leur.
C'est une chose de juger alarmante la réalité décrite (à savoir, la commercialisation croissante de nanomatériaux malgré un déficit patent de connaissances sur les risques qu'ils peuvent entraîner sur les écosystèmes). C'en est une autre de disqualifier un rapport en l'étiquetant, à tort, d'"alarmiste".
M. Bottero rappelle ainsi que "la réutilisation des boues en agriculture est très peu étudiée par rapport à l'apport direct de nanomatériaux manufacturés en agriculture comme fertilisants, pesticides, etc" : un constat qu'Avicenn a pu dresser de son côté et partage pleinement6.
Ce faux procès se fait parallèlement l'écho de contre-vérités sidérantes... surtout lorsqu'elles sont présentées comme émanant de la bouche de scientifiques comme Claus Svendsen, le responsable de projets européens sur les nanos et l'environnement, notamment NanoFATE (qui évalue leur impact) et [[http://nanofase.eu/ NanoFASE]] (qui travaille sur les protocoles) : "On n'a trouvé aucune évidence du fait que les nanomatériaux présentent plus de risques que les matériaux dont ils sont faits" peut-on ainsi lire dans l'article. Voilà une aberration qui balaie d'un revers de main d'innombrables articles académiques parus dans des revues scientifiques à comité de lecture ! Plutôt inquiétant quand on sait que ces projets européens sont censés apporter des éléments aux instances européennes et nationales de gestion des risques. Après les scientifiques "climato-sceptiques", est-on en train d'assister au coming-out de scientifiques "nanorisk sceptiques" ?
Des propositions concrètes pour avancer
Plutôt que de jeter le discrédit sur des travaux sérieux et nécessaires à la mise en oeuvre d'une vigilance collective, il faut aujourd'hui se donner les moyens de cerner et prévenir les risques encourus.
Trois ONG européennes, ECOS, CIEL (membres associés d'Avicenn) et Öko-Institute ont proposé une "Déclaration sur les déchets contenant des nanomatériaux" rendue publique le 13 avril 2016 et signée par plus de 80 organismes de toute la planète, dont en France :
Nanomaterials in Waste Streams, OCDE, Février 2016 ; le rapport est en anglais, mais ses chapitres ont été traduits et publiés en français isolément en novembre 2015 :
Par MD - DL et l'équipe Avicenn - Dernière modification avril 2018 - Mises à jour nécessaires
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L'Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques (INERIS) a pour mission de contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur :
la santé,
la sécurité des personnes et des biens,
l'environnement.
L'INERIS a mis en place une "task force nanos" chargée d'animer la thématique et de regrouper les compétences en caractérisation des dangers (éco-) toxicologiques et physico-chimiques, métrologie, sécurité des procédés, évaluation des expositions, analyse des risques chroniques et accidentels.
Fin 2013, l'INERIS comptait une quarantaine de personnes travaillant sur les nanos.
2018 : Publication d'un bulletin bimestriel de veille "nanomatériaux"
L'INERIS s'est dotée, sur le site de l'Institut à Verneuil-en-Halatte (Oise) en Picardie, d'une plate-forme nano-sécurisée S-Nano1 pour renforcer l'expertise et la recherche sur les risques liés aux nanotechnologies.
Cette infrastructure de 300 m2 est composée de quatre laboratoires et de locaux à empoussièrement de nanoparticules contrôlé.
Cette plateforme est dédiée à la métrologie et à la caractérisation des potentiels de danger des nanomatériaux dans le cadre de la sécurité industrielle. Elle doit permettre, entre autres, d'étudier :
Participation à des programmes nationaux, européens et internationaux
En France :
L'INERIS participe au dispositif de surveillance EpiNano pour ce qui concerne l'évaluation des expositions aux nanomatériaux et la métrologie des aérosols aux postes de travail
L'INERIS participe au programme européen NANoREG et coordonne désormais le programme NanoREG II qui réunit 38 partenaires et vise à développer et implémenter des outils à finalité réglementaire, des outils d'aide à la catégorisation des dangers des substances et des outils d'aide à la conception de produits plus sûrs dans une approche substance (dangers intrinsèques), production (sécurité industrielle) et usage (maitrise du cycle de vie).
L'INERIS est également partenaire du projet européen NANOFASE coordonné par NERC (Natural Environment Research Council) et qui vise à comprendre et maitriser le comportement des nanomatériaux dans l'environnement, en proposant une approche intégrée de maitrise des risques.http://nanofase.eu/
L'INERIS pilote le développement de nouveaux protocoles pour l'inflammation et l'explosivité des nanomatériaux dans le cadre du CEN/TC 352, comité technique européen dédié aux nanotechnologies
Au niveau international :
L'INERIS fait aussi partie du groupe d'experts de l'OCDE en charge de stabiliser des documents de référence sur la problématique des nanomatériaux et de définir les outils, moyens d'essais et modes opératoires devant être mis en œuvre pour leur gestion (stockage, valorisation, recyclage).
Des missions d'appui, d'expertise, de formation et de certification
L'INERIS réalise également des missions d'appui (technique, réglementaire), d'expertise (publique ou privée), de formation et de certification.
Guide méthodologique pour l'évaluation de l'exposition professionnelle associée à la mise en œuvre de nanomatériaux
En décembre 2011, il a publié un guide méthodologique pour l'évaluation de l'exposition professionnelle associée à la mise en œuvre de nanomatériaux2 avec ses partenaires (CEA et INRS) : les potentiels d'émission et d'exposition professionnelle aux aérosols lors d'opérations mettant en œuvre des nanomatériaux sont en effet considérés par l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA) comme l'un des principaux risques émergents sur les lieux de travail.
Le Guide propose des recommandations sur les critères de mesure à prendre en compte pour caractériser l'aérosol et le différencier de l'aérosol ambiant (taille des particules, concentration, morphologie, composition chimique, fraction présente dans les voies respiratoires).
Cinq phases sont déclinées :
- les trois premières déterminent si le procédé génère des nanoparticules et confirment la nécessité d'une campagne de mesure
- La quatrième est la campagne de mesure (avec deux niveaux d'approche)
- la dernière consiste à analyser les résultats.
Sa mise en application et un travail d'harmonisation sont en cours au plan européen (évaluation de 6 postes de travail conduite dans la cadre d'un projet européen, création d'un groupe de travail dédié au sein du Comité Européen de Normalisation).
Certifications volontaires : Nano-CERT et Nano-CERT MTD
Pour accompagner les recommandations du Guide et renforcer la sécurité au poste de travail par la formation qualifiante des intervenants (opérateurs, préventeurs sécurité, formateurs et personnels de secours), l'INERIS a été à l'initiative d'une démarche de certification volontaire appelée Nano-CERT3.
Le référentiel a été adopté par un comité de certification constitué du CEA, du CNRS, d'industriels, de représentants des ONG et d'organismes de formation.
Une autre certification volontaire a également été engagée en 2012 sur les meilleures techniques disponibles (MTD) pour la prévention collective des opérateurs4.
Une aide financière pour les PME et ETI qui souhaitent maîtriser les risques liés aux nanomatériaux
Les PME et les ETI qui font appel à l'INERIS bénéficient d'un cofinancement respectif de 50% et de 25% du coût des prestations
relatives aux nanos via le dispositif d'aide financière GERINA (GEstion des RIsques NAnomatériaux) mis en place par BPIFrance et soutenu par la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité Industrielle et des Services).
Le MPS® instrument de caractérisation des nano et microparticules dans l'air ambiant
Le 30 juin 2014, l'INERIS et ECOMESURE ont annoncé5 le développement d'un instrument de caractérisation des nano et microparticules dans l'air ambiant. Ce dispositif de prélèvement, le MPS® (Mini Particle Sampler) est utilisable pour effectuer des prélèvements dans les ambiances de travail, dans le cadre du contrôle des émissions industrielles, pour la gestion de la pollution de l'air intérieur et de la pollution atmosphérique6.
Reste à savoir comment lire les prélèvements, ce qui nécessite une microscopie électronique à transmission (MET).
En 2013, le coût était estimé à 5000 € pour le préleveur et 10 000 € pour le compteur.
Un autre défi reste encore à relever : celui de l'interprétation des résultats, qui nécessite une expertise pointue.
Les résultats du projet NanoFlueGas sur les émissions des déchets nano-structurés dans les procédés d'incinération
L'INERIS, les Mines de Nantes et Trédi, filiale du groupe Séché Environnement ont conduit, avec le soutien de l'Ademe, le projet NanoFlueGas, qui constitue l'un des premiers projets sur la sécurité des nanomatériaux en fin de vie, notamment dans le cadre de la filière incinérative.
Ces travaux exploratoires montrent, d'une part, que la nanostructure de certains déchets peut être transférée dans les émissions brutes en sortie de four qui sont générées par le processus de combustion. D'autre part, les premiers résultats indiquent que les systèmes d'épuration de type filtre à manche font preuve d'une bonne efficacité pour traiter ces émissions contenant des nanos7.
Les résultats d'une étude sur l'émissivité de particules par un nanorevêtement de dioxyde de titane (BTP)
Une étude de l'INERIS et de l'université de Compiègne publiée début 2015 a montré qu'un nanorevêtement de dioxyde de titane existant dans le commerce, une fois appliqué sur une façade de bâtiment, peut se détériorer sous l'effet du soleil et de la pluie ; ce faisant, il entraîne le relargage de particules de titane dans l'air en quelques mois - et qui plus est, sous forme de particules libres (plus dangereuses que lorsqu'elles sont agglomérées entre elles ou avec des résidus d'autres matériaux)8, il convient donc dans ces conditions de minimiser le recours aux nanorevêtements.
Source : Emission of titanium dioxide nanoparticles from building materials to the environment by wear and weather, Shandilya, N et al., Environmental Science & Technology, 49(4): 2163-2170, 2015
D'autres études sont en cours dans le cadre du projet Nano-Data12. Lire aussi SUR NOTRE SITE :
Error Action Include : Reading of the included page NanoDechets not allowed.
Quel relargage des nanomatériaux manufacturés dans l'environnement ?
Quel relargage des nanomatériaux manufacturés dans l'environnement ?
Par l'équipe Avicenn - Dernier ajout octobre 2019
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Peu de données existent sur le relargage des nanomatériaux manufacturés
Par "relargage" des nanomatériaux, on désigne le phénomène par lequel des nanomatériaux - ou des résidus de dégradation des nanomatériaux - sont émis dans l'environnement. Le terme "émissivité" est parfois également utilisé.
On peut distinguer le relargage :
des nanoparticules naturelles que l'on trouve par exemple dans les poussières d'érosion ou d'éruption volcanique ou encore dans les embruns marins ;
des nanoparticules dites "incidentelles" car produites "involontairement" par les activités humaines, émanant des fumées (de combustion du bois, industrielles, émanant des moteurs diesel, des incinérateurs, des grille-pains ou des fours) ou de l'abrasion de matériaux bruts non nanométriques ;
des nanomatériaux manufacturés produits à dessein à l'échelle nanométrique par les chercheurs et les industriels pour exploiter leurs propriétés inédites.
On a aujourd'hui une connaissance très limitée des quantités et types de nanomatériaux manufacturés - ou résidus de ces nanomatériaux - qui sont relargués dans l'environnement ; les instruments et méthodes pour détecter et mesurer les nanomatériaux sont en cours de mise au point. Or ces données sont importantes pour mieux connaître l'exposition aux nanomatériaux des écosystèmes et des populations (notamment des travailleurs), afin de mieux les protéger des risques associés.
En 2013, des chercheurs ont estimé qu'entre 63 et 91% des quelques 300 000 tonnes de nanomatériaux manufacturés produits dans le monde en 2010 ont fini dans des décharges, le reste étant relargué :
Mais ces chiffres sont très en deçà de la réalité : en France seulement, c'est environ 500 000 tonnes qui sont en effet importées et produites chaque année ! C'est ce qu'a permis de mettre en évidence la déclaration obligatoire dans le registre r-nano depuis 2013.
A noter, cette mise au point par Olivier Boucher, directeur de recherche au laboratoire CNRS de météorologie dynamique, concernant les allégations véhiculées sur les réseaux sociaux au sujet des nanoparticules qui seraient relarguées par les avions ("chemtrails") : "Les avions diffusent-ils des produits chimiques à notre insu ?", France Culture, 28 juillet 2018.
En septembre 2019, on apprenait toutefois par Emirats Agence de Presse, que le Centre national de météorologie (CNM) des Emirats arabes unis avait lancé une campagne de tests d'ensemencement de nuages avec des nanoparticules de dioxyde de titane appliquées sur les cristaux de sel. L'objectif est de mieux contrôler la pluviosité. Quid du transport et des effets de ces nanoparticules ensuite dans les eaux et les sols ? Le communiqué ne le dit pas...
Un phénomène complexe, tout au long du "cycle de vie"
Le relargage des nanomatériaux manufacturés peut intervenir tout au long du "cycle de vie" des produits, sans que l'on sache aujourd'hui sous quelle forme, en quelles quantités, et avec quels effets il s'opère précisément.
A chacune des étapes de ce cycle de vie, de nombreux paramètres entrent en ligne de compte. Le relargage sera en effet différent selon :
- la façon dont les nanomatériaux se présentent : sous forme de poudre, en solution, déposés sur une surface ou intégrés dans une matrice, etc.
- les conditions de production / d'utilisation / de gestion des déchets
- le "medium" qui les environne : air, eau, sol
- etc.
Quels relargages lors de la production / de la transformation / du transport des nanomatériaux ?
dans les mines où est effectuée l'extraction des matériaux à partir desquels certains nanomatériaux sont fabriqués (par exemple le titane pour les nanoparticules de dioxyde de titane) ?
sur les lieux de travail où ils sont synthétisés / manipulés / transformés ?
dans les effluents industriels ?
sur les voies de transport (maritimes, routières ou ferroviaires) des matériaux en cas d'accident ?
En France, les entreprises et laboratoires ont certes obligation, depuis 2013, de déclarer les quantités et les usages de nanomatériaux qu'ils produisent, distribuent ou importent. Les informations collectées dans le cadre de cette déclaration permettront-elles de mieux estimer et localiser les volumes de nanomatériaux relargués dans l'environnement ? Pas autant qu'on aurait pu l'espérer, selon certains acteurs qui regrettent la faiblesse des amendes fixées en cas de non-respect de l'obligation légale et les considérations de confidentialité et de secret commercial ou industriel prévues par le texte et qui en limitent la portée. Sans compter que la loi ne prévoit aujourd'hui aucune disposition spécifique sur le confinement et la sécurisation des lieux où des nanomatériaux manufacturés sont présents ni sur le traitement des effluents industriels contenant potentiellement des nanomatériaux.
Quels relargages lors de l'utilisation des produits auxquels ils ont été associés ?
Le relargage de nanomatériaux ou de résidus de nanomatériaux peut intervenir lors de l'utilisation directe des produits qui en contiennent ou sous l'effet de l'usure, l'abrasion ou de leur dégradation, par exemple :
dans l'air :
lors de la vaporisation de sprays de crèmes solaires ou de peintures
lors de l'altération par collision, perçage ou abrasion de pare-chocs, murs ou revêtements de surface2
dans l'eau :
lors de la baignade pour des personnes ayant appliqué de la crème solaire3,
sous l'effet du ruissellement des eaux de pluie sur les ciments et peintures extérieures recouverts de nanorevêtements5
dans les sols :
en agriculture, lors de l'épandage de pesticides ou d'engrais6 contenant des nanomatériaux,
lors de dépollution des sols in-situ par injection de nanomatériaux.
Selon les connaissances actuelles sur le relargage, on présume que le relargage sera plus important, par ordre décroissant, pour les sprays, les pneus, les crèmes solaires, les textiles, les peintures d'extérieur et les ciments (dont la part pourrait néanmoins considérablement augmenter dans un futur proche7), et dans une moindre mesure pour les revêtements plastiques ou métalliques d'appareils électroménagers, ou pour les vitres auxquels les nanomatériaux sont plus solidement "fixés".
Le chlore des piscines peut dégrader le revêtement d'hydroxyde d'aluminium qui entoure les nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) intégrées dans certaines crèmes solaires. Au contact de l'eau et sous l'effet de la lumière, le coeur du nanomatériau, le nanoTiO2 peut alors libérer des radicaux libres, responsables du vieillissement de la peau et de l'apparition de cancers8.
Depuis fin 2013, plusieurs recherches ont montré que des nanotubes de carbone bien que contenus dans une matrice peuvent être relargués dans l'environnement sous l'effet du soleil et d'une humidité modérée ou de l'abrasion9.
Quels relargages en "fin de vie" des produits ?
lors de la combustion (incendie ou incinération) : De premiers résultats ont montré que des nanoparticules d'oxydes de cérium peuvent se retrouver intactes à la surface des résidus de la combustion et donc être transférées telles quelles dans les sites d'enfouissement ou les matières premières récupérées10. Des travaux plus récents ont montré que la nanostructure de certains déchets peut être transférée dans les émissions brutes en sortie de four qui sont générées par le processus de combustion (les systèmes d'épuration de type filtre à manche semblent néanmoins faire preuve d'une bonne efficacité pour traiter ces émissions contenant des nanos)11 ; d'autres études montrent cependant que les comportements des nanodéchets lors de l’incinération sont différents selon leur composition et qu'il peut y avoir persistance de certaines nanoparticules en sortie de four d’incinération, à travers les effluents et les cendres. Les valeurs limites d’émission de particules pour les incinérateurs de déchets sont aujourd’hui exprimées en concentration totale massique, en microgramme par mètre cube d’air, ce qui n’est pas pertinent pour des nanoparticules qui ont une masse négligeable et pourtant une toxicité soupçonnée comme accrue ; les normes devraient imposer une concentration limite en nombre de particules, ou alors en masse mais pour des tailles de particules données12.
lors de la mise en décharge : il est fort probable qu'il y ait infiltration de nanomatériaux solides dans les liquides qui s'échappent des déchets des décharges (les lixiviats)13
Ces questions demandent à être creusées, car les travaux publiés sur le relargage des nanomatériaux dans l'environnement sont encore parcellaires. En outre beaucoup d'études ont été réalisées dans des conditions souvent très éloignées de celles rencontrées dans la réalité et sur des nanomatériaux différents de ceux qui sont réellement incorporés dans les produits actuellement sur le marché. Des recherches sont en cours pour en savoir plus.
Les travaux de recherche sur le relargage des nanomatériaux
Rares sont les travaux qui portent spécifiquement et quasi-exclusivement sur le relargage des nanomatériaux dans l'environnement. En 2012, nous avions commencé à repérer les projets existants (contribuez à compléter cette liste, en nous signalant les projets à l'adresse redaction(at)veillenanos.fr) :
Le projet NANOTOX'IN: Évaluation des risques induits par l'incinération de nanocomposites à matrices polymères émergents : lors de processus d’incinération, ces nouveaux produits plastiques à base de nanoparticules relarguent-ils des nanoparticules ? Avec quels risques pour la santé publique ? Un projet financé par l'ADEME, réalisé par l'Armines (école des Mines de Saint-Etienne et école des mines d'Alès) et le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) en 2016 et 2017
objet : déterminer l'impact environnemental des résidus de dégradation des nanomatériaux commercialisés : devenir, biotransformation et toxicité vis-à-vis d'organismes cibles dun milieu aquatique
Il y a plusieurs années, le CEA a commencé des travaux sur la dispersion dans l'air des nanoparticules relarguées durant l'abrasion des nanomatériaux : nanotextiles en PET et PVC, ou peintures et polymères dans le cadre du projet européen NanoHouse mentionné plus bas.
Les travaux réalisés dans le cadre du Labex Serenade devraient également permettre d'apporter des éléments puisque le but est de parvenir à une éco-conception des nano-produits, qui ne relarguent donc pas de nanomatériaux toxiques dans l'environnement.
objet : analyse du cycle de vie des nanomatériaux pour la construction, en particulier sur lexposition chronique pour les nanoparticules d'argent et de dioxyde de titane contenues dans les peintures et revêtements utilisés en intérieur et à l'extérieur des habitations
financement : 2,4 millions d'€ en provenance de la Commission européenne, sur un budget global de 3,1 millions d'€
NEPHH (Nanomaterials-related Environmental Pollution and Health Hazards throughout their life-cycle)
objet : l'évaluation des risques sanitaires majeurs associés aux nanotechnologies et résultant de la production, de l'utilisation et de la dégradation des nanocomposites polymères à base de silicium.
financement : 2,4 millions d'€ en provenance de la Commission européenne
le consortium américain "Center for Environmental Implications of Nanotechnology" (CEINT) dirigé par Marc Wiesner étudie notamment les fuites des nanomatériaux, l'efficacité des traitements des effluents, l'altération des produits, le stockage en fin de vie.
Au sein de l'OCDE, le Groupe de travail sur la productivité des ressources et les déchets (GTPRD) s'est penché sur le devenir et les impacts des nanomatériaux contenus dans les produits et libérés lors du traitement de ces produits en fin de vie. Trois rapports sur l'incinération, le recylage et la mise en décharge des déchets contenant des nanomatériaux ont été soumis aux délégués des pays membres de l'OCDE fin 2013, avant d'être publiés en novembre 2015 :
2 - Une étude de l'INERIS et de l'université de Compiègne publiée début 2015 a montré qu'un nanorevêtement de dioxyde de titane existant dans le commerce, une fois appliqué sur une façade de bâtiment, peut se détériorer sous l'effet du soleil et de la pluie ; ce faisant, il entraîne le relargage de particules de titane dans l'air en quelques mois - et qui plus est, sous forme de particules libres (plus dangereuses que lorsqu'elles sont agglomérées entre elles ou avec des résidus d'autres matériaux). Cf. Emission of titanium dioxide nanoparticles from building materials to the environment by wear and weather, Shandilya, N et al., Environmental Science & Technology, 49(4): 2163-2170, 2015 ; un résumé vulgarisé est accessible gratuitement ici : Nanocoating on buildings releases potentially toxic particles to the air, "Science for Environment Policy", Commission européenne, 28 mai 2015
3 - Des chercheurs espagnols ont ainsi estimé que l'activité touristique sur une plage de Méditerranée durant une journée d'été peut relarguer de l'ordre de 4 kg de nanoparticules de dioxyde de titane dans l'eau, et aboutir à une augmentation de 270 nM/jour de la concentration en peroxyde d'hydrogène (une molécule au potentiel toxique, notamment pour le phytoplancton qui constitue la nourriture de base des animaux marins). Cf. Écrans UV nanos : un danger pour la vie marine, L'Observatoire des Cosmétiques, 5 septembre 2014
NANOTOX'IN : Évaluation des risques induits par l'incinération de nanocomposites à matrices polymères émergents : lors de processus d’incinération, ces nouveaux produits plastiques à base de nanoparticules relarguent-ils des nanoparticules ? Avec quels risques pour la santé publique ? Un projet financé par l'ADEME, réalisé par l'Armines (école des Mines de Saint-Etienne et école des mines d'Alès) et le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) en 2016 et 2017