EUROPE : Quel encadrement des nanomatériaux par REACh ?
EUROPE : Quel encadrement des nanomatériaux par REACh ?
Par l'équipe Avicenn - Dernier ajout décembre 2019
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En 2020, plus d'informations sur les nanomatériaux fabriqués ou importés en Europe
Selon le Règlement n°2018/1881 modifiant les annexes de REACH, à compter de 2020, des informations spécifiques devront être apportées par les entreprises sur les substances nanos enregistrées dans REACH et mises sur le marché au-delà d'une tonne par an (par entreprise).
Outre les données déjà requises, il sera désormais nécessaire de préciser les paramètres physico-chimiques des nanomatériaux comme la distribution granulométrique en nombre, la fonctionnalisation ou le traitement de surface, la forme ou le rapport d'aspect, la surface spécifique, ...
Le texte apporte ainsi des clarifications et de nouvelles dispositions concernant:
- la caractérisation des nanoformes ou sets de nanoformes couverts par l'enregistrement (annexe VI);
- l'évaluation de la sécurité chimique (annexe I);
- les informations requises pour l'enregistrement (annexes II et VII à XI);
- les obligations des utilisateurs en aval (annexe XII).
L'analyse d'impact devra prendre en compte l'intégralité du cycle de vie des nanomatériaux, avec les possibles transformations physico-chimiques que pourra subir la substance nano depuis sa production jusqu'à sa fin de vie, en passant par les altérations possibles du fait de l'usage, etc.
Le nouveau texte des annexes révisées de REACH intègre la majeure partie des demandes formulées par les Etats membres et ONG européennes depuis plusieurs années (voir les éléments archivés ici).
La possibilité pour l'agence européenne des produits chimiques (ECHA) de demander des informations complémentaires, que la Commission voulait limiter aux seules substances produites au-delà de 100 tonnes, a été élargie, grâce aux demandes de la France et des ONG mobilisées sur le sujet, aux substances nano produites au-delà de 10 tonnes.
Quelle définition des "nanomatériaux" / "nanoformes" ?
La révision des annexes de Reach devait intégrer la recommandation révisée de définition du terme "nanomatériau", attendue depuis 2014 et annoncée comme imminente (... depuis 2015 !) mais du fait de son report au second semestre 2019 (du fait des élections européennes et du renouvellement de l'exécutif européen), c'est toujours la recommandation de 2011 qui est aujourd'hui encore la définition de référence.
Le fait que REACH, un Règlement co-signé par le Parlement et le Conseil européens, fasse référence à une recommandation de définition établie par la seule Commission, sans validation par le Parlement et le Conseil, pourrait être source d’insécurité juridique du Règlement, dans la mesure où une controverse émaille cette définition. En effet, le report de cette révision, année après année, s'explique notamment du fait que cette définition et sa révision sont sources de tensions, car les répercussions peuvent être très différentes selon les termes et les seuils chiffrés retenus.
L'industrie chimique demande des délais et aménagements
L'entrée en vigueur de la révision des annexes de Reach se heurte à la résistance de certaines entreprises et fédérations industrielles : le Conseil européen de l'industrie chimique (CEFIC) a ainsi demandé des délais de mise en œuvre de la réglementation et plaidé pour des assouplissements1 (au motif que les "nanoformes" à déclarer (individuellement ou en groupe(s)), les informations à fournir, les méthodes de mesure et de caractérisation à retenir, etc.. ne sont pas encore complètement calées ou disponibles).
Pour autant, les industriels peuvent fournir les données dont ils disposent au 1er janvier 2020 et les compléter par la suite.
Des précisions apportées par l'ECHA
Début décembre 2019, l'agence europénne des produits chimiques (ECHA) a publié la mise à jour de deux documents d'orientation pour aider les entreprises à préparer des dossiers d'enregistrement REACH pour leurs substances chimiques couvrant des nanoformes2 et remplir ainsi les nouvelles exigences légales en matière de nanomatériaux applicables à compter du 1er janvier 2020.
Quels contrôles d’ici 2024 ?
L’ECHA a affiché, dans son plan d’action, se donner pour objectifs de focaliser ses contrôles de conformité pour la période 2019-2023 sur les substances produites ou importées au-delà du seuil de 100 tonnes par an. Les nanomatériaux risquent donc de passer à la trappe !
Pourquoi ? Parce qu’ils sont produits en quantité moindre dans leur catégorie : les bilans r-nano en France publiés depuis 2014 montrent que plus de la moitié des déclarations sont inférieures à une tonne.
[Du fait de leur forte réactivité, les nanomatériaux peuvent être utilisés en moindre quantité par rapport à d’autres matériaux pour apporter les propriétés recherchées (la petite taille des nanomatériaux leur confère une surface de réaction plus grande que le même matériau non nanométrique ; le ratio surface / volume est plus important).]
Parmi les éléments qui attisent nos craintes sur la faiblesse des contrôles, vient le fait que nous n’ayons relevé aucune mention du cas des nanomatériaux :
ni dans le plan d’action de l’ECHA concernant REACH dévoilé ces dernières semaines4
L’ECHA disposera-t-elle des moyens de contrôle suffisants et adaptés, tant en termes de ressources techniques, qu’humaines et financières ?
Un dispositif spécifique pour les nanomatériaux produits ou importés en deçà de une tonne par an ?
Mi-2019, le Conseil de l'Union européenne a demandé à la Commission européenne d'étendre le mandat de l'agence européenne des produits chimiques (ECHA) afin qu'elle puisse collecter et mettre à disposition des données de recherche sur la caractérisation, le danger et l'exposition potentielle de nanoformes de substances qui n'étaient jusqu'à présent pas enregistrées sous REACH, leur tonnage annuel étant inférieur au seuil de une tonne par an5 .
Un fonds abondé par les entreprises qui importent, produisent ou utilisent ces nanomatériaux manufacturés, permettrait de mutualiser le financement des outils de caractérisation et les recherches indépendantes sur les risques associés aux nanomatériaux et pallier ainsi le manque de moyens nécessaires pour le travail de caractérisation des nanomatériaux et d’évaluation des risques. Confié à un intermédiaire public qui jouerait le rôle de "pare-feu" avant de flécher les financements vers des laboratoires indépendants et reposant sur une procédure d'évaluation robuste et transparente des projets et des résultats (avec une ouverture aux ONG et citoyens), ce compte "nanosafety" permettrait également de garantir une meilleure fiabilité des résultats et de restaurer la confiance.
Une attention nécessaire pour les matériaux dits "avancés"
En sus des nanomatériaux au sens strict, il est nécessaire d’intégrer à la réglementation les matériaux dits "avancés" qui déploient aussi pour beaucoup des propriétés spécifiques à l'échelle nano (céramiques & polymères "de pointe", renforcés par des biofibres et/ou des nanocharges, matériaux composites "intelligents", matériaux bio-actifs, nanocapteurs, etc.)
Selon un rapport commandité par l'Observatoire européen des nanomatériaux et publié en 19 septembre 2019, les réglementations actuelles de l'Union européenne offriraient un cadre réglementaire adéquat pour caractériser et identifier les nanomatériaux de "prochaine génération"5. Sur les huit experts interrogés, la moitié venait directement de l'industrie. Côté protection de la santé ? Aucun expert auditionné. Côté protection de l'environnement ? Un seul fonctionnaire (allemand). Les experts de notre réseau partagent notre scepticisme sur l’analyse proposée par ce rapport. La démocratie sanitaire et environnementale vaut mieux que ça.
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