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Nano et Santé au travail (2/3) : Quels risques pour les travailleurs exposés ?

Nano et Santé au travail (2/3) : Quels risques pour les travailleurs exposés ?
Par MD et l'équipe Avicenn - Dernière modification novembre 2019Cette fiche est la deuxième partie de notre Dossier Nano et Santé au travail. Elle a vocation à être complétée et mise à jour avec l'aide des adhérents et veilleurs d'Avicenn. Vous pouvez contribuer à l'améliorer en nous envoyant vos remarques à l'adresse redaction(at)veillenanos.fr.
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Sommaire :
- Propriétés nouvelles, risques nouveaux ?
- Des risques encore mal cernés, à mieux étudier
- Des signaux néanmoins très inquiétants
- La plus grande vigilance devrait être appliquée
- En savoir plus
Propriétés nouvelles, risques nouveaux ?
A l'échelle nanométrique, les matériaux peuvent manifester des propriétés renforcées ou nouvelles, différentes de celles des matériaux micrométriques (voire massifs) de même composition chimique ; certaines de ces nouvelles propriétés peuvent être dangereuses pour les travailleurs exposés (plus forte réactivité, explosivité, inflammabilité, ...).
Les potentiels d'émission et d'exposition professionnelle aux aérosols lors d'opérations mettant en oeuvre des nanomatériaux sont considérés comme l'un des principaux risques émergents sur les lieux de travail depuis au moins 2009 par l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA)1.
Des risques encore mal cernés, à mieux étudier
Problème : les répercussions que l'exposition aux nanomatériaux manufacturés peut avoir sur la santé humaine sont encore largement méconnues et entachées d'incertitudes2.
Les effets sur la santé des travailleurs sont insuffisamment évalués et connus :
- Les études toxicologiques sont confrontées à des difficultés méthodologiques et de nombreux paramètres à prendre en compte ; elles ne permettent pas d'entrevoir de réponses simples et univoques sur les risques des nanomatériaux à court terme. Jusqu'à récemment notamment, peu d'études portaient sur l'inhalation des nanomatériaux alors que c'est la voie d'exposition professionnelle la plus probable et la plus préoccupante pour les travailleurs exposés3. Cette voie est cependant davantage prise en compte maintenant. Il reste néanmoins que les effets néfastes observés dans de nombreuses études toxicologiques sont souvent contestés ou minimisés par des industriels qui se retranchent derrière l'attente de résultats probants issus d'études épidémiologiques.
- Or, les études d'épidémiologie menées sur des travailleurs exposés aux nanomatériaux sont rarement de bonne qualité : beaucoup comportent des biais, ou ne détaillent pas l'exposition et/ou les conditions de travail.
- Un des problèmes rencontrés reste la mesure de l'exposition - malgré le développement d'instruments plus performants (en termes de sensibilité, reproductibilité, souplesse, facilité de mise en oeuvre et coût) permettant d'effectuer des mesures aux postes de travail.
- Les effets sur la santé des travailleurs peuvent prendre de nombreuses années avant d'apparaître4 (on parle alors de "risques à effets différés") et les tumeurs cancéreuses ne livrent pas d'indication sur ce qui les a déclenchées... or les travailleurs sont souvent exposés à différentes substances chimiques.
Il sera donc sans doute très long et difficile d'établir au final un lien clair de cause à effet entre exposition professionnelle aux nanomatériaux et pathologies. Car les risques liés à leur exposition professionnelle aux nanomatériaux se cumulent en outre avec :
- l'exposition non professionnelle aux nanoparticules que subit la population générale via l'alimentation, l'eau, les cosmétiques, la pollution atmosphérique, etc.
- l'utilisation de substances chimiques parfois dangereuses, avec des interactions difficilement identifiables et maîtrisables (on parle alors d'"effet cocktail" 5).
Les autorités françaises reconnaissent que "les efforts doivent être poursuivis pour améliorer la connaissance et permettre, en particulier, d'affiner l'évaluation des effets et des risques" 6.
Des travaux sur les risques liés à l'exposition professionnelle aux nanomatériaux sont menés aujourd'hui au sein de plateformes spécialisées sur les risques nano, à l'INERIS, à l'INRS, au CEA notamment. Avicenn suit l'avancée des travaux qui y sont menés.
Des signaux néanmoins très inquiétants
Pour autant les données parcellaires dont on dispose sont plutôt inquiétantes : les nanomatériaux inhalés peuvent en effet se diffuser dans l'organisme, se transformer d'un point de vue physico-chimique, s'accumuler ensuite dans certains organes, dans le sang et à l'intérieur des cellules7 et y causer des perturbations voire des effets néfastes (réaction inflammatoire pulmonaire ; fibrose pulmonaire ; risques de cancer du poumon en cas d'inhalation de certains types de nanotubes de carbone, longs et rigides)8.
En avril 2014, l'Agence nationale française de sécurité sanitaire (ANSES) a préconisé le classement des nanomatériaux comme substances dangereuses dans le cadre de la réglementation européenne CLP.
Chez l'animal, des effets semblables à ceux de l'amiante ont été observés : des rats en laboratoire ont développé un mésothéliome suite à une exposition à certains types de nanotubes de carbone.
Comme dans le cas de l'amiante, on redoute les conséquences d'une absence de prévention car les effets sur la santé ne sont susceptibles d'apparaître que plusieurs années - voire décennies - après l'exposition aux nanomatériaux... d'où la nécessité de protéger les travailleurs et de mettre en place un dispositif de suivi de leur état de santé sur le long terme.
Plusieurs cas de pathologies observées chez des travailleurs exposés aux nanoparticules ont néanmoins déjà été rapportés :
- En 2009, des problèmes pulmonaires ont entraîné l'hospitalisation de travailleuses chinoises exposées à des nanoparticules d'acrylique pendant 5 à 13 mois9.
- Fin 2013, à Taiwan, une étude menée sur six mois a mis en évidence des corrélations entre manipulation de nanomatériaux et des marqueurs de maladies pulmonaires et cardiovasculaires, des marqueurs de l'inflammation et de stress oxydatif et enzymes antioxydantes10.
- En 2014, une jeune chimiste nord-américaine ayant manipulé (sans masque) des nanoparticules de nickel à l'état de poudre a présenté divers symptômes (irritation de la gorge, congestion nasale, rougeur du visage, réaction cutanée)11
- En 2017, des effets immunologiques ont été rapportés chez des travailleurs manipulant des nanoparticules manufacturées12
Le risque d'incendie et d'explosion est également particulièrement inquiétant (tout particulièrement pour les nanoparticules d'aluminium, de magnésium ou de lithium ainsi que pour les nanotubes de carbone)13.
La plus grande vigilance devrait être appliquée
Tous ces éléments réunis conduisent à préconiser la plus grande vigilance, principe de précaution oblige. L'enjeu est de taille : il s'agit ni plus ni moins d'éviter de renouveler les erreurs du passé : si les effets cancérogènes de l'amiante ont été démontrés dans les années 1930, il a fallu attendre les années 1990 pour que les premières lois d'interdiction entrent en vigueur...
Parmi les défis à relever figurent le développement de travaux de recherche indépendants sur les risques ainsi que l'accélération de la transmission des résultats des recherches auprès des services sanitaires afin qu'ils puissent prendre les dispositions adaptées au plus vite - qu'il s'agisse de la mise au point ou à jour de réglementations ou de mesures d'information et de protection.
Le corpus de connaissances évolue en effet à un rythme que les lourdeurs institutionnelles ne permettent pas de suivre : les délais sont encore trop longs entre l'obtention des résultats, leur publication puis leur prise en compte par les autorités d'évaluation et de gestion des risques, leur communication auprès des acteurs de terrain et enfin la déclinaison concrète de mesures appropriées.
A noter, fin 2017, une "première" juridique en Europe sur l'exposition professionnelle aux nanoparticules : un juge espagnol a considéré qu'un travailleur ayant subi une greffe de rein ne doit pas être affecté à un poste exposant aux nanomatériaux14. Cet avis pourrait avoir des répercussions notables dans les mois et années à venir...
Mi 2018, le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) a publié un rapport15 appelant à protéger les travailleurs et les populations à proximité des sites industriels produisant ou manipulant du nano-TiO2, assorti d'un ensemble de préconisations pratiques à destination des pouvoirs publics et des industriels.
En avril 2019, l'INRS a lancé un appel aux entreprises utilisatrices de silices amorphes pour une recherche en santé au travail : "Exposition professionnelle aux silices amorphes nanostructurées : biomarqueurs d'effets précoces" (2019-2022).
Voir également notre fiche Nano et Santé au travail : Quelles recommandations / bonnes pratiques ?
⇒ Fiche suivante : "Nano et Santé au travail : Quelles recommandations / bonnes pratiques ?"
En savoir plus
- Notre fiche Quels effets néfastes des nanomatériaux sur la santé ?, veillenanos.fr
- Extraits de notre Bibliographie "Nano et Santé au travail", veillenanos.fr :
- Haut Conseil de la Santé publique (HCSP), Bilan des connaissances relatives aux effets des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) sur la santé humaine ; caractérisation de l'exposition des populations et mesures de gestion, avril 2018 (rendu public en juin 2018)
- INSERM, Les nanomatériaux au laboratoire - Savoir reconnaître leurs risques pour une prévention adaptée, mars 2016
- ANSES, Evaluation des risques liés aux nanomatériaux - Enjeux et mise à jour des connaissances, avril 2014 : Annexe 9 "Evaluation de l'exposition" et Annexe 10 : Surveillance médicale des travailleurs
- ANSES, Evaluation des risques liés au GRAPHISTRENGTH C100 (nanotubes de carbone d'Arkema), novembre 2013 (mis en ligne janvier 2014)
- Institut national de recherche et de sécurité (INRS), Rubrique en ligne "Nanomatériaux. Quels risques ? Quelle prévention ?"
- Aída Maria Ponce Del Castillo (ETUI), Les nanomatériaux sur le lieu de travail, Quels enjeux pour la santé des travailleurs ?, mai 2013
- Direccte Limousin, Colloque Nanoparticules : Risques ou progrès ?, 24 octobre 2013
- IRSST (Canada), Les effets sur la santé reliés aux nanoparticules, 2008
- Institut national de veille sanitaire (InVS), Comment évaluer les risques sanitaires éventuels d'une exposition professionnelle aux nanomatériaux ?, vidéo, avril 2013
- ANSES, Toxicité et écotoxicité des nanotubes de carbone - Note d'actualité, État de l'art 2011-2012, novembre 2012
- Gérald Hayotte, Nanotechnologies : entre utile et futile, Apeska, octobre 2012
- ANSES, Avis sur "l'évaluation des risques liés au GRAPHISTRENGTH C100 réalisée dans le cadre du programme Génésis", (nanotubes de carbone), avril 2012
- Afsset, Évaluation des risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et pour l'environnement, mars 2010
- Ministère du Travail, Nanomatériaux, (page non datée)
En anglais :
- Schulte PA et al., Current state of knowledge on the health effects of engineered nanomaterials in workers: a systematic review of human studies and epidemiological investigations, Scand J Work Environ Health., 1;45(3):217-23, mai 2019
- Pelclova D et al., Markers of oxidative damage of nucleic acids and proteins among workers exposed to TiO2 (nano) particles, Occup Environ Med, 73:110-118, 2016
- Murashova V & Howard J, Risks to Health Care Workers from Nano-Enabled Medical Products, Journal of Occupational and Environmental Hygiene, 12(6), 2015
NOTES et REFERENCES :
1 - Workplace Exposure to Nanomaterials, EU-OSHA, European Agency for Safety and Health at Work, 2009
2 - Voir notre fiche Quels effets néfastes des nanomatériaux sur la santé ?
3 - Voir notre fiche Les portes d'entrée des nanomatériaux dans le corps humain, veillenanos.fr
4 - "Des effets chroniques - comme les infections pulmonaires et circulatoires - peuvent mettre des décennies à se manifester et être diagnostiquées" - Aída Maria Ponce Del Castillo (ETUI), Les nanomatériaux sur le lieu de travail, Quels enjeux pour la santé des travailleurs ?, mai 2013
5 - Cf. http://veillenanos.fr/wakka.php?wiki=EffetsNanoSante#EffetCocktail
6 - Réponse des autorités françaises à la consultation publique "Towards a strategic nanotechnology action plan (SNAP) 2010-2015", mars 2010
7 - Voir notre fiche Quel devenir et comportement des nanomatériaux dans le corps humain ?, veillenanos.fr
8 - Voir notamment :
- Effets des nanotubes de carbone sur la santé - Eviter de reproduire les erreurs de l'amiante, veillenanos.fr, 26 novembre 2013
- Donaldson K. et al., Asbestos, carbon nanotubes and the pleural mesothelium: a review of the hypothesis regarding the role of long fibre retention in the parietal pleura, inflammation and mesothelioma, Particle and Fibre Toxicology, 22 (7), 5, 2010
- Interim guidance for medical screening and hazard surveillance for workers potentially exposed to engineered nanoparticles, Current Intelligence Bulletin, NIOSH (Etats-Unis), 60, 2009
- et plus généralement, nos fiches :
9 - Exposure to nanoparticles is related to pleural effusion, pulmonary fibrosis and granuloma, Song Y et al., Eur Respir J, 34(3):559-67, septembre 2009
10 - Cf. Hui-Yi Liao et al., Six-month follow-up study of health markers of nanomaterials among workers handling engineered nanomaterials, Nanotoxicology, décembre 2013
11 - Occupational handling of nickel nanoparticles: A case report, Shane Journeay W, American Journal of Industrial Medicine, 57(9) : 1073-1076, septembre 2014
12 - Cf. Effets immunologiques chez les travailleurs manipulant des nanoparticules manufacturées, Camip Info, avril 2018 (résumé en français de "Immunological effects among workers who handle engineered nanoparticles", Glass DC et al., Occupational and Environmental Medicine, 74(12) : 868-876, 2017
13 - Voir notamment :
- Nanomatériaux dans le transport et l'habitat : Quels sont les risques liés à la dégradation thermique ?, Simon Delcour, LNE, wébinar, juin 2019
- Army scientists have a blast with aluminum nanoparticles, U.S. Army Research Laboratory, 7 juin 2018
- Explosibility of nanoparticles, nanowerk, mars 2012
- Les projets NanoSafe 2 (6e PCRDT) et Nanoris ont entre autres résultats permis de mettre en évidence les propriétés fortement détonantes de certaines nanoparticules (aluminium), mais aussi le risque de sous-évaluation de l'explosivité et de l'inflammabilité due à la faculté d'agglomération des nanopoudres. Cf. Rapport scientifique 2008-2009, INERIS, novembre 2009
- pour les particules de taille micrométrique, elle est à 15 mJ
- pour les particules de diamètre de 200 nm, elle est à 7 mJ
- pour les particules de diamètre de 100 nm, elle est inférieure à 1 mJ
14 - Prevecion integral, Primera sentencia en Europa sobre exposición a nanopartículas, 15 décembre 2017 (Una juez de Pamplona decide, en una sentencia admirable, que un trasplantado de riñón es especialmente sensible a las nanopartículas)
15 - Cf. Protéger les travailleurs et les personnes au voisinage de sites de production ou de manipulation de nanoparticules de dioxyde de titane, Haut conseil de la santé publique, 25 juin 2018
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Fiche initialement mise en ligne en juillet 2015