Nano et Santé au travail (3a/3) : Recommandation a : Evaluer les risques et surveiller les émissions de nanoparticules sur les lieux de travail
Nano et Santé au travail (3a/3) : Recommandation a : Evaluer les risques et surveiller les émissions de nanoparticules sur les lieux de travail
Par l'équipe Avicenn - Dernier ajout décembre 2020
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Les progrès en matière d'instruments et d'outils de nanométrologie permettant de mieux quantifier l'exposition des travailleurs aux nanomatériaux sont très récents et demandent encore à être affinés.
Des méthodes qualitatives et des outils d'analyse existent néanmoins pour contrôler la présence de nanomatériaux dans l'air et peuvent déjà être déployés afin de restreindre l'incertitude associée à l'évaluation du risque d'exposition professionnelle aux nanomatériaux. La plupart nécessitent le recours à un (voire des) expert(s).
L'approche de gestion graduée des risques ("control banding")
Cette méthode dite de "control banding" est utilisée lorsqu'il y a incertitude sur le danger des substances chimiques manipulées et sur le niveau d'exposition des travailleurs. Depuis plusieurs années, elle a fait l'objet d'adaptation au cas particulier des nanomatériaux2.
On parle aussi de "matrice de criticité" : elle vise à classer les postes de travail par niveau de risque en croisant :
le niveau de danger du nanomatériau manipulé au poste de travail
avec le niveau d'exposition au nanomatériau à ce poste.
Elle permet ainsi d'aider à décider des mesures de gestion de risque appropriées au niveau du risque de chaque poste (par exemple, confinement de la source d'émission, équipement de protection collective et/ou individuelle) :
Comme le souligne l'ANSES, cette méthode a toutefois des limites : critères insuffisants pour la bande d'exposition (pas de prise en compte de la matrice du nanomatériau ni des processus) ; pas de distinction des voies d'exposition / compartiments environnementaux ; pas d'évaluation des incertitudes3.
Par ailleurs, cette approche ne vaut qu'en conditions normales au poste de travail mais ne prend pas en compte les scénarios accidentels (explosion, incendie, perte de confinement, épandage accidentel).
Une méthode complémentaire a été proposée fin 2014 - début 2015 par des chercheurs de différents organismes français (INERIS, CEA, INRS, InvS, ...) dans le cadre du partenariat "Quintet ExpoNano"4. Elle vise à faciliter le repérage des postes de travail potentiellement exposant aux nano-objets, leurs agrégats ou agglomérats (NOAA) dans les entreprises mettant en oeuvre des nanomatériaux manufacturés :
Présentée comme "simple et non instrumentale" (sans prélèvement ni mesure de l'aérosol), elle a été conçue pour des épidémiologistes (dans le cadre d'EpiNano), mais peut servir à l'ensemble des acteurs en santé au travail dans un but d'évaluation et de gestion de risques en rapport avec les nanomatériaux au sein des entreprises.
Elle comprend notamment l'étude des plans de l'établissement et une visite des locaux, avec l'observation des postes de travail concernés par l'émission d'aérosols de NOAA, l'étude des techniques employées, etc.
Au final, le niveau d'exposition à chaque poste de travail est estimé, ce qui rend possible la mise en oeuvre de l'approche de gestion graduée des risques ("control banding").
2015 : L'approche intégrée pour une conception et une manipulation sécuritaires des nanomatériaux (IRSST, Arkema, Raymor)
L'institut canadien de recherche en santé et en sécurité du travail (IRSST) a publié en juillet 2015 un rapport sur l'outil d'évaluation qu'il a développé, permettant d'intégrer en priorité les caractéristiques chimiques comme la réactivité des nanoparticules et l'interaction des nanoparticules avec le matériel biologique, pour ainsi établir une limite dusage d'un type de nanoparticule évalué. Il est issu d'un travail réalisé notamment avec Arkema.
Pour les travailleurs exposés de façon "passive" : la méthode ERS Nano (ANSES)
Des défis se posent pour quantifier correctement les nanoparticules présentes dans l'air.
Premier écueil : la mesure des émissions de nanoparticules est rendue difficile par l'existence d'un "bruit de fond" constitué par les particules présentes dans l'air indépendamment des nanoparticules manufacturées que l'on souhaite mesurer5.
Deuxième difficulté : la seule mesure de la concentration en masse (en mg/cm3) n'est pas suffisante pour apprécier l'exposition aux nanoparticules. Les experts recommandent en particulier d'y ajouter la mesure de la concentration en nombre de particules (/cm3), voire la concentration en surface de particules (µm2/m3), avec l'analyse de la répartition du nombre de particules en fonction de leur taille6.
Le décompte des particules de taille nanométrique est en outre rendu difficile par des phénomènes d'agglomération ou d'agrégation secondaires. Il est donc nécessaire de récolter aussi des particules plus grosses et d'examiner leur structure.
Des progrès récents ont néanmoins été réalisés, même si différentes techniques sophistiquées doivent aujourd'hui être combinées, ce qui suppose une instrumentation, très volumineuse, lourde et coûteuse.
Des améliorations sont attendues grâce aux travaux en cours dans différents organismes spécialisés7. L'INRS notamment dispose désormais d'une installation de laboratoire maitrisée pour la génération d'aérosols d'essais (CAIMAN) qui permet d'étudier les performances d'instruments pour la mesure d'exposition.
En juin 2014, le directeur scientifique de l'INRS affirmait qu'"à l'avenir, des appareils portables mesureront les nanoparticules en suspension dans les ateliers" 8.
Or dès 2015 on a pu voir arriver des instruments portatifs, relativement simples d'utilisation et moins chers que des équipements sophistiqués, notamment :
Le MPS®, instrument de caractérisation des nano et microparticules dans l'air ambiant proposé par l'INERIS et ECOMESURE.
Le NANOBADGE proposé depuis début 2015 par la société NANO INSPECT du groupe ALCEN et la Plate-forme Nanosécurité du CEA-LITEN de Grenoble : le prélèvement est effectué dans une cassette intégrée sur un préleveur compact et autonome, pouvant être porté par les opérateurs ou positionné en poste fixe ; la cassette est ensuite extraite du préleveur et analysée.
Le DiSCmini, commercialisé par Testo AG, instrument portable et individuel qui permet de mesurer en temps réel la concentration en nombre et le diamètre moyen des particules
Les échantillonneurs et détecteurs temps réel PARTICLEVER proposent de quantifier les expositions par inhalation aux substances complexes, telles les nanoparticules, nanomatériaux, fibres, matériaux avancés ou mélanges comme la pollution atmosphérique
Liste à compléter
→ L'analyse des données recueillies grâce à ces outils portables, tout comme l'interprétation des résultats, nécessitent une expertise pointue et externalisée.
Au final, le coût global de l'usage de ces outils, bien que moins élevé que pour les gros équipements existants jusqu'à présent, reste aujourd'hui peu abordable pour les PME, TPE, artisans, etc.
→ Autres interrogations : Ces outils ont-ils fiables ? Des entreprises en ont-elles déjà achetés ? Quels sont les premiers retours sur les atouts et limites de ces instruments ? Comment choisir parmi les différents modèles proposés ?
L'INRS reçoit ce type de questionnements notamment des caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et des services de santé au travail. En 2015, l'institut avait seulement testé le DiSCmini et envisageait d'étudier les autres dispositifs9.
D'autres appareils devaient voir le jour10.
Points de vigilance
Le débat public national de 2009-2010 avait été l'occasion pour certains acteurs de dénoncer la lenteur des pouvoirs publics à mettre en place les dispositifs de surveillance sanitaire nécessaires, contrastant avec l'aide publique conséquente déployée pour accélérer le développement et la commercialisation massifs des nanomatériaux. Depuis des progrès ont été accomplis et doivent être poursuivis, mais la vigilance reste de mise :
Quand bien même les instruments donneraient des résultats rassurants sur la présence de nanoparticules sur les postes de travail protégés, il convient, en l'absence de connaissance des dangers, de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer aussi que toutes les activités sur ces postes sont effectuées en minimisant l'exposition des travailleurs (dont celles associées à des activités de maintenance).
Le risque des expositions faibles mais chroniques doit aussi être pris en compte en mesurant les quantités cumulées.
Lettre d'information du Groupe Nano PRST3, décembre 2020 : repérage des entreprises du Limousin par l'AIST 87 ; étude de poste exposant à la silice amorphe nanométrique par l'AHII 64
"Critères pour guider la maîtrise des pics d'émission et l'exposition aux nanoparticules manufacturées aéroportées", résumé en français par Debia M et Beaudry C de l'article de McGarry P et al. "Excursion guidance criteria to guide control of peak emission and exposure to airborne engineered particles", J Occup Environ Hyg, 10(11):640-51, 2013, in Nanoparticules - maîtrise de l'exposition : concepts et réalisations, Bulletin de veille scientifique (BVS) de l'ANSES, mars 2014
NanoIndex : Assesment of individual exposure to manufactured nanomaterials by means of personal monitors and samplers (projet européen financé partiellement par l'ANR et auquel participe le CEA)
5 - Dans un bureau (non-fumeur), on peut compter 10 000 nanoparticules (voire plus) par centimètre cube d'air, en provenance de différentes sources (chauffage par combustion, circulation automobile, etc.). La concentration est encore plus élevée sur une piste d'aéroport, dans un atelier de soudure ou dans une boulangerie.
"Technique de mesure spécifique au type de substance pour la détection des nanoparticules présentes dans l'atmosphère des lieux de travail" mise au point par une équipe de l'Université Technologique de Karlsruhe (Allemagne), présentée dans le Recueil des résumés des présentations faites au colloque Nano 2011 organisé par l'INRS.
Ce site est édité par l'association Avicenn qui promeut davantage de transparence & de vigilance sur les nanos.
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