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FRANCE : Retour sur les propositions du Centre d'Analyse Stratégique sur la gouvernance des nanotechnologies
FRANCE : Retour sur les propositions du Centre d'Analyse Stratégique sur la gouvernance des nanotechnologies
par MD et DL avec l'équipe Avicenn - 15 novembre 2011 (dernière modification Juin 2013)
Le Centre d'Analyse Stratégique (CAS) (devenu Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) en 2013), organe d'expertise et d'aide à la décision rattaché à Matignon, s'est penché sur la question de la gouvernance des nanotechnologies, en lui consacrant la semaine dernière un colloque et deux rapports qui méritent d'être relayés et discutés. Décryptage, éclairage et analyse de l'Avicenn.
La gouvernance des nanotechnologies a été le sujet central du Colloque "Comment débattre des nouvelles technologies ?" organisé le 8 novembre par le Centre d'Analyse Stratégique (CAS) et auquel l'Avicenn a participé.
A l'occasion de ce colloque, le CAS a rendu publics une note d'analyse "Pour un développement responsable des nanotechnologies", ainsi qu'un document de travail "Pour un processus de participation du public adapté à un développement responsable des nouvelles technologies" qui méritent discussion. Du fait de son positionnement - le CAS est une institution d'expertise et d'aide à la décision placée auprès du Premier ministre - le CAS peut avoir une forte influence auprès du gouvernement, à l'heure où ce dernier est censé finaliser son décret sur la déclaration obligatoire des substances à l'état nanoparticulaire fabriquées, importées ou mises sur le marché en France ainsi que sa réponse au débat national de 2009-2010.
"Pour un développement responsable des nanotechnologies"
- Une analyse qui se veut neutre et "responsable"...
Dans sa note d'analyse "Pour un développement responsable des nanotechnologies"1, le CAS présente un état des lieux synthétique mais relativement complet et non partisan des enjeux liés aux nanotechnologies et des positions des différentes parties prenantes.
Il propose également cinq pistes pour alimenter la réflexion sur ce que pourrait être un développement responsable des nanotechnologies : 1 - l'élaboration d'un plan d'action stratégique global pour une politique de développement responsable des nanotechnologies en France, définie selon une approche interministérielle, transversale et transparente ; 2 - le soutien du développement d'un observatoire européen, voire mondial, du développement des nanotechnologies et de leurs différents impacts, dans l'idée d'une sorte de "GIEC des nanos" ; 3 - l'association du public et de l'ensemble des parties prenantes en amont et tout au long du développement des nanotechnologies, à travers des espaces pérennes de dialogue et d'anticipation des enjeux, ouverts à toutes les parties prenantes, doublés d'espaces de concertation plus ciblés et en lien direct avec la décision politique ; 4 - le développement d'une "filière intégrée" des nanotechnologies, depuis la recherche, jusqu'à la fin de vie des produits, en passant par l'innovation et la commercialisation ; 5 - la prévention des risques sanitaires et environnementaux, visant à minimiser la toxicité et les risques d'expositions aux nanoparticules dès la conception du produit
Dans l'ensemble, ces pistes - détaillées dans la note accessible "ici - sont, à l'instar de la première partie du document, relativement générales mais étayées et consensuelles.
- ... mais qui s'inscrit en filigrane dans une approche clairement pro-nano
Trois éléments détonnent néanmoins par rapport à l'apparente neutralité du document :
- Renforcer la domination institutionnelle du CEA ?
La 2ème proposition concernant l'observatoire du développement des nanotechnologies, dans ses modalités concrètes, propose de pérenniser l'observatoire européen Observatory Nano (au sein duquel le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) est le seul partenaire français), et mentionne le travail réalisé par l'OMNT (Observatoire des Micro et Nano Technologies) géré également par le CEA (conjointement avec le CNRS). Si la légitimité du CEA à être partie prenante de l'observatoire n'est pas contestable, renforcer son quasi-monopole sur le processus semble pour le moins contradictoire avec le souhait relayé par le Centre d'Analyse Stratégique d'"une gouvernance plus transparente et plus ouverte"(p. 8). Rappelons ici que l'opacité du CEA sur certaines recherches nano menées notamment à Grenoble constitue l'un des arguments clés de la critique radicale portée par le groupe grenoblois de contestation des nanotechnologies, Pièces et Main d'Oeuvre (PMO). Pourquoi ne pas proposer d'impliquer dans cet observatoire les différents acteurs de la société civile - à l'instar de ce que propose, au niveau français, le document de travail publié par le CAS le même jour et détaillé plus bas - à savoir, outre les chercheurs et universitaires, les élus , les associations de protection de l'environnement, de la santé, de consommation, les employeurs, les salariés et l'administration ?
- Accélérer la commercialisation des nanos dans le domaine médical ?
La 4ème proposition vise à améliorer "l'efficacité du transfert des découvertes vers l'industrie et les applications commerciales" (...) "notamment dans des domaines encore peu développés mais pourtant très prometteurs, tels que la nanobiologie et la nanomédecine"1. Il s'agit de remédier au "syndrome de la tour d'ivoire" décrit dans l'état des lieux : "une bonne activité de recherche, mais une faible efficacité du transfert technologique vers les applications industrielles et commerciales" (p.4).
Même si cette proposition est assortie du souci "d'intégrer dès la conception des matériaux les problèmes de sécurité et de sûreté", elle semble difficilement compatible avec le principe de précaution (que la note ne mentionne d'ailleurs qu'indirectement et sans la reprendre à son compte, en évoquant les partisans d'un moratoire sur la recherche et/ou sur la commercialisation des produits, p. 8) et avec le mouvement émergent "slow science" qui critique "les exigences de résultats et retombées rapides de la recherche par projet", et met en avant "le besoin de durée longue et de marges d'essais et d'erreurs, pour construire véritablement les conditions de l'interdisciplinarité"2. Cette proposition est également difficilement conciliable avec la temporalité plus lente qu'exigent les processus de dialogue et de concertation envisagés dans la proposition 3 et qui font l'objet d'une discussion pourtant détaillée dans le document de travail3 également rendu public par le CAS ce 8 novembre 2011. Ce dernier souligne en outre, à propos du débat public national mené en 2009-2010, que "vu les soupçons de nocivité et les incertitudes sur les avantages, le public ne pouvait que pencher dans le sens du moratoire, voire de l'arrêt définitif".
- Quid du questionnement sur l'utilité sociale des applications des recherches nanotechnologiques ?
La note d'analyse s'inscrit dans une tendance que certaines associations ont critiquée pendant le débat national : celle qui donne à l'utilité économique et financière la priorité sur l'utilité sociale. Aucune mention des questions qui ont pourtant été au centre du débat national : quelle utilité sociale des applications (déjà existantes et à venir) et quelle équité dans l'accès à leurs bénéfices et dans l'exposition à leurs dangers (que ces bénéfices ou ces dangers soient réels ou supposés) ?
Si Jean Bergougnoux , qui a présidé à l'époque la Commission particulière du débat public sur les nanotechnologies, a fait référence pendant le colloque à ce "développement mondialisé piloté trop exclusivement, aux yeux de beaucoup, par les « forces du marché »" 4, le CAS fait sien le discours de l' "innovation responsable" qui mise sur l'acceptabilité plus que sur un réel débat pourtant demandé par la société sur l'utilité des applications des nanotechnologies. Et témoignent les propos de Vincent Chriqui, le directeur général du Centre d'analyse stratégique lors de son allocution d'ouverture du Colloque : "nous pensons qu'il faut continuer à développer les nanotechnologies parce que c'est indispensable d'en tirer tous les bénéfices qui peuvent en être tirés pour la croissance, pour le développement économique, et qu'en même temps il faut être prudent, s'entourer de toutes les précautions pour que ce soit fait dans des conditions qui soient totalement sûres et qui ne suscitent pas trop la contestation et c'est peut-être là que c'est le plus difficile".
"Pour un processus de participation du public adapté à un développement responsable des nouvelles technologies"
- Un retour sur les difficultés du débat national sur les nanotechnologies de 2009-2010
Le document de travail "Pour un processus de participation du public adapté à un développement responsable des nouvelles technologies" revient sur les difficultés auxquelles a été confronté le débat sur les nanotechnologies de 2009-2010. Ce dernier avait en effet été largement perturbé par la mobilisation des opposants aux nanotechnologies, qui avaient rendu impossible le déroulement de certaines réunions publiques.
Parmi les raisons avancées par le CAS pour expliquer ces difficultés, figurent notamment :
le manque d'articulation du débat avec la décision et le calendrier politiques : d'une part le débat a commencé à l'automne 2009, alors que le plan de soutien de l'Etat au développement des nanotechnologies a été annoncé dès le printemps, notamment via le financement du plan NanoInnov à hauteur de 70 millions d'euros annuels sur cinq ans ; d'autre part le gouvernement n'a pas apporté de réponse au débat - voir plus bas) ;
le caractère à la fois technique, politique et général du sujet ;
l'absence d'interlocuteur unique pour le public et de personnalisation du maître d'ouvrage représenté par sept ministères différents ;
la marginalisation de la question de l'encadrement des produits existants, étouffée par des considérations portant sur l'opportunité des développements futurs (aspect sur lequel nous reviendrons plus bas).
On peut saluer la franchise de cette analyse, qu'a confirmée, pendant le colloque, Jean Bergougnoux4.
- Quatre mesures pour un processus de participation du public adapté
Le document propose quatre mesures pour "un processus de participation du public adapté à la définition d'un développement responsable des nouvelles technologies : 1 - définir, pour chaque technologie émergente pouvant avoir un impact important sur la santé ou l'environnement, un processus ad hoc de participation du public à la définition de son encadrement ; 2 - faire précéder le débat d'une concertation-négociation entre les acteurs de la société civile sur le moment et l'objet du débat 3 - imposer aux administrations concernées de publier, motiver et soumettre à la concertation les conclusions qu'elles en tirent 4 - développer des actions de recherche sur la notion de développement responsable des nouvelles technologies et sur les instruments administratifs de leur encadrement
Ces mesures sont détaillées dans le document de travail accessible ici.
Et maintenant, concrètement ?
Ce bilan et ces mesures restent bien générales et peuvent laisser sur leur faim les acteurs de la société civile (citoyens ou organisés) qui avaient déjà suivi le débat, lu le bilan et le compte rendu de la CNDP publiés en avril 2010, ainsi que les analyses des juristes5, philosophes6, politologues et sociologues7, journalistes8 et associations9 qui ont déjà développé des analyses sur le débat public autour des nanotechnologies.
Les rapports et le colloque ont néanmoins permis de faire avancer certains points que les adhérents de l'Avicenn - dont certains étaient présents au colloque - considèrent comme importants pour faire avancer les choses en matière d'encadrement des nanotechnologies.
- Une pression accrue sur le gouvernement français pour qu'il apporte sa réponse au débat public national de 2009-2010
La note d'analyse10, le document de travail11et plusieurs intervenants au colloque ont rappelé les manquements du gouvernement qui n'a toujours pas apporté de réponse au débat public national de 2009-2010.
La procédure classique prévoit en effet que dans les trois mois suivant la publication du bilan et compte rendu du débat, le maître d'ouvrage annonce sa décision quant aux suites qu'il compte donner au projet à l'aune des opinions exprimées lors du débat public. Le site de la CNDP affiche d'ailleurs toujours que "l'Etat doit rendre publique sa décision quant aux suites à donner à ce débat avant fin juillet". Quinze mois plus tard, cette décision n'est toujours pas connue. La pression sur le gouvernement se fait ainsi de plus en plus forte avec des appels réitérés aux autorités gouvernementales ces derniers mois - notamment le 31 mai dernier, lors d'une audition publique à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) par M. Philippe Deslandes, président de la commission nationale du débat public, et le 18 octobre dernier lors de la rencontre organisée par l'Institut pour la Maîtrise des Risques : "Regards sur les Nanotechnologies : enjeux, risques, perspectives" à Cachan.
- Deux chantiers urgents (mais distincts) à mener :
Le document de travail du CAS rappelle la confusion entre deux chantiers qui ont été brouillés pendant le débat public de 2009-2010 : le débat sur les orientations des recherches futures d'une part, et le débat sur l'encadrement des produits existants d'autre part (p. 7). Les adhérents de l'Avicenn considèrent qu'ils sont complémentaires et à mettre en place chacun au plus vite.
- Débattre des orientations des recherches futures
Le premier chantier concerne le débat sur les orientations des recherches futures, qui doit en effet avoir lieu en amont des futurs développements. La société doit avoir son mot à dire et pouvoir choisir les recherches qu'elle veut privilégier par rapport à celles qu'elle ne souhaite pas voir menées parce qu'elle les juge en opposition avec ses valeurs et le futur qu'elle souhaite construire. Ce chantier ne doit pas être réduit, comme c'est souvent implicitement le cas, aux orientations de la seule recherche publique, car les recherches privées vont aussi bon train - même si moins en France que dans d'autres parties du monde.
Si les préconisations du CAS vont dans le bon sens (associer la société civile à la définition des processus ad hoc, leur calendrier et l'objet des débats), le rythme auquel elles seront mises (ou non) en place devra être suffisamment rapide pour ne pas retarder encore davantage la tenue des débats sur le contenu - l'encadrement des produits existants dans un cas, les orientations des recherches futurs dans l'autre. Car les modalités par lesquelles les citoyens et la société civile peuvent influer sur les programmes de recherche restent certes largement à améliorer. Mais une littérature abondante a déjà été produite sur ces sujets par des chercheurs, cabinets spécialisés sur les questions de concertation publique, ou encore des associations : qu'attendent donc les instances publiques ?
Car en attendant, les financements publics de recherches futures continuent d'être décidés en l'absence de réel débat - tant en Europe sur le 8ème programme-cadre de recherche et développement (8e PCRD)12 de l'Union Européenne qu'en France sur les programmes financés par l'ANR, dans les pôles de compétitivité, pour les "investissements d'avenir" et autres. Or ce sont ces mêmes projets qui bénéficient en outre de financements (publics toujours) visant à accélerer le transfert des découvertes vers l'industrie et les applications commerciales...
- Encadrer les produits existants
Le second chantier, complémentaire mais distinct, concerne lui l'encadrement des produits existants - non plus en amont des orientations de la recherche mais en aval et "au fil de l'eau", c'est-à-dire pendant leur production, leur commercialisation, leur utilisation, leur fin de vie. Car le premier chantier ne doit pas faire oublier l'urgence qu'il y a à s'occuper des nanomatériaux auxquels nous sommes déjà exposés au quotidien et/ou s'accumulant déjà dans notre environnement.
Ce chantier doit s'appuyer sur différents leviers dont on perçoit mal, aujourd'hui, s'ils sont ou non - et si oui dans quelle mesure - intégrés dans les projets des pouvoirs publics et des entreprises impliquées dans les nanos.
La note d'analyse fait bien, implicitement, référence13 au décret sur la déclaration obligatoire des substances à l'état nanoparticulaire en France (en attente de la validation du Conseil d'Etat) qui devrait permettre une meilleure traçabilité des nanomatériaux.
Mais cet outil devra être combiné avec d'autres : management des risques, éducation citoyenne à la consommation, régulations, normalisation, limitation (partielle ou totale) de la vente ou de l'utilisation de certains nanomatériaux notamment, qu'il s'agit d'articuler dans une approche globale, cohérente, et avec une logique de subsidiarité et de répartition des rôles (entre acteurs publics et privés, et tout au long de la chaîne de production).
Comment la France articule-t-elle ses travaux sur le sujet avec les autres initiatives à l'échelle européenne (notamment l'adaptation de REACH aux nanomatériaux, les travaux de normalisation du Comité Européen de Normalisation (CEN)) et internationale (travaux de l'ISO, l'OCDE, de la SAICM par exemple) ? Vos éclairages sont les bienvenus : la veille menée par l'Avicenn est une veille citoyenne et collective, merci de nous aider à mener notre travail d'information pluraliste !
Une adhérente de l'AVICENN est intervenue lors du colloque, en recommandant de se pencher également sur l'expérience acquise sur la traçabilité collective des usages de produits phytosanitaires en agriculture : un exemple de bonne pratique à examiner afin de réfléchir à l'organisation d'une information géolocalisée sur les flux de nanos vendus par les entreprises ?
L'estimation des flux aggrégés de nanomatériaux sur les territoires serait un outil utile et efficace pour construire une co-vigilance prédictive, dans une logique de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).
Aux Etats-Unis, une consultation est d'ailleurs en cours, à l'initiative de l'Agence de Protection de l'Environnement (EPA), pour recueillir plus d'informations sur les sources d'émissions de nanoargent dans l'environnement, le devenir de ce nanoargent et ses conséquences sur la faune et la flore14.
Les adhérents de l'Avicenn interrogent également la répartition des coûts et bénéfices entre le public et le privé concernant les études (éco)toxicologiques : les investissements publics dans la recherche engendrent des bénéfices privés pour les entreprises qui profitent des résultats issus de ces recherches ; la société civile et les agences sanitaires demandent légitimement davantage d'études d'impacts sur les risques émergents ; mais ces dernières, longues 15 et coûteuses, sont insuffisamment prises en charge par l'industrie, qui n'a pas intérêt à les mener ; les financer sur fonds publics pendant que la commercialisation à grande échelle continue est-il pour autant socialement acceptable ?
Ce questionnement a été formulé lors du colloque par Christian GOLLIER, Président de la Toulouse School of Economics, comme une "privatisation des bénéfices" et une "socialisation des coûts". A voir si et comment elle pourrait conduire à une application du principe pollueur-payeur. L'idée d'une taxe sur les nano commercialisées pour financer études de risques et mesures de prévention semble avoir été audible dans les interventions. Le dosage entre démarches volontaires, proactives, immédiates pour une co-vigilance sur les flux de nanomatériaux et une longue négociation sur une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à argumenter sur des risques de pollution est donc posé.
FRANCE : Un an et demi après... : la réponse du gouvernement au débat public nano
FRANCE : Un an et demi après... : la réponse du gouvernement au débat public nano
par MD avec l'équipe Avicenn, 20 février 2012
Le 13 février, les ministres du travail, de lécologie, de lagriculture, de léconomie, de la défense et de la recherche ont enfin signé et transmis au président de la Commission nationale du Débat public (CNDP) les engagements du gouvernement sur les suites à apporter au débat public national sur les nanotechnologies de 2009-2010. Le gouvernement devait rendre sa copie depuis... juillet 2010. Rappel des faits, résumé des principaux engagements et premiers éléments d'analyse par l'Avicenn.
Il faut remonter plus de deux ans en arrière pour resituer dans leur contexte ces "engagements" du gouvernement en terme de développement et de régulation des nanotechnologies. D'octobre 2009 à février 2010, s'était tenu le débat national sur les nanotechnologies, organisé par la Commission nationale du Débat public (CNDP). Il avait rencontré une opposition farouche de militants conduits par le groupe grenoblois Pièces et main doeuvre, pour lesquels le débat n'était qu'une mascarade, un "débat pipeau" destiné à légitimer la "fuite en avant de la technoscience" - puisque le gouvernement français s'était déjà à l'époque engagé massivement dans le soutien des nanotechnologies. La plupart des réunions publiques avaient été perturbées (notamment à Grenoble, Marseille ou Lyon), voire annulées (à Montpellier, Nantes, ou Paris) pour se tenir via Internet1, conduisant certains à qualifier ce débat de "fiasco"2.
- Une réponse gouvernementale différée...
La CPDP avait néanmoins publié un bilan et un compte rendu du débat en avril 2010. La procédure classique prévoit que dans les trois mois suivant la publication du bilan et compte rendu du débat, le maître d'ouvrage (ici les sept ministères concernés) annonce sa décision quant aux suites qu'il compte donner au projet à l'aune des opinions exprimées lors du débat public. Ainsi que le site de la CNDP l'affiche toujours, une réponse officielle du gouvernement sur les suites à donner au débat était attendue "avant fin juillet" (2010...).
- ... et particulièrement attendue
Les interventions se sont multipliées ces derniers mois pour demander au gouvernement de mettre fin à son silence - notamment, le 31 mai 2010, celle de M. Deslandes, président de la CNDP, lors d'une audition publique à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST), ou le 18 octobre 2010 lors de la rencontre organisée par l'Institut pour la Maîtrise des Risques "Regards sur les Nanotechnologies : enjeux, risques, perspectives" à Cachan, et encore lors du Colloque "Comment débattre des nouvelles technologies ?" organisé le 8 novembre 2011 par le Centre d'Analyse Stratégique (CAS)3.
D'aucuns pensaient que le caractère controversé du sujet et le calendrier électoral 2012 avaient d'ores et déjà fait passer cette réponse aux oubliettes. Il est vrai que les divergences entre les sept ministères rendaient l'exercice délicat.
Mais, ainsi que nous l'annoncions dans notre Lettre VeilleNanos n°2 mise en ligne fin novembre dernier4, le projet n'a finalement pas été abandonné : un communiqué interministériel présentant les "engagements" du gouvernement sur les suites à apporter au débat a été établi le 27 octobre 2011 ; il a fallu attendre encore trois mois et demi pour qu'il soit communiqué à la CNDP, dans un courrier daté du 13 février 2012.
Les aléas rencontrés par ce texte - navettes entre ministères, délais, etc. - expliquent notamment le fait que le gouvernement considère qu'il soit nécessaire "qu'une "définition cadre soit adoptée au niveau européen" (p. 3) alors que cette définition existe bel et bien depuis le 18 octobre dernier5... Mais c'est un point de détail. Examinons plutôt les points clés de ces "engagements"...
Les "engagements" du gouvernement sur les suites à apporter au débat public sur les nanotechnologies
Le préambule du communiqué interministériel indique que les attentes et demandes de la société française "ont été entendues par le gouvernement". Les "engagements" du gouvernement, déclinés en trois rubriques - mieux apprécier et prévenir les risques ; informer le public ; associer la société civile à la gouvernance des nanotechnologies - répondent en effet à de nombreux voeux formulés par la majorité des acteurs qui ont participé au débat national6.
- 1 ) Mieux apprécier et prévenir les risques
En matière de recherche > Résumé du communiqué interministériel : le gouvernement déclare vouloir développer la recherche publique dans les domaines de la toxicologie, l'écotoxicologie et la métrologie ; renforcer les travaux de mise au point de méthodes de caractérisation et d'instrumentation ; adapter la formation des personnels exposés ; et amplifier la recherche sur les bénéfices-risques, en prenant en compte l'ensemble du cycle de vie et en réduisant les incertitudes.
> Commentaires de l'Avicenn : Ces annonces devraient être applaudies par ceux qui, nombreux, ont déploré la faiblesse des financements et des études de recherche portant sur les risques environnementaux et sanitaires liés aux nanomatériaux. Des adhérents de l'Avicenn s'interrogent cependant sur la répartition des coûts et bénéfices entre le public et le privé concernant les études (éco)toxicologiques : est-il juste que les études sur les risques soient si peu prises en charge par l'industrie qui bénéficie pourtant des retombées positives de la commercialisation des nanomatériaux ? Les financer sur fonds publics pendant que la commercialisation à grande échelle au profit d'intérêts privés continue est-il socialement acceptable ? L'idée d'une taxe sur les nano commercialisées pour financer des études de risques et des mesures de prévention, selon le principe pollueur-payeur, est encore peu développée. Elle pourrait être au fondement de la création d'une "TGAP nano" (TGAP : taxe générale sur les activités polluantes).
Les "engagements" du gouvernement sont également à mettre en perspective avec le fait que de nouveaux nanomatériaux et nanoproduits sont développés et mis sur le marché à un rythme que ne peut pas suivre la production de connaissances sur les risques, selon un effet de ciseau qu'il serait dangereux d'ignorer. Estimant le coût des études de toxicité, des chercheurs ont proposé une fourchette allant de 250 millions de dollars au minimum, à 1,18 milliards de dollars en fonction du degré de précaution adopté, nécessitant entre 34 et 53 ans d'études pour les nanomatériaux déjà existants7... Plus récemment, Mark Wiesner, directeur du CEINT, spécialiste des effets des nanomatériaux sur l'environnement, considérait que "le nombre et la variété des nanomatériaux est sidérant, il n'y a pas assez d'éprouvettes dans le monde pour procéder à toutes les expériences nécessaires"8.
Croire qu'il sera possible de réduire les incertitudes semble donc illusoire. C'est pourquoi certains scientifiques promeuvent des approches dites "safe by design" et "safe by process" - où il s'agit de minimiser la toxicité et l'exposition aux différentes étapes du cycle de vie des nanomatériaux en contrôlant les méthodes de synthèse, de stockage et/ou dintégration des nanomatériaux dans les produits finaux.
Certaines associations considèrent quant à elles que "lurgence publique est dinvestir dabord dans la réduction des pollutions, la prévention des cancers, la sobriété énergétique, laccès à leau et à la nourriture avant de développer, sans véritable instance de contrôle ou déthique, les nanoproduits", ainsi que le rapportait le Président de la CNDP en avril 2010 à l'issue du débat9.
En terme de développement > Résumé du communiqué interministériel : Le gouvernement se dit prêt à soutenir l'étiquetage des produits contenant des nanomatériaux mis à disposition du grand public10, la prévention des risques professionnels, la traçabilité, les actions volontaires de certification, la réalisation d'un état des lieux, dans chaque région, des gisements de déchets de nanomatériaux. > Commentaires de l'Avicenn : Concernant la traçabilité, l'Avicenn recommande d'examiner l'expérience acquise sur la traçabilité collective des usages de produits phytosanitaires dans l'agriculture, qui pourrait permettre de réfléchir à l'organisation d'une information géolocalisée sur les flux de nanos vendus par les entreprises.
Au niveau social et éthique > Résumé du communiqué interministériel : Les sept ministères promeuvent le développement et la diffusion des travaux en sciences humaines et sociales autour des nanotechnologies. > Commentaires de l'Avicenn : Une recommandation à considérer avec précaution : il ne doit pas s'agir ici de rechercher à favoriser lacceptation des nanotechnologies par la société11.
> Résumé du communiqué interministériel : Les ministères souhaitent "encourager" tous les grands organismes de recherche à se doter d'un comité d'éthique. > Commentaires de l'Avicenn : Ce point sensible a fait l'objet d'échanges animés pendant le débat public national, lors duquel Gérard Toulouse, membre du comité éthique INRA-CIRAD, avait dénoncé le fait que le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) n'avait pas mis en place de comité d'éthique, pourtant exigé par un Comité interministériel de 1998. Jean-Philippe Bourgoin, directeur du programme "Nanosciences" du (CEA) avait rédigé une contribution spécifique pour s'en expliquer : "Questions éthiques et nanotechnologies au CEA".
Enfin, le gouvernement prévoit d'appeler la CNIL à renforcer son action de veille et d'alerte sur les impacts sociétaux des applications (atteintes aux libertés individuelles, "hyper-traçabilité" des personnes).
- 2 ) Informer le public
> Résumé du communiqué interministériel : Les ministères annoncent la création d'un portail gouvernemental interministériel : nano.gouv.fr devrait ainsi donner accès aux connaissances et informations publiques sur les nanotechnologies et nanosciences. > Commentaires de l'Avicenn : Ce portail constituerait un élément du "puzzle" dont les acteurs de la veille citoyenne ont en effet besoin, avec néanmoins la nécessité d'exercer une vigilance attentive pour décrypter ce qui relève effectivement de l'information et ce qui pourrait relever plutôt de la promotion. Il devrait être complété également par une mise à disposition auprès du public des informations relatives à la R&D privée, que l'Avicenn considère comme important de ne pas négliger.
> Résumé du communiqué interministériel : Le communiqué rappelle la mise en place en cours de la déclaration annuelle des substances à létat nanoparticulaire - dont le décret vient d'être publié au Journal Officiel. > Commentaires de l'Avicenn : On attend également les résultats de la consultation sur le projet d'arrêté lancée en décembre dernier par le Ministère de l'Ecologie12. Rappelons ici qu'au regret de nombreux acteurs sanitaires et environnementaux, les données fournies à l'ANSES ne seront pas compilées sous forme d'inventaire accessible au public : beaucoup resteront confidentielles, au nom du respect du secret industriel ou commercial.
Enfin, le gouvernement encouragera les actions de diffusion d'informations scientifiques auprès du grand public. Ici encore, quelle ligne de partage entre information et promotion ?
- 3 ) Associer la société civile à la gouvernance des nanotechnologies
Dernier point mais non des moindres, celui de la "gouvernance" des nanotechnologies. > Résumé du communiqué interministériel : Le gouvernement affiche une volonté de dialogue avec la société civile et de transparence sur les finalités de la recherche et du développement des nanotechnologies.
Le Commissariat général au Développement durable assurera le secrétariat d'un groupe de travail interministériel (la "task-force nano") qui animera un travail incluant les différentes "parties prenantes" et élaborera le cahier des charges du site d'informations nano.gouv.fr.
> Commentaires de l'Avicenn : En matière de dialogue et d'échanges, la création en 2012 à lANSES dun comité de dialogue sur les nanomatériaux, annoncée en septembre dernier, est effectivement en cours, avec pour but déclairer lAgence sur ses orientations en matière de recherche et dexpertise. On ne peut que se féliciter de cet effort en vue de donner aux ONG et autres acteurs encore peu impliqués jusquà présent la capacité dargumenter pour peser dans les décisions publiques en amont des orientations des nanosciences.
On attend de voir ce que les autres instances citées dans le communiqué (CCNE, CPP, CNIL, CNC, CPU, CGE, CNRS, CEA, INERIS, AFSSAPS, Agence de Biomédecine, INVS, INRS) proposeront en ce qui les concerne... et avec quels moyens.
Comment concrétiser les "encouragements" en de véritables "engagements" ?
Le communiqué interministériel ne précise pas les moyens humains, financiers, juridiques, institutionnels et/ou techniques qui seront dédiés à chacun des "engagements" listés.
Elle ne dit rien non plus des éventuelles mesures qui pourraient venir sanctionner le non-respect des orientations fixées. Or la faiblesse des amendes prévues en cas de non respect de l'obligation légale de déclaration des substances à létat nanoparticulaire par exemple (3000 euros avec astreinte journalière de 300 euros) a par exemple été vivement critiquée car jugée insuffisamment dissuasive.
Quels sont les gages prévus par le gouvernement pour garantir aux nombreuses organisations (l'ANSES, la CNIL, l'ANR et l'INERIS notamment) et personnes investies dans la régulation et la co-vigilance autour du développement des nanotechnologies que ces "engagements" soient véritablement "engageants" et ne se limitent pas à de simples "encouragements"... autrement dit à une liste de voeux pieux ?
Il reste donc à expliciter concrètement la façon dont les ministères entendent les mettre en oeuvre, et avec quelle coordination entre eux : aux Etats-Unis, le Conseil National pour la Recherche a tout récemment produit un rapport sur les orientations stratégiques pour l'évaluation des risques liés aux nanotechnologies dans lequel il souligne la nécessité de développer un plan cohérent et hiérarchisé de recherche sur les risques liés aux nanotechnologies, et dénonce la schizophrénie de la National Nanotechnology Initiative (NNI) : censée coordonner les ministères et agences fédérales impliquées dans la recherche en nanotechnologies, elle est prise en tenaille par deux objectifs antagonistes : promouvoir les nanotechnologies tout en en atténuant les risques...
A cette difficulté s'ajoute celle du calendrier politique et électoral : il est peu probable que l'actuel gouvernement décline plus concrètement ces "engagements" avant les élections. Combien de temps faudra-t-il alors attendre pour voir les premières mesures se concrétiser ?
NOTES 1 - Pour un rappel et une analyse des faits, voir notamment :
l'ouvrage du sociologue Brice Laurent, Les politiques des nanotechnologies, 2010, pp.179 à 188 : "Le débat public CNDP ou la représentation des arguments à lépreuve
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