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Relargage et devenir des nanomatériaux dans l'eau
Relargage et devenir des nanomatériaux dans l'eau
Par MD et DL - Dernier ajout avril 2020
Cette fiche fait partie de notre dossier Nano et Eau : elle a vocation à être complétée et mise à jour avec l'aide des adhérents et veilleurs d'Avicenn. Vous pouvez vous aussi contribuer à l'améliorer en nous envoyant vos remarques à l'adresse redaction(at)veillenanos.fr. Sommaire :
- Quelles quantités de nanomatériaux sont relarguées dans l'eau ?
La quantité de nanoparticules relarguées dans l'eau est aujourd'hui inconnue. L'un des défis majeurs tient au fait qu'on ne sait pas bien détecter les nanoparticules dans l'eau à faible concentration1.
Différentes modélisations2 ont été réalisées pour tenter de quantifier les concentrations et les flux de différents types de nanoparticules manufacturées dans l'environnement. Cependant, ces exercices sont basés principalement sur les estimations de quantités produites de nanomatériaux manufacturés plutôt que sur des estimations de quantités de nanomatériaux manufacturés contenus dans les produits de consommation3.
En 2013, des chercheurs ont estimé qu'entre 0,4 à 7% des 300 000 tonnes de nanomatériaux manufacturés produits dans le monde en 2010 ont été relargués dans l'eau4. Mais ces chiffres sont bien en deça de la réalité puisqu'on a appris la même année grâce à la déclaration obligatoire française que pas moins de 500 000 tonnes de "substances à l'état nanoparticulaire" avaient été produites ou importées sur le seul territoire français en 20135 !
- Quelles sont les sources de relargage de nanomatériaux dans l'eau ?
Des nanomatériaux peuvent être libérés dans l'eau :Illustration Géraldine Grammon, 2017
dans les effluents industriels émanant d'entreprises dans lesquelles des nanomatériaux sont produits / manipulés / transformés
lors de la baignade des personnes ayant appliqué de la crème solaire contenant des nanoparticules6
lors des lavages pour les textiles auxquels des nanoparticules ont été appliquées7
sous l'effet du ruissellement des eaux de pluie pour les ciments et peintures extérieures recouverts de nanorevêtements8 et suite au lessivage de sols contaminés
sous l'effet de la corosion des peintures appliquées sur les bateaux (certaines contiennent des nanoparticules d'oxyde de cuivre pour empêcher les petits crustacés et les moules de se fixer sur la coque9)
par le dépôt de particules transportées par voie atmosphérique
suite à un déversement accidentel
- Quels sont les nanomatériaux les plus susceptibles d'être présents dans l'eau ?
Du fait des incertitudes sur les volumes de nanomatériaux commercialisés et relargués dans l'eau, les estimations des scientifiques ne sont pas concordantes et varient en fonction des méthodes et hypothèses utilisées et des pratiques des différents pays (épandage des boues des stations d'épuration versus incinération par exemple) :
selon une étude récente, les nanoparticules dont les concentrations sont susceptibles d'être les plus élevées dans l'eau traitée au Royaume-Uni sont les nanoparticules de dioxyde de titane et les nanoparticules de zinc (émanant des crèmes solaires et autres cosmétiques) et les nanoparticules de silice (dentifrice) ; les nanoparticules à base de carbone, de fer ou d'argent n'arrivent qu'en 6ème, 7ème et 8ème positions, et les nanoparticules d'oxyde de cerium sont celles dont les concentrations sont les plus faibles10.
selon une autre estimation portant sur le Danemark cette fois, les plus fortes concentrations de nanoparticules dans les systèmes aquatiques concerneraient les particules de noir de carbone et de TiO2 photostable (contenu dans les crèmes solaires et non pas celui contenu dans les peintures photocatalytiques), suivies par le carbonate de cuivre (CuCO3, en supposant que son utilisation comme agent de protection du bois va s'accroître). Les traitements des eaux conduiraient à des concentrations extrêmement faibles de nanoparticules d'oxydes de zinc (ZnO) et de nanoparticules d'argent dans l'environnement11.
En France, des chercheurs ont constaté un accroissement de la présence d'argent dans l'estuaire de la Gironde12 dont les causes depuis 2005 sont encore mal connues, mais potentiellement liées... :
à l'érosion des sols agricoles,
à l'ensemencement des nuages (solution d'iodure d'argent) pour éviter les impacts de la grêle sur les récoltes de vigne et l'arboriculture,
aux rejets des eaux usées des collectivités.
Devenir des nanomatériaux dans l'environnement aquatique
Les connaissances sur le devenir des nanomatériaux dans l'eau commencent à se développer mais restent encore très limitées. En raison de leur petite taille et surtout de leur forte réactivité, les nanomatériaux ont en effet tendance à interagir avec quasiment tous les éléments présents dans l'eau (matériaux minéraux, chimiques ou biologiques), selon des configurations très variables en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques et de la composition du milieu.
Dans l'eau, les nanomatériaux peuvent subir des modifications :
des phénomènes de dissolution peuvent intervenir (plus particulièrement sur les nanoparticules d'argent et d'oxyde de zinc) et être d'autant plus importants que les particules sont petites13
des phénomènes d'adsorption peuvent entraîner la fixation d'autres éléments (dont des polluants) à la surface des nanoparticules14
des phénomènes d'agglomération des nanomatériaux ont été constatés dans les eaux naturelles15.
> Phénomènes pouvant altérer les nanomatériaux dans l'environnement - Camille Larue, 201116
Certains nanomatériaux ont tendance à sédimenter par gravité et s'accumuler dans les sédiments (notamment dans le cas de nanomatériaux agrégés et/ou hydrophobes comme les nanotubes de carbone17) ce qui augmente les risques de contact avec des microorganismes qui vivent sur les sédiments aquatiques. D'autres auraient au contraire tendance à rester en suspension (notamment s'ils sont enrobés avec un revêtement de surface hydrophile) et se disperser facilement, augmentant le risque d'exposition18.
Leur dégradation, ou à l'inverse leur persistance, sont elles aussi complexes à déterminer et varient en fonction des nanomatériaux et de la qualité des eaux :
Selon une étude de 2011, les nanomatériaux carbonés (fullerènes C60, nanotubes de carbone) ne sont pas biodégradables en milieu liquide dans l'environnement18.
Une autre étude dont les résultats ont été rendus publics en 2011 également19 a été menée sur des nanoparticules d'oxydes de zinc (ZnO) et de dioxyde de titane (TiO2) dans l'eau de Seine ; elle a montré que :
la forme nanoparticulaire du TiO2 n'est pas davantage soluble que ses homologues microparticulaire ou macroparticulaire
à l'inverse, pour une bonne part, les nanoparticules d'oxydes de zinc sont rapidement dissoutes dans l'eau de Seine
l'enrobage, en fonction de sa nature, peut diminuer ou augmenter la dissolution des nanoparticules.
Les nanomatériaux en général auraient tendance à être stabilisés dans les médias de faible force ionique et de forte teneur en carbone organique dissous (COD)20.
Aux USA, Marie Simonin poursuit avec le CIENT les études d'impact de NP en mésocosmes. Elle a co-signé en 2018 deux publications en anglais (indiquées en bas de cette page) :
- l'une montre que la biotransformation de nanoparticules ne doit pas être ignorée, même pour les nanoparticules généralement considérées comme stables dans l'environnement (ici des nanoparticules d'or).
- l'autre étudie les impacts d'une nanoparticule d'or enrobée de citrate et d'un pesticide commercial contenant des nanoparticules de cuivre (OH) sur des producteurs primaires aquatiques dans des conditions de nutriments ambiants et enrichis (cela reproduit des rejets de fertilisants). Les mésocosmes des zones humides ont été exposés à plusieurs reprises avec de faibles concentrations de nanoparticules et de nutriments au cours d'une expérience de neuf mois visant à reproduire des scénarios d'exposition réalistes sur le terrain. En l'absence d'enrichissement en nutriments, il n'y avait pas d'effets persistants des nanoparticules d'or ou de cuivre sur les producteurs primaires ou la productivité des écosystèmes. Cependant, combinés à un enrichissement en nutriments, les deux types de nanoparticules intensifient leur eutrophisation. Lorsque l’une ou l’autre de ces nanoparticules a été ajoutée en combinaison avec des nutriments, les efflorescences d’algues ont persisté 50 jours de plus que dans le traitement avec nutriments seulement. Ces deux contaminants émergents et les produits chimiques de synthèse peuvent jouer un rôle sous-estimé dans les tendances mondiales à l’augmentation de l’eutrophisation. L'étude montre que l'exposition chronique aux nanoparticules d'or et oxyde de cuivre à de faibles concentrations peut intensifier l'eutrophisation des zones humides et favoriser la prolifération d'algues.
Transfert à travers les milieux poreux
Les processus de transfert à travers un milieu poreux (sol ou aquifère) sont également l'objet de travaux de recherche. Des expériences sont réalisées en présence d'une phase solide ou à travers une phase solide. Elles permettent une meilleure compréhension des processus d'adsorption, de l'impact de l'hydrodynamique et de l'agrégation sur les processus de transport des nanoparticules. Les premières expériences réalisées sont toutefois réalisées sur des modèles très simplifiés tels que des billes de silice. Les essais en milieu plus complexe comprenant plusieurs minéraux et intégrant la matière organique naturelle commencent seulement à se développer21.
Les nanoparticules d'argent en milieu naturel : cas d'un estuaire, Millour M, UQAR (Université du Québec à Rimouski), intervention au 83e du Congrès de l'Acfas, Colloque 210 - Présence, persistance, devenir et effets des nanomatériaux dans l'environnement, mai 2015
Les nanoparticules : quels risques en Seine ?, Yann Sivry et al., communication aux 22èmes Journées Scientifiques de l'Environnement - Reconquête des environnement urbains : les défis du 21ème siècle, février 2011
6 - En 2014, des chercheurs espagnols ont ainsi estimé que l'activité touristique sur une plage de Méditerranée durant une journée d'été peut relarguer de l'ordre de 4 kg de nanoparticules de dioxyde de titane dans l'eau, et aboutir à une augmentation de 270 nM/jour de la concentration en peroxyde d'hydrogène (une molécule au potentiel toxique, notamment pour le phytoplancton qui constitue la nourriture de base des animaux marins). Cf. Écrans UV nanos : un danger pour la vie marine, L'Observatoire des Cosmétiques, 5 septembre 2014
Des chercheurs du CEREGE en France ont de leur côté mesuré la concentration en titane dans l'eau de trois plages de Marseille et ont estimé à 54 kilos par jour le poids de TiO2 relargué dans les deux mois d'été pour une petite plage. Voir :
19 - Cf. Les nanoparticules : quels risques en Seine ?, Yann Sivry et al., communication aux 22èmes Journées Scientifiques de l'Environnement - Reconquête des environnement urbains : les défis du 21ème siècle, février 2011
Ce site est édité par l'association Avicenn qui promeut davantage de transparence & de vigilance sur les nanos.
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