Par l'équipe Avicenn - Dernière modification décembre 2020
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Les nanotechnologies désignent les procédés de fabrication et/ou de manipulation de structures à l'échelle nanométrique (nm), celle de l'infiniment petit : "nano" vient du grec "nannos" et signifie "nain" ⇒ 1 nanomètre = 10-9 mètre = 0,000 000 001 m = 1 milliardième de mètre. On se situe aux échelles moléculaire et atomique : à titre indicatif :
certains virus font une centaine de nm de diamètre
l'ADN humain a une largeur de 2 nm,
et un atome de carbone ou d'hydrogène mesure 0,1 nm :
Plusieurs définitions très techniques existent pour les "nanomatériaux" ; ce sont des nano-objets, comme des nano-grains mais qui peuvent avoir des formes très différentes (fils, plaquettes, particules ou substances nanoporeuses) et qui sont généralement regroupés entre eux, notamment sous forme de poudre. D'un point de vue chimique, pour simplifier on peut les considérer comme des substances différentes des substances "classiques", différentes à deux points de vue :
d'une part au niveau de la taille, car ce sont particules sont de très petite dimension, puisqu'on se situe à l'échelle nanométrique
d'autre part, les nanoparticules et nanomatériaux ont des propriétés différentes de celles des matériaux classiques : ils peuvent changer de couleur ou devenir plus conducteurs, plus solides, plus photocatalytiques par exemple.
Le terme "nano" a pris son essor depuis la fin du 20ème siècle en devenant un mot sésame souvent associé à l'idée de "prochaine révolution industrielle et porteur de "promesses" - voire de "miracles"1, selon un registre largement relayé par les chercheurs dans leurs demandes de financements, puis par certaines entreprises pour séduire leurs clients.
Avec l'émergence des préoccupations concernant les risques suscités par les nanos, le terme "nano" est parfois devenu plus un handicap qu'un atout, au point de disparaître de certaines communications commerciales.
On trouve également les "nanos" sous l'acronyme NBIC qui désigne la convergence des nanotechnologies (N) avec les biotechnologies (B), sciences de l'information (I), et sciences cognitives (C).
Un autre terme englobant les "nanos" a plus récemment fait son apparition : les "technologies clés génériques" (Key Enabling Technologies, KET) promues par l'Europe.
Le sigle NOAA est de plus en plus utilisé, il désigne les Nano-objets manufacturés, leurs agrégats et agglomérats.
Les nanomatériaux en quelques mots
Les nanomatériaux manufacturés désignent des matériaux à l'échelle nanométrique fabriqués par l'homme ; ils possèdent des propriétés "extraordinaires" (au sens propre du terme) par rapport aux matériaux structurés à l'échelle micro- ou macroscopique. Ils sont différents :
... des nanoparticules naturelles que l'on trouve dans les poussières d'érosion ou d'éruption volcanique, ou encore dans les embruns marins par exemple. De nombreux virus sont également de taille nanométrique.
... ainsi que des nanoparticules dites "incidentelles" qui sont produites "involontairement" et sont présentes :
dans les peintures mayas, des verreries romaines (coupe de Lycurgue) ou dans des épées de Damas du Xème siècle, dans les fumées de combustion du bois, etc. bien antérieures à la période industrielle
et plus largement dans les fumées industrielles ou celles émanant des moteurs diesel et autres particules dites "ultra-fines"2, des grille-pains ou des fours par exemple, ou encore par l'usure des pneus et des plaquettes de freins3, etc.
S'il existe déjà plusieurs centaines de substances différentes commercialisées à l'échelle nano (plus de 300 sont enregistrées dans le registre français r-nano et également listés sur l'observatoire européen des nanomatériaux), la très grande majorité des nanomatériaux utilisés par l'industrie appartiennent aux quatre catégories suivantes :
Ils se présentent le plus généralement sous forme de poudres ultra-fines (dans des crèmes, des lotions, des sprays, des pansements...), auxquelles les humains ou l'environnement peuvent être directement exposés.
Ils peuvent être incorporés dans des matériaux solides (comme les nanotubes de carbone dans des cadres de vélos), auquel cas ils n'entrent pas directement en contact avec les humains ou l'environnement lors de leur utilisation, mais potentiellement pendant leur production ou lors de la dégradation des produits.
Les nanomatériaux utilisés depuis plusieurs dizaines d'années dominent encore le marché : dioxyde de titane, noir de carbone dans les pneus, silice amorphe synthétique dans l'alimentaire, carbonate de calcium, dioxyde de cérium, oxyde de zinc, argent. Plus de 80 pigments de taille nano ont été recensés sur le marché européen en 2018 par l'agence européenne des produits chimiques (ECHA).
De nouveaux nanomatériaux plus récents apparaissent mais ils sont produits (pour l'instant) en moindre quantité : nanotubes de carbone, nanofibres, fullerènes, graphène, quantum dots...
Des "nano-alliages" de métaux sont également l'objet de recherche & développement.
Des financements européens conséquents sont dédiés à l'intégration des nanomatériaux dans les lignes de production existantes, par exemple dans les secteurs de l'emballages, de l'automobile ou des panneaux solaires9.
Enfin, il ne faut pas négliger les matériaux de pointe qui déploient des propriétés spécifiques à l'échelle nanométrique (céramiques et polymères de pointe10, matériaux composites intelligents, matériaux bio-actifs), qui ne font à ce jour l'objet d'aucune prise en compte réglementaire alors que leur utilisation et dissémination soulèvent elles aussi des questions importantes, sans information de la part des industriels11.
Des propriétés spécifiques
L'intérêt et l'essor croissant des nanomatériaux s'expliquent par les propriétés spécifiques qu'il est possible de créer en modifiant la matière à l'échelle nanométrique, notamment la taille ou d'autres caractéristiques physico-chimiques des matériaux.
Des propriétés nouvelles ou plus marquées apparaissent, notamment du fait de la petite taille des nanomatériaux qui leur confère une surface de réaction plus grande que le même matériau non nanométrique (le ratio surface / volume est plus important).
Ainsi, certains nanomatériaux voient leurs propriétés renforcées. De même que des cristaux de sucre en poudre se dissolvent plus aisément dans de l'eau chaude que des carrés de sucre, les nanomatériaux sont donc plus réactifs que les matériaux non nano.
Le nano-argent devient par exemple un antibactérien très efficace.
Le carbone, lui, peut devenir jusqu'à cent fois plus résistant que l'acier
D'autres propriétés totalement nouvelles apparaissent12. Par exemple, à l'échelle nanométrique, l'or peut devenir rouge, l'aluminium devenir explosif, le dioxyde de titane ou le cuivre peuvent devenir transparents.
Au niveau industriel, ces nouvelles propriétés des nanomatériaux sont perçues comme des opportunités dans de nombreux domaines d'application, d'où le nombre croissant de brevets chaque année13.
Une crème solaire contenant des nanoparticules d'oxyde de titane (TiO2) est plus transparente qu'une crème "classique" dont le TiO2 n'est pas nano, évitant ainsi les dépôts blancs sur la peau, ce que les marques utilisent comme arguments de vente.
La plupart des nanoproduits aujourd'hui sur le marché offrent des avantages dus à l'adjonction de poudres nanoparticulaires qui leur confèrent de nouvelles propriétés, aux atouts divers :
élimination des bactéries (et des mauvaises odeurs) pour le nanoargent, utilisé dans les textiles, les pansements, les sprays désinfectants, les revêtements des frigos, des claviers, des emballages alimentaires...
résistance et légèreté pour les nanotubes de carbone, qui constituent un atout majeur notamment pour l'industrie des transports
effet anti-agglomérant et donc fluidifiant pour les nanosilices à usage alimentaire, utilisées dans les sucres en poudre, les sels de table, etc.
effet catalytique (déclenchement de réactions chimiques) pour des nanoparticules métalliques, avec des applications dans le domaine de la santé
effet "anti-buée" obtenu par un feuilletage de nanoparticules d’or et de dioxyde de titane
...
Se méfier des chiffres sur les marchés des nanos
La vigilance est de rigueur devant les chiffres mirobolants14 publiés pour quantifier la "valeur" (monétaire) des marchés des nanotechnologies ; fournis par des cabinets de prospective ou d'analyses de marché, les plus ambitieux intègrent par exemple la valeur des objets incorporant des nanomatériaux et pas uniquement la valeur des nanomatériaux concernés. Ces chiffres doivent être pris pour ce qu'ils sont : des "constructions" de groupes d'intérêts fondés sur des supputations, projections ou rêves pas forcément fidèles à la réalité. Ils donnent une fausse impression d'objectivité, qui ne doit pas cacher les intérêts mercantiles de ceux qui les promeuvent et qui ont intérêt à présenter l'essor des nanotechnologies comme inéluctable15.
Quid des risques ?
Mais qui dit "propriétés nouvelles" dit aussi "risques nouveaux"
Au niveau international, plusieurs définitions des nanomatériaux co-existent avec des critères différents (ISO, OCDE, Scenihr, SCCP, Règlements européens, ACC, etc.)16. A titre illustratif :
l'Organisation internationale de normalisation (ISO) définit un nanomatériau comme étant un matériau dont au moins une dimension externe est à l'échelle nanométrique ou qui possède une structure interne ou de surface à l'échelle nanométrique (l'échelle nanométrique étant présentée comme comprise "approximativement" entre 1 et 100 nm) ; elle a adopté le terme NOAA pour englober l'ensemble des "Nano-Objects, their Agglomerates and Aggregates greater than 100 nm"
le Règlement cosmétique européen comporte encore une autre définition spécifique : "un matériau insoluble ou bio-persistant, fabriqué intentionnellement et se caractérisant par une ou plusieurs dimensions externes, ou une structure interne, sur une échelle de 1 à 100 nm".
le Règlement INCO (sur l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires) et le Règlement Novel Food définissent quant à eux un nanomatériau comme un "matériau produit intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions de l'ordre de 100 nm ou moins, ou composé de parties fonctionnelles distinctes, soit internes, soit à la surface, dont beaucoup ont une ou plusieurs dimensions de l'ordre de 100 nm ou moins, y compris des structures, des agglomérats ou des agrégats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm mais qui conservent des propriétés typiques de la nanoéchelle"
Ci-dessous un tableau récapitulatif des différentes définitions réalisé par le Haut Conseil de la Santé publique en 2018 à partir des travaux de DR Boverhof : Source : HCSP, Bilan des connaissances relatives aux effets des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) sur la santé humaine
Définition des nanos : quelles stratégies de la part des entreprises important, produisant ou distribuant des nanos ?
La procédure de révision de la définition européenne des nanomatériaux fera-t-elle l'objet d'un lobbying par l'industrie en faveur d'une définition des nanomatériaux qui soit la moins large possible afin que les règlementations soient les plus "allégées" possibles ? C'est probable, même si certains grands groupes industriels peuvent avoir intérêt à ce que la définition et les informations à fournir (par exemple dans le cadre de REACH) soient relativement précises, ce qui leur conférerait un avantage concurrentiel par rapport à d'autres entreprises qui disposent de moindres moyens (techniques et financiers).
La co-existence de différentes définitions complexifie le travail des producteurs / importateurs / distributeurs qui doivent déclarer leurs nanomatériaux aux autorités sanitaires, comme c'est le cas en France et dans d'autres pays d'Europe également. (Mais cette situation aurait pu être évitée si le projet de registre européen des nanomatériaux avec une définition harmonisée au niveau communautaire n'avait pas été entravé par la Commission européenne sous la pression de certaines fédérations industrielles).
D'où la tentation pour certains industriels d'adopter des stratégies d'évitement, avec la mise au point de nanomatériaux dont la taille et la distribution en nombre peuvent flirter avec les seuils fixés (avec des particules dépassant les 120 nm par exemple) afin d'échapper à la règlementation... tout en conservant les propriétés recherchées ?
Définir les nanos : une nécessité ?
Comme Andrew Maynard avant eux17, des chercheurs français ont néanmoins récemment écrit qu'"une définition institutionnelle n'est pas une condition sine qua non pour gérer les risques et que l'absence de définition ou, pour le cas présent, la multiplicité de définitions provenant de sources multiples, ne crée ni un vide ni une aggravation des difficultés d'appréhension des problématiques de gestion des risques". Les chercheurs considèrent également qu'"une seule définition, si elle veut demeurer opérationnelle, ne peut embrasser toute la complexité des questions relatives à l'état nano d'une particule. Une définition scientifique des nanoparticules et nanomatériaux n'est d'ailleurs pas spécifiquement utile pour étudier s'ils présentent ou non un risque pour la santé ou plus largement pour l'environnement"18.
Pour une analyse synthétique des tenants et aboutissants des débats autour d'une définition unique des nanomatériaux, voir l'article de Georgia Miller et Fern Wickson19 .
Afin de développer une approche en phase avec la responsabilité sociale des entreprises (RSE), les entreprises et distributeurs dans leur ensemble devraient s'inscrire dans une démarche de co-vigilance : anticiper les impacts d'une utilisation massive de ces matériaux aux propriétés spécifiques à l'échelle nanométrique et de leur relargage dans l'environnement afin de privilégier le choix et l'éco-conception de matériaux les moins dangereux et de minimiser les risques, partager les informations avec les autres acteurs en amont et en aval de la chaîne de production (jusqu'au consommateur final), etc.
A suivre...
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2 - Parmi les particules "ultrafines" (PUF) émises dans l'air, une partie est à la taille nanométrique : En savoir +
Voir par exemple le projet participatif NanoEnvi, financé par le CNRS, porté par le laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET- CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier/IRD/CNES) de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP), associant des chercheur.e.s en magnétisme de l’environnement, en sociologie et en physique du Laboratoire d’aérologie (LA – CNRS/ Université Toulouse III – Paul Sabatier) et du Laboratoire de physique et chimie des nano-objets (LPCNO – CNRS/ Université Toulouse III – Paul Sabatier/INSA).Mélina Macouin, chercheuse CNRS au Laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET-OMP, CNES/CNRS/IRD/UT3 - Paul Sabatier)
L’étonnant rénovateur de coques de bateau PadXpress, Voile et moteur, février 2019 : PadXpress est un cylindre en mousse intégrant une crème aqueuse avec des nanoparticules de silicium utilisé pour rénover les coques de bateau
Nanomatériaux: une mine de propriétés nouvelles, Annick Loiseau, physicienne, directrice de recherche à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera), Laboratoire mixte d'étude des microstructures (Lem/Onera-CNRS), 2014
14 - Cf. Nanotechnology Market 2020, Data Bridge Market Research, 14 août 2020 : "Le marché mondial des nanotechnologies devrait atteindre 24,56 milliards de dollars d'ici 2025, avec un taux de croissance annuel moyen de 16,5 % au cours de la période de prévision de 2018 à 2025"
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