Nano et Covid-19 - Entre promesses et peurs, quelle vigilance ?
Nano et Covid-19 - Entre promesses et peurs, quelle vigilance ?
Par l'équipe Avicenn - Dernière modification 15 janvier 2021
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Promesses des nanotechnologies et nanomatériaux dans la lutte contre le covid-19
Le covid-19 donne lieu à une course contre la montre pour trouver et mettre au point le plus rapidement possible des dispositifs de tests, de prévention et de traitement du virus. Au sein de la communauté scientifique et industrielle, les promesses et les investissements relatifs aux apport des nanomatériaux dans la lutte contre le coronavirus sont allés croissants depuis l'émergence de la pandémie1. A titre illustratif, nous avons relevé quelques exemples d'applications (en cours de développement ou déjà commercialisées) de nanomatériaux visant à combattre le covid-19, sans prétention à l'exhaustivité :
voire même des traitements antiviraux et/ou des traitements des infections dues au covid-194
des équipements de protection individuelle avec des revêtements à base de nanoparticules - pour des masques5, blouses ou gants6 - et/ou constitués d'un tissage à base de nanofibres7
des produits désinfectants ou des revêtements de surface pour les lieux, espaces ou équipements publics8 (poignées de portes, barres et rampes dans les transports en commun, etc.)
des appareils de filtration / purification de l'air9 (à propos desquels l'Anses avait émis un message de vigilance en 201710)
Certaines de ces "promesses" - sont relayées dans les médias voire dans certaines revues académiques, sans être nécessairement très étayées11 ou sans nécessairement respecter les règles de procédure classiques des publications scientifiques. C'est le cas, plus particulièrement, de plusieurs tentatives de promotion du nanoargent dont l’efficacité contre le covid-19 n’est pas scientifiquement établie12.
Ceci n’exclut aucunement que des nanomatériaux puissent offrir des solutions efficaces en dehors des seuls laboratoires. Cependant, comme pour les autres applications médicales, la vigilance doit être de mise : attention à ne pas sous-estimer la toxicité des nanomatériaux, qui demandent des garde-fous appropriés. Leurs risques pour la santé et les effets indésirables de leur dissémination à large échelle dans l'environnement ne sont ni négligeables, ni rigoureusement évalués. Sans compter que les questions posées par le recyclage ou l'élimination des nano-déchets n'ont pas de réponse étayée à ce jour.
Les enjeux ne se posent pas selon le même tempo et avec la même ampleur pour les différentes applications nano : si la mise au point et le contrôle des vaccins ou traitements médicaux demandent nécessairement un temps long, la commercialisation croissante de désinfectants et d'équipements de protection contenant des nanomatériaux (masques ou blouses par exemple) est quant à elle davantage susceptible de conduire à une exposition à grande échelle et à court terme de la population et de l'environnement. L'urgence sanitaire liée au covid-19 ne saurait faire oublier, ou conduire à contourner, toutes les questions soulevées de longue date concernant les risques associés aux nanoparticules, nanomatériaux et nanotechnologies.
Aux Etats-Unis, les pouvoirs publics ont contacté plusieurs entreprises14 et un célèbre conspirationniste propriétaire d'un site de vente en ligne15 pour leur demander de cesser de promouvoir les vertus anti-covid-19 de leurs produits à base, entre autres, de nanoargent. Quid en France et au niveau européen ?
Il y a fort longtemps que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a communiqué de façon volontariste sur le sujet "nano"16 : ses messages demeurent néanmoins d'actualité ; le recours aux nanomatériaux suppose que le bénéfice attendu soit significatif par rapport à d’autres solutions, dont la toxicité et l’écotoxicité sont mieux connues. Reste à savoir si des actions spécifiques de surveillance sont déployées dans le contexte actuel afin de protéger les soignants, les patients et, plus largement, la population générale et l'environnement. Avicenn a interrogé l'ANSES, l'ANSM, le ministère de la santé, le ministère de la transition écologique et la DGCCRF, nous vous tiendrons informés de leurs réponses. A suivre donc...
En attendant, en vertu du principe de précaution, la recherche doit continuer en démontrant sa capacité à trouver des solutions (vraiment) efficaces mais aussi à maîtriser les risques des applications projetées.
Peurs (et rumeurs) autour des nanoparticules dans les vaccins et tests PCR
Dans le cadre de sa veille, l’association Avicenn a observé depuis la crise sanitaire du Covid-19 une augmentation très significative, sur les réseaux sociaux, des propos complotistes17 alertant sur l'utilisation prétendument délibérée de nanoparticules, dans les vaccins (et de façon plus transitoire, entre septembre 2020 et novembre, dans les tests PCR), à des fins d'asservissement voire d'extermination de la population. Ces rumeurs, sans fondement scientifique robuste, existaient déjà auparavant au sein du courant antivaccin, mais elles ont été très largement exacerbées par les projets de vaccination dans le contexte du Covid-19, par l'intensification des tests PCR, ainsi que par les perspectives de déploiement de la 5G (accusée, par les plus extrêmes, de pouvoir activer à distance les nanoparticules inoculées via les vaccins ou les PCR). Comment aider le grand public à démêler le vrai du faux ? Si quelques efforts de fact-checking sont réalisés18 et nécessaires, leur efficacité est-elle d'avance condamnée à n'être que marginale19 ?
Si l’on peut légitimement s’interroger sur les capacités de nos autorités sanitaires à garantir l’inocuité des nanoparticules potentiellement présentes dans certains vaccins20, il n’y a, pour autant, pas de fondement scientifique aux rumeurs faisant état d’un projet délibéré de tracer / éliminer une partie de la population via des nanoparticules dans les vaccins ou les tests PCR.
Nanoparticules d’argent – Tueuses de coronavirus ?, Analyse de Virginie Monnier, Maîtresse de conférences en chimie, Institut des Nanotechnologies de Lyon (INL), Ecole Centrale de Lyon, 6 novembre 2020
[Tribune] Non aux virucides toxiques !, Label Vie, ASEF (association Santé environnement France), RES (Réseau Environnement et Santé), Acepp, Ufnafaam, FNEJE, 19 mai 2020
Un nouveau test de dépistage rapide, Ecole polytechnique de Bruxelles, 17 décembre 2020 : "Des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles ont développé un test de dépistage rapide utilisant des nanoparticules d’argent. La méthode a été testée sur les anticorps de COVID-19. Les avantages des nanoparticules d’argent sont qu’elles permettent de réaliser des tests moins chers et plus sensibles que ceux réalisés avec des nanoparticules d’or."
3 - Quelques exemples de (pistes de) vaccins faisant intervenir des nanomatériaux :
en français :
Nanoparticules et vaccins contre le Covid-19 : cinq questions pour démêler le vrai du faux, Assma Maad, Le Monde, 11 décembre 2020 : dans les vaccins développés par Pfizer/BioNtech et Moderna, l’ARN messager est véhiculé dans des nanoparticules lipidiques (de la graisse) qui permettent de l’encapsuler et de le protéger de la destruction une fois dans l’organisme ; quant au candidat vaccin développé par Novavax, les nanoparticules sphériques de lipides servent, non pas pour mettre l’ARN, mais l’antigène afin qu'il parvienne directement aux cellules importantes pour l’induction de la réponse immunitaire.
Thread : comment fonctionne le vaccin à ARNm de #Moderna ?, Thibault Fiolet, 17 novembre 2020 : "L'ARNm du vaccin est enveloppé dans une nanoparticule lipidique, appelée liposomes. Ces vésicules artificielles se composent d’une ou de plusieurs bicouches de lipides entourant un noyau aqueux. C'est de l'eau et de l'huile grosso modo à taille nano (1 et 100 nanomètres)"
Vaccins : tout tenter contre le coronavirus, Les Echos, 16 juin 2020 : "La fraction d'ARN correspondant à la partie immunogène du virus est administrée dans un vecteur non viral, par exemple une nanoparticule lipidique. Ce sont les cellules humaines qui produisent elles-mêmes les anticorps. Aucun vaccin de ce type n'est commercialisé mais Moderna, CureVac et BioNTech, allié à Pfizer, misent sur cette technologie".
Face au coronavirus, l’effort international inédit pour trouver un vaccin en moins de 18 mois, Sarah Sermondadaz, Heidi News, 3 avril 2020 : Le Professeur Giuseppe Pantaleo, chef de la division d’immunologie et d’allergie du CHUV à Lausanne, propose de recourir à des nanoparticules qui permettraient de "présenter l’antigène de manière analogue au virus, en couronne sur une petite sphère de nanoparticule".
Projet ACANOV - Effet antiviral des nanoparticles ApoA1 contre le Covid-19, projet coordonné par Patrick Mavingui (Pimit / CNRS), sélectionné dans le cadre de l'appel à projets Flash Covid-19 de l'ANR, avril 2020
Masque en tissu "duo nano silver", fabriqué au Vietnam, Oshooz ("technologie allemande Silver" + "technologie japonaise en nano cuivre et argent pour résister aux fluides divers")
"Silver Nano" - Reusable nanosilver face masks : un site de vente de masques réutilisables imprégnés de nanoargent, basé semble-t-il aux Pays-Bas : "Our Highly Conductive Silver-infused fabric embeds the silver directly into the fibers rather than giving them a surface treatment this results in the use nanoparticles instead of conventional silver - nanoparticles release at the right rate to keep a thin silver film on the fabric, preventing a bacterial foothold. Nano-silver particles will not dissolve in water, but will increase their activity, and produce silver ions through slow-release, the bactericidal effect is even better" ; le fabricant prétend qu'il est en cours de test pour le covid-19 (consulté le 5 mai 2020)
Antiviral nano-coatings to be upscaled for making triple layer medical masks & N-95 respirator to combat COVID 19, Government of India, Department of Science & Technology, 24 avril 2020 : Dans le cadre du programme "Nano Mission", le Département des sciences et technologies du gouvernement indien (DST) a approuvé le soutien au développement d'un nano-revêtement antiviral mis eu point par l'Institut indien de technologie de Delhi, qui sera utilisé pour la production en grandes quantités de masques médicaux et de respirateurs N-95 dans la lutte contre le Covid-19. Ce nano-revêtement, qui associe des nanoparticules d'argent et de zinc, doit toutefois encore être testé en laboratoire pour valider son efficacité en conditions réelles.
A noter : Début mai 2020, des masques lavables et réutilisables au nanoargent étaient en rupture de stock chez le fournisseur "Protect U" au Royaume-Uni (ils sont présentés comme "antiviraux" et "résistants à 650 types de bactéries et aux gouttelettes de virus", mais pas explicitement au covid-19)
Outre le nanoargent, des nanoparticules de cuivre ou d'oxyde de zinc ainsi que du graphène sont aussi envisagées (voire déjà utilisées) pour certains masques. Voir notamment :
en français :
Une start-up israélienne lance un masque tueur de virus, France Inter, 14 décembre 2020 : La start-up israélienne Sonovia a créé un masque anti Covid-19 "utilisable pendant un an" contenant des nanoparticules d'oxyde de zinc, qui tueraient "plus de 99 % des virus et bactéries qui entrent en contact avec lui"
Antiviral nano-coatings to be upscaled for making triple layer medical masks & N-95 respirator to combat COVID 19, Government of India, Department of Science & Technology, 24 avril 2020 : Dans le cadre du programme "Nano Mission", le Département des sciences et technologies du gouvernement indien (DST) a approuvé le soutien au développement d'un nano-revêtement antiviral mis eu point par l'Institut indien de technologie de Delhi, qui sera utilisé pour la production en grandes quantités de masques médicaux et de respirateurs N-95 dans la lutte contre le Covid-19. Ce nano-revêtement, qui associe des nanoparticules d'argent et de zinc, doit toutefois encore être testé en laboratoire pour valider son efficacité en conditions réelles.
Certains masques sont juste présentés comme contenant des "nanomatériaux", sans précision sur la substance nano :
Wakamono Surgical mask, "The World’s first surgical mask applying Nano Biotech to proven effective against 99% SARS-CoV-2 and HUMAN CORONAVIRUS", Vietnam (page consultée en novembre 2020)
Active silver gloves, Polycat UK : "Lightweight & breathable cotton gloves impregnated both on the inside and outside surfaces with silver nanoparticles to provide an active barrier taking advantage of the protection silver offers against viruses & bacteria. The active silver nanoparticles will work both on your hands and the surfaces the gloves come into contact with. Currently subject to ISO testing for specific effectiveness against the COVID-19 / CORONA virus".
8 - Quelques publications ou exemples concernant des produits désinfectants ou revêtements de surface (pour les lieux, espaces ou équipements publics) contenant (ou très susceptibles de contenir) des nanoparticules :
en français :
Pochettes antibactériennes pour masque avec nanoparticules d'argent vendues sur Temps L et Confort & Vie notamment (repérées en novembre 2020)
Renforcement de l'exportation de gel désinfectant fabriqué par le Vietnam, Le Courrier du Vietnam, 21 mai 2020 : "Le 20 mai, le Centre de recherche et de développement du Parc de haute technologie de Saigon (R&D SHTP) et la société par actions Pomax ont signé un contrat de coopération sur l'usage de nano-argent dans la production de gel désinfectant, basé sur le brevet de solution d'utilité pour le gel désinfectant et la fabrication de gel DrOH de R&D SHTP. [...] Plus de 4 millions de bouteilles de 100ml de gel désinfectant des mains DrOH, produit du Centre de recherche et de développement du Parc de haute technologie de Saigon (R&D SHTP) et la société par actions Pomax, ont été exportées vers l'Europe, les États-Unis et le Canada. Dans les jours prochains, 5 millions de bouteilles continueront d'être exportés vers ces marchés."
Traitement et purification de l’air intérieur, Preventilife (France) : "De nombreuses études sur les purificateurs ont eu lieu ces dernières années et derniers mois afin de déterminer leur efficacité contre les virus et principalement le COVID-19 (sic). (...) Le nano-catalyseur AHMPP de BKM (...) contient six métaux catalyseurs rares et deux agents hydratants spéciaux qui augmentent rapidement la vitesse de réaction cinétique dans l’air. L’activité photocatalytique et donc aussi l’activité biocide ont été considérablement améliorées en réduisant la taille des particules de TiO de micro à nano. L’assemblage de constituants nanométriques est caractérisé par de grandes surfaces d’interface (grands rapports surface/volume) de l’ordre de centaines ou de milliers de mètres carrés par centimètre cube. La réduction de la taille des particules de TiO2 entraîne une augmentation de sa surface, ce qui se traduit par une amélioration de la photo-efficacité et, par conséquent, des propriétés photocatalytiques".
10 - Cf. Épurateurs d’air intérieur : une efficacité encore à démontrer, Anses, octobre 2017 : "l’Agence souligne que les données disponibles ne permettent pas de démontrer l’efficacité et l’inocuité en conditions réelles d'utilisation des dispositifs d'épuration de l'air intérieur reposant sur ces technologies".
pour des masques au nanoargent produits en Chine et promus dans les médias officiels, lesquels soulignent néanmoins que "bien qu'il existe des résultats scientifiquement étayés quant à la capacité de cette substance à tuer les bactéries, l'effet direct qu'elle pourrait avoir sur cette souche de coronavirus n'est pas établi. Les masques produits par Anxin ne sont pas censés être une réponse au COVID-19". (cf. Reusable nano-silver masks: Small factory in Zhuhai producing bacteria-killing masks , China Global Television Network (CGTN), 8 mars 2020)
pour un revêtement à base de nanoparticules de cuivre vanté par le journal Times of Israel, qui n'a pas encore été testé sur le covid-19, seulement sur des lentivirus qui appartiennent à la famille du HIV (cf. Nanomaterial Surface Coatings Could Prevent COVID-19 Spread, American Associates, Ben-Gurion University of the Negev, 5 mai 2020)
12 - Les nanoparticules d'argent ont des propriétés antibactériennes reconnues, mais pas antivirales. Elles sont néanmoins déjà appliquées par exemple sur des masques vendus pour lutter contre le coronavirus. Voir notamment la note 4 ci-dessus.
14 - Deux entreprises au moins ont d'abord été rappelées à l'ordre par la FDA pour avoir promu de l'argent colloïdal - contenant des nanoparticules d'argent - comme moyen de lutter contre le covid-19 : Colloidal Vitality LLC/Vital Silver et N-Ergetics) :
Ce site est édité par l'association Avicenn qui promeut davantage de transparence & de vigilance sur les nanos
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