La classification du TiO2 reste en vigueur jusqu’à l’issue des pourvois déposés par la France et la Commission européenne

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Suite aux pourvois de la France et de la Commission européenne formés en ce mois de février, la classification du dioxyde de titane restera en vigueur jusqu’à la fin de la procédure, attendue pour durer un à deux ans.

Rappels des épisodes précédents

Le 23 novembre dernier, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) avait annulé la classification du TiO₂ comme cancérogène de catégorie 2 par inhalation adoptée en 2019, au terme de nombreuses années de bras de fer entre l’industrie et les autorités. Cet arrêt faisait suite aux recours déposés en 2020 par des fabricants et utilisateurs de TiO₂1(Affaires jointes T-279/20, T-283/20, T-288/20), aux motifs que les études sur lesquelles étaient basées la classification n’étaient pas suffisamment “fiables” et que le dioxyde de titane ne serait “intrinsèquement” dangereux (les poudres de dioxyde de titane respirables, sous forme de micro- et nanoparticules, sont les plus dangereuses).

A l’annonce de cette annulation par le TUE, AVICENN et la CFDT avaient immédiatement réagi pour dénoncer le recul en matière de protection des travailleurs : privés de l’information sur le danger potentiellement encouru en cas d’inhalation de particules de TiO2, les travailleurs ne peuvent prendre les mesures nécessaires pour se protéger. Piétinant au passage l’adage “mieux vaut prévenir que guérir”, les industriels ont préféré aller à rebours de l’application du principe de précaution en demandant l’annulation de la classification européenne. Pourtant, cette classification (en catégorie 2) est moins stricte que celle initialement proposée par l’ANSES (catégorie 1B) et n’entraîne par conséquent aucune restriction de l’utilisation de la substance TiO2 : elle exige seulement d’alerter les travailleurs sur les dangers des poudres et poussières de TiO2 inférieures à 10 000 nm. 

Deux pourvois, de la France et de la Commission européenne

Les autorités publiques disposaient de deux mois et dix jours pour former un pourvoi contre l’annulation prononcée par le Tribunal de l’UE. Mais leur marge de manœuvre était faible, le pourvoi étant juridiquement limité aux seules questions de droit. Un comble, puisque l’arrêt du TUE comporte de nombreuses considérations scientifiques, sur lesquelles la France et la Commission auraient pourtant eu des éléments à opposer. Au terme d’un long suspense, nous avons toutefois appris le 13 février qu’un pourvoi avait été formé par le gouvernement français le 8 février, suivi quelques jours plus tard d’un autre pourvoi formé celui-là par la Commission européenne*, le 14 février.

Quelle compétence du Tribunal de l’UE pour évaluer la dangerosité des substances chimiques ?

La Commission européenne n’a pas souhaité communiquer sur sa démarche. En revanche, le ministère français de la transition écologique et le ministère du travail ont rédigé un communiqué, publié le 13 février, qui indique que la France considère que “le Tribunal a excédé les limites de son contrôle juridictionnel en procédant à sa propre évaluation et interprétation des données scientifiques”. Et ils ne sont pas les seuls de cet avis.

Ainsi, dans un article paru fin janvier dans la revue spécialisée EU Law Live, M. Weimer et M. Morvillo, juristes de l’Université d’Amsterdam, considèrent que “la Cour est allée trop loin, outre-passant les limites du ‘contrôle limité’ du pouvoir discrétionnaire de l’administration sur le plan technique”, au “risque de compromettre l’équilibre délicat entre un contrôle juridictionnel efficace et la nécessité de respecter les prérogatives institutionnelles de l’administration de l’UE”. Les universitaires rappellent que le TUE “n’est pas un super expert” et devrait revenir à une approche plus humble concernant le contrôle des évaluations scientifiques complexes : ses juges n’ont ni la compétence scientifique ni la légitimité pour remettre en question l’évaluation réalisé par les experts de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA). 

L’influence démesurée des lobbies sur la fabrique et le détricotage des réglementations

M. Weimer et M. Morvillo soulignent aussi combien, en l’occurrence, l’annulation de la classification ne profiterait qu’à une poignée d’acteurs économiques ayant déjà consacré beaucoup de moyens pour influer sur la rédaction de la réglementation puis en contester le résultat, considérant que le texte adopté n’est pas encore assez à leur avantage. Ce-faisant, les jugent “aggravent involontairement la dynamique participative inégale de la réglementation et des litiges de l’UE, au profit des acteurs économiques”.

De fait, sitôt les pourvois annoncés, la fédération des fabricants de dioxyde de titane (la TDMA) a communiqué sur le fait que ses membres, “déçus”, allaient défendre “vigoureusement” le dossier et ont demandé, tant qu’à faire, « que les processus réglementaires connexes actuellement entrepris par les autorités de l’UE soient interrompus dans l’attente de l’issue du pourvoi”.

La santé des travailleurs en sursis

Les autorités françaises justifient leur pourvoi en soulignant que l’annulation de la classification par le Tribunal constitue “un revers en matière de protection de la santé des citoyens et travailleurs européens qui manipulent cette substance”. La France comme la Commission européenne, en qualité d’autorités publiques, jouent ici pleinement leur rôle de protection des intérêts des citoyens et des travailleurs, lesquels ne disposent en effet pas des moyens considérables que les industriels peuvent déployer de leur côté.

“En contestant l’évaluation des autorités compétentes, les juges européens vont à l’encontre des intérêts et des droits des travailleurs ; leur décision doit être révisée” considère Aida Ponce Del Castillo, chercheuse senior au European Trade Union Institute (ETUI), centre de recherche de la Confédération européenne des syndicats (CES).

Comme indiqué par les autorités françaises, l’introduction d’un pourvoi a un effet suspensif sur l’arrêt du Tribunal : la classification harmonisée continuera donc de s’appliquer (au moins) jusqu’à l’issue de cette nouvelle procédure, qui pourrait durer un à deux ans. 

A suivre donc…

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Notes and references

  • 1
    (Affaires jointes T-279/20, T-283/20, T-288/20)