Amiante, nanofibres et laine de verre, même dégâts ?
Une étude publiée dans Nature Nanotechnology montre comment de longues nanofibres de verre provoquent des effets délétères au niveau pulmonaire et lève ainsi le voile sur le mécanisme à l’origine des dégâts similaires à ceux identifiés pour les fibres d’amiante : la fuite de radicaux libres, mise en évidence pour la première fois grâce à des nanocapteurs électrochimiques. Ces résultats viennent rappeler la nécessaire vigilance qui doit entourer l’utilisation des particules de taille nanométrique et de forme fibreuse, même celles qui n’entrent pas dans la définition stricto sensu des “nanomatériaux”.
Les effets des nanofibres rendus visibles par des nanocapteurs
Les nanofibres de verre étaient déjà identifiées comme néfastes pour les poumons de celles et ceux qui les inhalent1Cf. Fibres autres que l’amiante – ce qu’il faut retenir (page web) et Dossier complet “Fibres autres que l’amiante” (dossier pdf), INRS, 2023. Une nouvelle étude parue début janvier dans la revue Nature Nanotechnology a permis de montrer, au sens propre ET figuré, comment la finesse et la longueur des nanofibres de verre entrent en ligne de compte dans leur dangerosité : elles empêchent non seulement les macrophages de jouer leur rôle essentiel de nettoyage, mais provoquent également des réactions à l’origine de problèmes pulmonaires sérieux.
L’étude a été réalisée en Chine, sous la co-direction de Christian Amatore, directeur de recherche émérite au CNRS, et Wei-Hua Huang de l’université de Wuhan. Elle s’est déroulée en deux étapes :
1 – Dans un premier temps, une expérimentation réalisée in vitro a permis de constater que les macrophages ne parviennent pas à englober complètement les nanofibres de verre d’une longueur supérieure à 15 microns (pour un diamètre moyen d’environ 650 nm), et ne peuvent donc en venir à bout – encore une fois au sens propre comme au sens figuré.
→ Surtout, pour la première fois, grâce à des nanocapteurs électrochimiques composés d’électrodes d’environ 300 nm de diamètre2Pour plus d’informations sur le fonctionnement de ces nanocapteurs, cf. Homeostasis inside Single Activated Phagolysosomes: Quantitative and Selective Measurements of Submillisecond Dynamics of Reactive Oxygen and Nitrogen Species Production with a Nanoelectrochemical Sensor, Qi YT et al, J. Am. Chem. Soc., 144, 9723−9733, 2022, les chercheurs ont pu mettre en évidence et mesurer le mécanisme causé par cette “phagocytose empêchée” : des fuites de radicaux libres (des espèces réactives de l’oxygène (ROS) et de l’azote (RNS)). Or, si ces derniers sont utiles pour permettre à notre système immunitaire de détruire des agents pathogènes (comme les virus ou les bactéries) ou les cellules altérées, ils sont en revanche très nocifs pour la paroi alvéolaire.
2 – Une autre expérimentation, réalisée cette fois in vivo sur des rats, a confirmé qu’une inhalation régulière et sans protection du même type de nanofibres de verre, de forme et de taille comparables, génère des inflammations et lésions pulmonaires avec, à la clé, un risque de développement de fibroses.
Taille et morphologie des particules sont des paramètres clés de la toxicité
Interrogé par AVICENN, le seul Français de l’équipe qui a dirigé ces travaux, Christian Amatore, directeur de recherche émérite au CNRS, rappelle qu’il a travaillé à Jussieu (dont le chantier de désamiantage a été le plus grand ayant jamais été mené en Europe, pour un coût de 1,7 milliards d’euros3Cf. Le désamiantage du campus de Jussieu, Ecolex, novembre 2020 et probablement une centaine de morts d’ici 20504Cf. À Jussieu, l’amiante fera 100 morts à terme, Le Figaro, 2016). “En tant que chimiste, j’avais depuis longtemps souhaité comprendre comment l’amiante donnait le cancer ; les travaux de recherche montrent que la forme allongée des nanofibres est déterminante, plus encore que la composition chimique”.
Marie-Claude Jaurand, qui n’a pas participé à l’étude mais a longtemps travaillé sur les effets de l’amiante en tant que directrice de laboratoire à l’INSERM atteste que “ces résultats viennent confirmer et illustrer, par des méthodes plus modernes, ce qui était connu mais pas de façon aussi précise ni visible”.
Selon elle, davantage d’études devraient être menées pour affiner et compléter ces résultats – en poussant la comparaison par exemple des fibres courtes et des fibres longues, ce que ne permet pas le peu de financements alloués à la recherche publique en toxicologie en France (raison pour laquelle M. Amatore a dû réaliser ces expérimentations en Chine).
Amiante, nanofibres de verre et laine de verre : quelles différences ?
Dans la version initiale du communiqué du CNRS publié début janvier pour relayer la parution de l’étude dans Nature Nanotechnology, les usages et effets des fibres de verre étaient rapprochées de ceux de la laine de verre et de l’amiante. Le 19 janvier, Ouest-France indiquait que le syndicat national des fabricants d’isolants en laine minérale (Filmm) a demandé au CNRS de supprimer le terme “laine de verre”5Cf. Laine de verre et santé : passe d’armes entre le CNRS et les fabricants, Ouest-France, 19 janvier 2024 au motif que “les fibres des laines minérales d’isolation sont formées de longs fils visibles à l’œil donc non nanométriques. Leur diamètre est compris entre 3 et 5 µm” – ce qui est en effet plus large que les nanofibres de verre étudiées par l’équipe franco-chinoise. La correction a été apportée (et au passage, une référence aux nanotubes de carbone a été ajoutée). Mais quelles sont les différences entre ces différentes fibres minérales ?
Les différentes fibres d’amiante ont des diamètres compris entre 20 et 100 nanomètres et une longueur comprise entre 40 et 70 millimètres6Cf. Qu’est-ce que l’amiante ? (page web), INRS, 2022, elles sont donc beaucoup plus fines et longues que les fibres de verre étudiées par l’équipe de Christian Amatore et Wei-Hua Huang.
L’utilisation de la laine de verre s’est développée dans le secteur du bâtiment notamment pour ses propriétés d’isolation thermique, particulièrement recherchées depuis l’interdiction en 1997 de l’amiante (dont le nombre de victimes par cancer pourrait dépasser les 100 000 morts d’ici 20507Cf. L’amiante : un sujet toujours d’actualité, Anses, 7 février 2023). Selon l’INRS, les laines de verre ont un diamètre compris entre 2 et 8 µm en moyenne8Cf. référence de la note 1. Quant aux nanofibres de verre, selon l’INRS toujours, leurs propriétés d’isolation sont davantage cantonnées aux domaines de l’aérospatiale et de l’aéronautique ; en revanche, elles sont largement utilisées dans de nombreux systèmes de filtration du fait de leur finesse. Leur diamètre est en général inférieur à 3 µm et pouvant même descendre à 0,1 µm (soit 100 nm)9Cf. référence de la note 1.
Une vigilance nécessaire dans tous les cas
Les dangers des différentes fibres minérales artificielles (FMA) sont quelque peu différents10Dossier complet “Fibres autres que l’amiante” (dossier pdf), INRS, 2023 : les laines de verre sont classées cancérogènes de catégorie 2 au sens du règlement CLP si elles sont biopersistantes ou d’un diamètre inférieur à 6 µm. Les microfibres de verre, très fines, ont pour la plupart un diamètre inférieur à 6 µm et sont classées cancérogènes de catégorie 1B ou 2 quand elles sont biopersistantes.
Mais Christian Amatore considère qu’au-delà de la question de la taille nano ou micro, la question des risques sanitaires ne doit pas être prise à la légère : “la laine de verre, ou de roche, se détériore quand on la manipule” et “l’inhalation d’aérosols de leurs débris microscopiques pourrait être dangereuse pour la santé”. De fait, bien que sensiblement différentes, les tailles et formes longues et fibreuses de l’amiante, des nanotubes de carbone longs et des nanofibres de verre sont susceptibles de provoquer des effets néfastes. C’est pourquoi l’INRS recommande de sélectionner les produits et les méthodes de travail permettant de réduire au minimum l’émission de fibres et de poussières11Cf. Fiche pratique de sécurité – Laines minérales d’isolation, bonnes pratiques d’isolation – ED93, INRS, 2013 ; Interventions d’entretien et de maintenance susceptibles d’émettre des fibres d’amiante – Guide de prévention – ED 6262, INRS, 2016 ; Les nanotubes de carbone : quels risques, quelle prévention ?, ND2286, INRS, 2008 ; Dossier complet Amiante (dossier pdf), INRS, 2023.
Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour préciser la dangerosité de ces différentes fibres, notamment pour comparer les réponses cellulaires provoquées par l’exposition à des fibres d’amiante avec celles d’une exposition à des fibres de verre, à des laines de verre et à des nanotubes de carbone longs12le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) avait classé dès 2017 un type de nanotube de carbone multiparoi comme “cancérogène possible pour l’homme” (2B) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a validé en 2022 le principe d’un classement des nanotubes de carbone multiparois longs comme cancérigènes par inhalation (cat. 1B) par exemple13Une étude de l’INRS a récemment révèlé que les nanotubes de carbone courts et fins induisent eux aussi une inflammation pulmonaire aiguë ainsi qu’une inflammation chronique et une hyperplasie (prolifération anormale) au niveau pulmonaireCf. notre article : “Nanotubes de carbone : attention, les courts aussi peuvent être toxiques”, VeilleNanos, novembre 2023. Pour ce faire, les conditions de sécurité indispensables à la manipulation de fibres d’amiante sont telles qu’elles nécessitent des laboratoires et équipements dédiés ainsi que du personnel spécifiquement formé. Or les laboratoires publics ne disposent malheureusement pas de l’infrastructure ni des financements adaptés aujourd’hui14Dans le contexte de restriction budgétaire actuel, Santé Publique France serait même sur le point d’interrompre la surveillance des mésothéliomes faute de ressources suffisantes. Une telle décision supprimerait un outil indispensable pour mieux connaître et lutter contre cette terrible maladie spécifique de l’amiante, dénonce l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva)Cf. Non à la mise à mort du dispositif national de surveillance des mésothéliomes !, Andeva, 26 janvier 2024.. Et alors que la prévention permettrait d’économiser de nombreuses ressources en évitant de futures maladies, le projet de circulaire du ministère du travail sur les nanomatériaux, poussières et fibres, n’est toujours pas paru. Annoncé comme imminent il y a quelques années, on l’attend encore…
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- Organisateur: GED Biomedical Innovations AB
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- Site internet : https://icnnn.org
Notes and references
- 1Cf. Fibres autres que l’amiante – ce qu’il faut retenir (page web) et Dossier complet “Fibres autres que l’amiante” (dossier pdf), INRS, 2023
- 2Pour plus d’informations sur le fonctionnement de ces nanocapteurs, cf. Homeostasis inside Single Activated Phagolysosomes: Quantitative and Selective Measurements of Submillisecond Dynamics of Reactive Oxygen and Nitrogen Species Production with a Nanoelectrochemical Sensor, Qi YT et al, J. Am. Chem. Soc., 144, 9723−9733, 2022
- 3Cf. Le désamiantage du campus de Jussieu, Ecolex, novembre 2020
- 4Cf. À Jussieu, l’amiante fera 100 morts à terme, Le Figaro, 2016
- 5Cf. Laine de verre et santé : passe d’armes entre le CNRS et les fabricants, Ouest-France, 19 janvier 2024
- 6Cf. Qu’est-ce que l’amiante ? (page web), INRS, 2022
- 7Cf. L’amiante : un sujet toujours d’actualité, Anses, 7 février 2023
- 8Cf. référence de la note 1
- 9Cf. référence de la note 1
- 10Dossier complet “Fibres autres que l’amiante” (dossier pdf), INRS, 2023
- 11Cf. Fiche pratique de sécurité – Laines minérales d’isolation, bonnes pratiques d’isolation – ED93, INRS, 2013 ; Interventions d’entretien et de maintenance susceptibles d’émettre des fibres d’amiante – Guide de prévention – ED 6262, INRS, 2016 ; Les nanotubes de carbone : quels risques, quelle prévention ?, ND2286, INRS, 2008 ; Dossier complet Amiante (dossier pdf), INRS, 2023
- 12le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) avait classé dès 2017 un type de nanotube de carbone multiparoi comme “cancérogène possible pour l’homme” (2B) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a validé en 2022 le principe d’un classement des nanotubes de carbone multiparois longs comme cancérigènes par inhalation (cat. 1B)
- 13Une étude de l’INRS a récemment révèlé que les nanotubes de carbone courts et fins induisent eux aussi une inflammation pulmonaire aiguë ainsi qu’une inflammation chronique et une hyperplasie (prolifération anormale) au niveau pulmonaireCf. notre article : “Nanotubes de carbone : attention, les courts aussi peuvent être toxiques”, VeilleNanos, novembre 2023
- 14Dans le contexte de restriction budgétaire actuel, Santé Publique France serait même sur le point d’interrompre la surveillance des mésothéliomes faute de ressources suffisantes. Une telle décision supprimerait un outil indispensable pour mieux connaître et lutter contre cette terrible maladie spécifique de l’amiante, dénonce l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva)Cf. Non à la mise à mort du dispositif national de surveillance des mésothéliomes !, Andeva, 26 janvier 2024.