Nanotubes de carbone : attention, les courts aussi peuvent être toxiques
L’institut national de recherche et de sécurité (INRS) alerte sur la toxicité des nanotubes de carbone multiparois, non seulement sur les longs et épais, déjà identifiés comme dangereux, mais aussi sur les courts et fins. Des mesures immédiates doivent être prises pour la sécurité des travailleurs exposés… dont le nombre demeure pour l’instant inconnu des autorités !
Les nanotubes de carbone multiparois, fer de lance de la nano-révolution
Longtemps vantés comme des matériaux révolutionnaires, les nanotubes de carbone multiparois (MWCNT) ont très tôt suscité un vif intérêt des industriels dans des domaines tels que l’électronique ou l’aérospatiale, en raison de leurs propriétés extraordinaires de conductivité électrique comme thermique et de résistance mécanique, alliées à une grande légèreté. Bien que leurs promesses aient mis du temps à commencer à se concrétiser, l’utilisation des MWCNT s’accroît, en particulier dans des secteurs liés à la décarbonation, comme pour la fabrication de batteries lithium-ion des véhicules électriques ou les pales d’éoliennes.
Les NTC longs et épais étaient déjà identifiés comme potentiellement cancérigènes
Pourtant, en raison de leur forme souvent longue et fibreuse qui rappelle celle de l’amiante, les nanotubes de carbone longs ont très tôt soulevé des inquiétudes fortes quant à leur toxicité. Ils peuvent pénétrer facilement et persister longtemps dans les voies respiratoires profondes d’où notre système immunitaire peine à les déloger, ce qui peut entraîner des inflammations au niveau des poumons et de la plèvre. C’est pourquoi le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé en 2017 l’un de ces nanotubes, le Mitsui-7 comme « cancérogène possible pour l’homme » (2B) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a validé en 2022 le principe d’un classement des nanotubes de carbone multiparois longs comme cancérigènes par inhalation (cat. 1B). L’INRS a initié des études complémentaires pour combler le manque de données sur les différentes formes de NTC.
L’INRS a comparé les dangers des nanotubes courts et fins et ceux des nanotubes longs et épais
A l’inverse de l’hypothèse longtemps admise selon laquelle seuls les NTC longs et épais posent problème, une étude approfondie de l’INRS révèle que le NTC courts et fins induisent eux aussi, tout comme les NTC longs et épais, une inflammation pulmonaire aiguë. Pour les NTC courts et fins, a été également observée, en plus, une inflammation chronique et une hyperplasie (prolifération anormale) au niveau pulmonaire.
Cette étude est basée sur des expérimentations in vivo et in vitro a fait l’objet d’une thèse de doctorat1Cf. Hélène Barthel, Influence de paramètres physiques de nanotubes de carbone multi-parois sur leurs propriétés toxicologiques dans un modèle de cellules épithéliales bronchiques : rapprochement avec les effets pulmonaires chez le rat, Thèse de Doctorat, 2022 et de deux articles scientifiques2Voir Barthel et al., Needlelike, short and thin multi-walled carbon nanotubes: comparison of effects on wild type and p53+/− rat lungs, Nanotoxicology, 2023 et Barthel et al., Continuous Long-Term Exposure to Low Concentrations of MWCNTs Induces an Epithelial-Mesenchymal Transition in BEAS-2B Cells, Nanomaterials, 11(7), 2021.
L’INRS appelle à mieux protéger les travailleurs exposés aux NTC, toutes tailles confondues
Face à ces nouvelles données et aux lacunes des approches réglementaires actuelles, l’INRS conclut qu’« il est nécessaire de manipuler les nanotubes courts et fins avec autant de précaution que les longs et épais” et qu’« il convient de mettre en œuvre la démarche de prévention des risques chimiques en entreprise en s’appuyant sur les principes généraux de prévention ».
Mais au fait… combien de travailleurs sont exposés aux NTC ? Difficile de le savoir !
Selon les données déclarées dans le registre r-nano, il y a, en France, “entre une et dix tonnes” de nanotubes de carbone importées et manipulées chaque année3Source : Bilans annuels des déclarations des substances importées, fabriquées ou distribuées en France, Ministère de la transition écologique. Les bilans officiels ne fournissent qu’une fourchette sans permettre malheureusement d’avoir un tonnage plus précis, car seule l’ANSES dispose de cette information, voire peut-être l’un des rares organismes qui peuvent demander à accéder aux données du registre : l’ANSM, Santé publique France, l’INRS, l’INERIS, les organismes chargés de la toxicovigilance, les observatoires régionaux des déchets et le Haut Conseil de la Santé publique ; de leur côté, les chercheurs de l’INSERM, du CNRS, du CEA, de l’INRAé, les CARSAT, les médecins du travail et les préventeurs, etc. ne sont pas habilités à accéder aux données du registre – les associations de consommateurs, de protection de l’environnement et le grand public encore moins !. L’ANSES, grâce à r-nano, doit être capable de connaître le nombre d’entreprises concernées, mais, comme pour les tonnages précis, ce type d’informations n’apparaît pas dans les bilans publics en raison de la protection de la confidentialité des données réclamée par les fédérations industrielles.
Quant au nombre de travailleurs exposés en France, l’information n’existe tout simplement pas. Tout au moins, aucune autorité publique ne semble avoir d’estimation chiffrée – ni l’ANSES, ni l’INRS, ni Santé publique France, ni le Ministère du Travail. Interrogés par AVICENN, ces deux dernières institutions n’ont pas répondu à nos questions sur ce point – pas plus, d’ailleurs, qu’à celles sur l’état d’avancement du dispositif EpiNano censé suivre l’état de santé des travailleurs aux nanotubes de carbone et autres nanomatériaux depuis 2014. Le dispositif est-il encore en place ? Il est permis d’en douter, ce qui ne serait pas de bon augure au vu de cette dernière publication de l’INRS…
Interrogé par AVICENN, Charles Parmentier, secrétaire confédéral en charge des Transformations du Travail de la CFDT, rappelle que « la CFDT milite pour protéger la santé des travailleurs exposés à des nanos et demande notamment le renforcement de la transparence et le partage des informations sur leur utilisation dans les processus industriels, la traçabilité des expositions professionnelles et l’application du principe No Data / No Market ».
Plus généralement, alors que de nombreux nanomatériaux demeurent commercialisés sans avoir été préalablement évalués, les résultats de l’INRS nous rappellent l’importance de la mise en œuvre du principe de précaution, pour protéger l’ensemble de la population et notre environnement.
Les prochains RDV nano
- 13tème conférence internationale sur les Nanostructures, Nanomatériaux et Nanoengineering (ICNNN 2024).
- Du 6 au 8 novembre 2024
- Organisateur: The Science and Engineering Institute (SCIEI)
- Site internet : https://icnnn.org
- Conférence rassemblant des experts autour de sujets de nanotoxicologie, d’organes sur puce, de chimio-informatique, de santé publique et d’environnement
- Du 6 au 8 novembre 2024
- Organisateur : International Iberian Nanotechnology Laboratory (INL)
- Site internet: www.sinfoniaproject.com/events
- 17ème réunion du comité de dialogue « nano et santé »
- Organisateur : ANSES
Notes and references
- 1
- 2Voir Barthel et al., Needlelike, short and thin multi-walled carbon nanotubes: comparison of effects on wild type and p53+/− rat lungs, Nanotoxicology, 2023 et Barthel et al., Continuous Long-Term Exposure to Low Concentrations of MWCNTs Induces an Epithelial-Mesenchymal Transition in BEAS-2B Cells, Nanomaterials, 11(7), 2021
- 3Source : Bilans annuels des déclarations des substances importées, fabriquées ou distribuées en France, Ministère de la transition écologique. Les bilans officiels ne fournissent qu’une fourchette sans permettre malheureusement d’avoir un tonnage plus précis, car seule l’ANSES dispose de cette information, voire peut-être l’un des rares organismes qui peuvent demander à accéder aux données du registre : l’ANSM, Santé publique France, l’INRS, l’INERIS, les organismes chargés de la toxicovigilance, les observatoires régionaux des déchets et le Haut Conseil de la Santé publique ; de leur côté, les chercheurs de l’INSERM, du CNRS, du CEA, de l’INRAé, les CARSAT, les médecins du travail et les préventeurs, etc. ne sont pas habilités à accéder aux données du registre – les associations de consommateurs, de protection de l’environnement et le grand public encore moins !