Fullerènes dans les cosmétiques : des risques importants – et pourtant…
Un comité d’experts européens exprime de sérieuses préoccupations quant à l’utilisation des fullerènes dans les cosmétiques. Et pourtant, ces nanomatériaux ne sont plus considérés comme tels par la nouvelle recommandation de définition de 2022 ; à quelques années près, ils auraient probablement pu ne pas être évalués du tout. Une illustration des limites de la nouvelle définition qui pourrait exclure de la réglementation d’autres substances de taille nanométrique problématiques ?
En juillet 2021, suite à 19 notifications pour des cosmétiques contenant des fullerènes, des fullerènes hydroxylés et des formes hydratées de fullerènes hydroxylés, la Commission Européenne avait saisi le Comité scientifique de la sécurité des consommateurs (SCCS) pour évaluer leurs risques1Cf. Request for a scientific opinion on “Fullerenes, Hydroxylated Fullerenes and hydrated forms of Hydroxylated Fullerenes”, SCCS, juillet 2021. Composées de carbone, ces structures sphériques ou en cages de diamètre souvent inférieur à 1 nanomètre sont utilisées dans divers produits cosmétiques. C’est en raison de leur petite taille et de la faculté des nanoparticules à franchir la barrière cutanée et les muqueuses, voire à pénétrer à l’intérieur des cellules, que la Commission avait demandé l’avis du SCCS pour en savoir plus.
Les fullerènes dans les cosmétiques : un risque pour la santé selon les experts du SCCS
Publié ce jour, le rapport du SCCS met en avant plusieurs préoccupations, notamment le potentiel génotoxique des fullerènes (C60 et C70) ainsi que la génotoxicité des formes hydratées de fullerènes hydroxylés. D’autres inquiétudes sont soulignées : la possible présence d’impuretés, la génération de radicaux libres oxygénés, la phototoxicité (réaction nocive à la lumière), la sensibilisation (réaction allergique potentielle), l’absorption cutanée, et la distribution et accumulation dans les organes.
Évalués aujourd’hui… mais à quelques années près, ils auraient pu passer à travers les mailles du filet
Les fullerènes, les fullerènes hydroxylés et leurs formes hydratées ont été jusqu’à peu considérés comme des nanomatériaux, et c’est à ce titre qu’ils ont été soumis à une évaluation spécifique par le SCCS2L’article 16 du Règlement Cosmétiques exige que les produits contenant des nanomatériaux soient notifiés à la Commission européenne, et que le SCCS en évalue les risques en cas de préoccupation.
Toutefois, la nouvelle recommandation de définition des nanomatériaux proposée par la Commission Européenne en 2022, exclut désormais les fullerènes3Alors que ces derniers avaient fait l’objet d’une dérogation dans la précédente recommandation de définition de 2011 pour pouvoir inclure ceux dont le diamètre est inférieur à 1 nanomètre, les fullerènes se retrouvent dorénavant totalement exclus de cette nouvelle définition en raison de leur catégorisation comme « molécules uniques » et d’autres objets nanostructurés du périmètre de la définition.
Une illustration des failles de la nouvelle définition des « nanomatériaux » ?
Cette exclusion des fullérènes de la définition de 2022, si elle était intervenue avant la saisine du SCCS de 2021, aurait pu conduire à une absence de saisine et, de fait, empêcher l’évaluation adéquate des risques spécifiques des fullerènes dans les cosmétiques. En effet, les marques cosmétiques auraient pu être tentées de ne pas notifier les fullerènes à la Commission, en considérant qu’il s’agissait de carbone, point à la ligne…
Outre l’intérêt intrinsèque de l’expertise du SCCS qui pointe le manque de données et les risques des fullerènes, l’avis du SCCS est donc aussi une nouvelle illustration de l’intérêt d’une définition englobante des « nanomatériaux » telle que préconisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Dans son rapport publié en mai 2023, l’Anses avait émis un avertissement catégorique contre l’exclusion des fullerènes et d’autres objets nanostructurés de la définition : « d’un point de vue sanitaire, rien ne justifie leur exclusion. » Si la nouvelle recommandation de définition venait à être appliquée telle quelle dans les règlements sectoriels (encadrant les cosmétiques, les nouveaux aliments, etc.), elle ferait passer à la trappe des objets nanométriques en plein essor, notamment les fullerènes et ses dérivés, présentant pourtant des risques potentiellement importants. Dès lors, étant « hors radar », l’évaluation de leurs risques serait moins poussée et il y a fort à craindre que la sécurité des consommateurs soit, par conséquent, moins protégée. Sans parler de l’environnement !
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Notes and references
- 1
- 2L’article 16 du Règlement Cosmétiques exige que les produits contenant des nanomatériaux soient notifiés à la Commission européenne, et que le SCCS en évalue les risques en cas de préoccupation
- 3Alors que ces derniers avaient fait l’objet d’une dérogation dans la précédente recommandation de définition de 2011 pour pouvoir inclure ceux dont le diamètre est inférieur à 1 nanomètre, les fullerènes se retrouvent dorénavant totalement exclus de cette nouvelle définition en raison de leur catégorisation comme « molécules uniques »