Inaperçus et non encadrés ? Comment les nanos passent à travers les mailles du filet réglementaire en Europe

Le 15 février 2023, AVICENN est intervenue lors d’une demi-journée intitulée “Inaperçus et non encadrés : comment les nanomatériaux passent à travers les mailles du filet”, organisée par ECOS et BUND (les Amis de la Terre Allemagne) à Bruxelles. A ses côtés, sont aussi intervenus Steffen Foss Hansen (DTU), Andrej Kobe (Commission Européenne), Aida Ponce del Castillo (ETUI) , David Azoulay (CIEL), Gregory Van Lier (expert pour ECOS) et Rolf Buschmann (BUND), pour discuter des enjeux de la gouvernance des nanos.

Un enregistrement de l’évènement est disponible ici.

Une occasion de faire le point sur l’encadrement européen des nanos et de leurs risques

Des nanos… insuffisamment encadrés

Le premier temps de discussion de cet évènement a été l’occasion d’évaluer les limites des outils réglementaires et de l’évaluation des risques associés aux nanomatériaux présents sur le marché.

Force est de constater que 15 à 20 ans après les premières mises en garde, la prise en compte des risques spécifiques aux nanomatériaux continue d’être négligeable par rapport aux demandes et recommandations de la société civile et de certaines institutions comme l’ANSES et le Parlement européen. 

REACH, par exemple, le principal outil réglementant la production, l’importation et la mise sur le marché de produits chimiques en Europe, a intégré la question des formes nanos des substances chimiques à partir de 2020 seulement – et avec une efficacité toute relative. Il est certes désormais exigé, dans les dossiers d’enregistrement remplis par les fabricants, des informations spécifiques sur les substances nanos mises sur le marché au-delà d’une tonne par an. Pourtant, aucune autorisation préalable n’est requise à l’utilisation de nanomatériaux dans des produits, à l’exception des biocides, des produits alimentaires et cosmétiques et des dispositifs médicaux. Selon Andrej Kobe, représentant de la Commission européenne (DG Environnement), ceci n’est pas prêt de changer…

Nanos inaperçus : Un manque d’information indéniable 

De manière consensuelle, les intervenants ont insisté sur le manque d’information persistant concernant l’utilisation et la commercialisation de nanos en Europe et notamment concernant les risques qui y sont associés.

Le 14 février, ECOS et BUND ont ainsi publié une note d’information qui vise  à améliorer les guides techniques et lignes directrices de l’OCDE en les adaptant aux nanomatériaux et aux matériaux adaptés. Leurs recommandations visent à soutenir le développement d’un cadre politique européen plus solide pour les nanomatériaux, via des mesures réglementaires spécifiques.

Le scientifique Steffen Foss Hansen a insisté également sur la nécessité d’améliorer l’information concernant les nanos tout au long du cycle de vie des produits qui en contiennent.

Une définition nano qui risque d’élargir les mailles du filet ?

Une des évolutions notables dans la gouvernance de nanos en Europe est l’adoption de la nouvelle recommandation de définition du terme “nanomatériau” de 2022. Selon le fonctionnaire européen Andrej Kobe, elle devrait permettre de résoudre les problèmes d’interprétation et d’application que posait l’ancienne recommandation de 2011. Cette définition devrait être prochainement intégrée au règlement REACH ainsi qu’aux réglementations sectorielles (Cosmétiques, Nouveaux Aliments, Dispositifs médicaux).

Pourtant, de nombreux acteurs en doutent : l’ANSES en France, mais aussi AVICENN ou Steffen Foss Hansen partagent de fortes inquiétudes vis-à-vis de cette définition. Ce dernier a critiqué notamment le seuil de 50%, qui risque d’invisibiliser une grande quantité de nanos et de complexifier l’identification des produits qui en contiennent. C’est aussi ce que montrent, concrètement, les tests de produits de consommations courante publiés par AVICENN fin décembre 2022.

Comment améliorer l’encadrement des nanos en Europe

Impliquer davantage la société civile en amont 

Un deuxième temps de discussion a porté plus spécifiquement sur le rôle des organisations de la société civile non marchande dans l’élaboration du cadre réglementaire régissant les nanos, souvent marginalisé. 

La technicité des débats et la multiplication des espaces de discussion, couplés aux faibles moyens financiers et humains des ONGs ont été mentionnés par les intervenants comme des facteurs qui excluent leur participation aux prises de décisions. M. Van Lier (expert pour l’ONG ECOS) témoigne avoir été le seul représentant de la société civile autour de la table pour discuter des enjeux de normalisation et standardisation (réunions de l’OCDE), alors que la présence des ONG dans les processus de normalisation est, selon lui, primordiale.

Financer des recherches indépendantes

Mathilde Detcheverry, de l’association AVICENN, a regretté le trop faible financement de la recherche académique sur les risques nanos et le trop faible nombre de scientifiques indépendants pourtant nécessaires pour éclairer les ONG et les décideurs publics.

Articuler les débats scientifiques et réglementaires avec les réalités concrètes 

Selon les ONG présentes, la technicisation des débats a aussi pour conséquence de démobiliser la société civile, qui ne se sent plus concernée. AVICENN, en testant 23 produits du quotidien, largement commercialisés en Europe, a souhaité rendre tangible la question de l’exposition chronique – et “hors radar” – aux nanos. S’intéresser aux dimensions matérielles des réglementations, c’est non seulement favoriser la participation de la société civile de participer aux débats mais aussi assurer in fine des réglementations plus pertinentes et adaptées aux besoins.