Nanoparticules de dioxyde de titane et de silice : risques en cas de grossesse

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Les études sur les impacts sanitaires des nanomatériaux manufacturés auxquels sont exposés les femmes pendant la grossesse sont extrêmement rares. Une collaboration entre plusieurs équipes scientifiques vient de mettre en évidence que, même lorsqu’elles sont filtrées par le placenta et n’atteignent pas l’embryon ou le fœtus, des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) et de silice (SiO2) entravent le développement des vaisseaux sanguins de l’enfant à naître. Ces résultats confirment la nécessité – et l’urgence – de faire montre de la plus grande prudence concernant l’utilisation de ces nanoparticules.

L’exposition aux nanoparticules au cours de la grossesse peut-elle nuire au développement de l’enfant à naître et, si oui, comment ? Une réponse à cette question a été récemment publiée par la revue Advanced Science, dans un article intitulé « Les nanoparticules dérèglent le sécrétome placentaire humain avec des conséquences sur l’angiogenèse et la vascularisation », réalisé par des scientifiques de différents laboratoires de Suisse1Tina Bürki et son équipe du laboratoire « Particles-Biology Interactions » de l’Empa ainsi que des chercheurs de l’ETH de Zurich, de l’hôpital cantonal de St.Galle (KSSG), de l’Institut Suisse de Bioinformatique (SIB) et de l’Université de Genève), des Pays-Bas2l’hôpital universitaire d’Amsterdam et d’Allemagne3l’Institut Leibniz de recherche en médecine environnementale de Düsseldorf . Le titre du communiqué de presse de l’Empa, le laboratoire suisse qui a piloté l’étude, résume le propos de manière plus concise et claire pour les non-experts : « Les nanoparticules : Risque pour les embryons dans le ventre de leur mère ».
AVICENN a échangé avec Dr. Tina Buerki du laboratoire « Particles-Biology Interactions » de l’Empa pour mieux comprendre et restituer pour VeilleNanos les tenants et aboutissants de cette étude particulièrement importante. Voici ce que nous en avons retenu.

Les nanoparticules perturbent la sécrétion, par le placenta, de molécules indispensables au bon déroulement de la grossesse

Les chercheurs ont collecté des placentas humains prélevés pour les uns, au cours du premier trimestre de grossesse (obtenus suite à des interruptions volontaires de grossesse (IVG)4entre la 7ème et la 10ème semaine de grossesse, et pour les autres, à terme (après des césariennes). Ils les ont d’abord exposés à des doses réalistes de nanoparticules manufacturées (dioxyde de titane et de silice) ainsi qu’à de la suie de diesel (particules incidentelles que l’on inhale du fait de la pollution de l’air). Ils ont alors observé si la sécrétion de molécules placentaires messagères, indispensables au bon déroulement de la grossesse, était affectée ou non.
Ce qu’ils ont constaté est particulièrement inquiétant → les nanoparticules de dioxyde de titane, de silice et la suie de diesel altèrent différentes molécules placentaires indispensables au bon déroulement de la grossesse :

  • elles altèrent non seulement des substances jouant un rôle clé dans l’immunité / l’inflammation (intervenant dans les fausses couches et la pré-éclampsie) – et ce, de façon plus particulièrement marquée au 1er trimestre de grossesse…
  • … mais aussi des substances jouant un rôle clé dans la formation et le développement des vaisseaux sanguins (des substances dont le dérèglement est également associé à la survenue de pré-éclampsie) ; les altérations les plus fortes sont générées par les nanoparticules d’oxydes métalliques (TiO2 et SiO2), plus que par les suies de diesel.

Ces perturbations entraînent un mauvais développement des vaisseaux sanguins, néfaste pour le fœtus

Dans un deuxième temps, les chercheurs ont voulu vérifier si les déséquilibres constatés au niveau des molécules secrétées par le placenta suite à l’exposition aux nanoparticules pouvaient avoir une incidence sur le développement du fœtus in utero. Ils ont donc mis différents échantillons des molécules obtenues précédemment au contact de membranes d’œufs de poule, afin de visualiser les impacts sur le développement des vaisseaux sanguins.
Là encore, des effets indésirables ont été observés : alors que les membranes d’œufs du groupe « contrôle » (sans exposition préalable à des nanoparticules) ont développé un réseau de vaisseaux sanguins dense et sain, des défaillances sont très nettement apparues dans la vascularisation des membranes des œufs exposées aux molécules sécrétées par des placentas qui avaient été exposés aux nanoparticules. Les chercheurs font ainsi état de zones non vascularisées, de divisions anormales des vaisseaux et, dans certains cas, d’une réduction de la longueur des vaisseaux.
Ces effets ont été observés pour les trois types de particules – mais de façon plus particulièrement marquée encore sur les échantillons du premier trimestre de grossesse, période particulièrement sensible.

Des effets différents selon les types de nanoparticules

Bien que tous les nanomatériaux étudiés dans le cadre de cette étude aient provoqué des effets néfastes sur le développement des vaisseaux sanguins, des différences notables ont été mises en évidence concernant la manière dont ils affectent le « cocktail » que constituent l’ensemble des substances secrétées par le placenta (le « secrétome placentaire ») :

  • les particules d’oxyde métallique (SiO2 et TiO2) ont induit un dérèglement plus prononcé des hormones de grossesse ou des protéines lysosomales, qui ont des fonctions important dans les réponses immunitaires et le remodelage des vaisseaux sanguins ;
  • de leur côté, les suies de diesel ont affecté divers facteurs inflammatoires et vasculaires, peut-être en raison de la présence de composés organiques ou de métaux présents à la surface de ces particules.

Quid des effets sur le système nerveux ?

Les premières étapes de développement du système nerveux n’ont été affectées que de façon très marginale, en tout cas dans le cadre de ce protocole expérimental basé sur une seule exposition de courte durée.


D’autres expériences, menées elles in vivo, ont récemment mis en évidence des problèmes neuronaux après une exposition quotidienne répétée, altérant notamment la respiration des nouveaux-nés5Voir par exemple notre article sur l’étude menée par des chercheurs de Bordeaux en 2022, dont les recherches ont également donné lieu à une autre publication plus récente. Cf. Effect of chronic prenatal exposure to the food additive titanium dioxide E171 on respiratory activity in newborn mice, Colnot E, O’Reilly J and Morin D, Frontiers in Pediatrics, 12:1337865, 2024 : une exposition quotidienne de souris aux nanoparticules de dioxyde de titane pendant la gestation entraîne une hyperventilation respiratoire chez les souriceaux nouveaux-nés.
→ Pour plus d’informations, voir notre fiche Quels risques des nanos pour la santé ? (rubrique  » Effets sur le cerveau et le système nerveux (neurotoxicité) »

Quelles suites en termes de recherche ?

Interrogée par AVICENN, Ioana Ferecatu, maîtresse de conférence en physiopathologie et pharmacotoxicologie placentaire humaine à l’Université Paris Cité, qui n’a pas participé à l’étude mais a mené des travaux en lien avec ce sujet6Cf. Benzo(a)pyrene and Cerium Dioxide Nanoparticles in Co-Exposure Impair Human Trophoblast Cell Stress Signaling, Deval, G. et al., Int. J. Mol. Sci. 24, 5439, 2023, et Uptake of Cerium Dioxide Nanoparticles and Impact on Viability, Differentiation and Functions of Primary
Trophoblast Cells from Human Placenta
, Nedder et al., Nanomaterials, 3;10(7):1309, 2020
, confirme « la pertinence, la robustesse et la haute qualité scientifique de cette étude novatrice qui apporte des contributions importantes à la recherche sur les impacts des nanoparticules pendant la grossesse ». Il faudrait, selon elle, « augmenter le nombre d’expériences réalisées afin d’améliorer la robustesse et la fiabilité des résultats ». Ce en quoi la rejoint la pilote de l’étude à l’Empa, qui a par ailleurs exprimé à AVICENN son souhait de vérifier, dans le cadre de futures recherches, si un sécrétome placentaire déréglé pourrait affecter, outre le développement des vaisseaux sanguins, le développement d’autres organes fœtaux. Elle développe d’ailleurs actuellement « un nouveau modèle miniature placenta-embryon pour mieux comprendre les mécanismes de toxicité des nanomatériaux sur le développement embryonnaire précoce chez l’humain » (qui permettra, au passage, de réduire l’expérimentation animale).

C’est le Fonds national suisse (FNS) qui a financé les travaux présentés ci-dessus. De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, le National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) et les National Institutes of Health (NIH) financent également quelques travaux sur le sujet7notamment ceux de Phoebe Stapleton, du département de pharmacologie et toxicologie de Rutgers University.
Mais en France et dans le reste de l’Union européenne, faute de financements dédiés et pérennes, les recherches sur les effets d’une exposition périnatale aux nanomatériaux manufacturés sont aujourd’hui réduites à portion congrue.

Pourtant, comme l’ont montré nos tests menés sur des produits de consommation courante en 2022, les femmes en âge de procréer sont particulièrement exposées aux nanomatériaux d’oxydes métalliques. Quelques rares projets de recherche français sont encore en cours, grâce à des financements obtenus il y a quelques années via le programme national de recherche « environnement – santé – travail » (PNR EST) de l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES)8Voir le projet XALUD sélectionné en 2022, l’agence nationale de la recherche (ANR)9Voir le projet PregNanoBaP avec des nanoparticules de dioxide de cérium, ou plus récemment via la Fondation pour la recherche médicale (FRM)10Voir le projet de Muriel Thoby-Brisson (Inserm/INCIA) et Marion Tissier-Raffin. Mais ils sont loin de pouvoir apporter toutes les réponses aux innombrables questions qui se posent en termes de connaissances sur les expositions aux nanos et les risques pour la santé qui y sont associés.

Quelles répercussions et retombées concrètes ?

Risques accrus de fausses couches, pré-éclampsies, faible poids à la naissance, autisme, maladies respiratoires, etc. Au vu des complications potentielles susceptibles d’être entraînées par les nanoparticules de TiO2 et SiO2 sur la santé, et plus particulièrement sur les grossesses et les enfants à naître11Voir notre fiche Quels risques des nanos pour la santé ? (rubrique  » Effets sur la fertilité et la descendance » (reprotoxicité)), une réponse des autorités sanitaires s’impose.

Le dioxyde de titane a certes été interdit dans l’alimentation, mais la question du maintien de son autorisation dans d’innombrables produits se pose, à commencer par les dentifrices et les médicaments. Les marques sont déjà nombreuses à avoir retiré le TiO2 de leurs dentifrices ces dernières années (CI77891), et des laboratoires pharmaceutiques ont également commencé à supprimer le TiO2 de certains médicaments (les comprimés de Doliprane de Sanofi notamment sont désormais dépourvus de E171).
Néanmoins, les pouvoirs publics semblent peu pressés de conforter cette tendance en faisant appliquer le principe de précaution : la Commission européenne s’est ainsi donné trois ans, entre 2022 et 2025, pour prendre une décision sur le maintien, ou non, de l’autorisation de l’excipient E171 dans les médicaments sur la base d’un avis que l’Agence européenne des médicaments (EMA) était censée lui fournir en avril dernier – et resté, pour l’instant du moins, confidentiel. (Dans un document de 2021, l’EMA avait plaidé pour qu’un délai de « dix ans ou plus » soit accordé aux laboratoires pharmaceutiques…)

Pendant ce temps-là, outre les très nombreux médicaments prescrits par voie orale, la plupart des gels ou capsules de progestérone prescrits aux femmes en préparation de PMA et de FIV contiennent du TiO2. Il ne s’agit pas nécessairement de TiO2 de même nature que celui testé par l’Empa et ses partenaires : la taille, l’enrobage, la cristallinité et d’autres paramètres des particules qui le composent peuvent être différents et, partant, leurs effets sont peut-être également de ceux mis en évidence par leur expérience.
Peut-être… mais aujourd’hui, faute d’études suffisamment nombreuses et robustes, il n’y a pas de garantie sur le fait que les différents types de TiO2 sur le marché soient sans danger, comme l’a souligné encore récemment le Comité européen pour la sécurité des consommateurs12Cf. Scientific Advice on Titanium dioxide (TiO2), SCCS, 1661/23, Mai 2024 et notre article dédié : TiO2 dans les cosmétiques : les experts européens jugent les données sur son innocuité non probantes, AVICENN @VeilleNanos, 17 juillet 2024.

Dans ces conditions, « est-il raisonnable de se contenter d’espérer que ce à quoi nous sommes exposés ne soit pas trop dangereux et de croiser les doigts… et les bras, quand c’est la santé des enfants à naître qui est en jeu ? » s’interroge Sylvie Platel, docteure en santé publique et responsable  du plaidoyer santé environnement de WECF : « ni les autorités publiques, ni les entreprises qui commercialisent le dioxyde de titane ou des produits qui en contiennent, ne peuvent faire abstraction de leurs effets délétères potentiels ; la protection des générations futures, qui commence à peine à être intégrée dans le droit, doit devenir une priorité »13A ce sujet, voir notamment :
Générations futures : un droit d’avenir – Entretien avec Emilie Gaillard, Sésame, 2022
– la Réunion internationale Réunion internationale « Justice, Générations futures et Environnement », organisée par le Conseil constitutionnel en février 2024
– la « Déclaration sur les générations futures » qui discutée lors du Sommet de l’avenir organisé par le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à New York en septembre 2024
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Les prochains RDV nano

10
Sep.
2024
Maîtrise des risques liés aux nanomatériaux (CEA, Grenoble – France)
Grenoble
Formation
  • Sensibilisation destinée aux personnels au contact de nanomatériaux en phase de recherche, formulation, production, maintenance, nettoyage, entretien… ainsi qu’aux animateurs ou ingénieurs de sécurité, chefs d’installation, chefs de laboratoires où sont manipulées des nanoparticules.
  • Organisateur : INSTN Grenoble (CEA)
  • Au programme : impact potentiel sur la santé ; métrologie et protections ; maîtrise des risques potentiels liés aux nanomatériaux ; prise en compte des aspects sociétaux
  • Site internet : https://instn.cea.fr/formation/maitrise-des-risques-lies-aux-nanomateriaux-sensibilisation
23
Sep.
2024
NanoTox 2024 (Projets H2020, Venise – Italie)
Venise
Conférence
  • 11ème conférence internationale de nanotoxicologie
  • Forum destiné au personnel des institutions de recherche publique et privée, de l’industrie, des pouvoirs publics et d’autres organisations intéressées
  • Organisateurs : Projets H2020 DIAGONAL, HARMLESS et SUNSHINE
  • 23 – 25 septembre 2024
  • Site internet : https://www.nanotox2024.eu
6
Oct.
2024
Visite de laboratoire où sont manipulés des nanos (C2N, Palaiseau – France)
Palaiseau
Visite de labo

Notes and references