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Archive – 2011 : Adoption de la définition des nanomatériaux par la Commission européenne

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Adoption de la définition des nanomatériaux par la Commission européenne : premières réactions et analyses

Par l’équipe AVICENN – Dernière modification en octobre 2011

Nanomatériau : la définition officielle de la Commission européenne

Dans un communiqué de presse en forme d’autosatisfecit1Qu’est-ce qu’un «nanomatériau»? La Commission européenne fait oeuvre de pionnier en proposant une définition commune, Communiqué de presse de la Commission européenne, 18 oct. 2011, la Commission européenne a annoncé hier avoir enfin établi « une définition (des nanomatériaux) claire pour s’assurer que toutes les règles de sécurité chimique appropriées sont appliquées ».
Le nanomatériau est ainsi défini comme :

  • « un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé
  • contenant des particules libres, sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat,
  • dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm »2Voir le texte intégral ici : Commission Recommendation of 18 October 2011 on the definition of nanomaterial, Commission européenne, oct. 2011 ; voir la version française publiée au J.O.UE ici ; voir les questions-réponses en anglais ici..

Le texte de la Commission prévoyait une révision de la définition d’ici décembre 2014, en fonction des premiers retours d’expérience ainsi que des progrès techniques et scientifiques. Cette définition a été longuement attendue tant par l’industrie que par les associations et les pouvoirs publics des États membres : elle doit en effet servir de référence pour les méthodes de mesure et de tests sur la toxicité des nanomatériaux , et pour la rédaction et promulgation des règlementations européennes (et le cas échéant nationales) spécifiques aux nanomatériaux ; elle ouvre notamment la voie à un cadre réglementaire Reach-Nano. Mi-2019, elle n’était toujours pas publiée.

La fin d’un long processus de négociation

En octobre 2010, la Commission européenne avait soumis à consultation publique un « Projet de recommandation de définition du terme nanomatériau ». 200 réponses à la consultation auraient été fournies par des industriels, académiques, associations de la société civile, citoyens, etc. À la fin mars 2011, la DG environnement de la Commission avait annoncé le fait que la Commission ne fournirait pas de définition définitive avant plusieurs mois, suscitant l’insatisfaction générale3La Commission bute sur la définition de la nanotechnologie, Euractiv, 1er avril 2011.

Ce sont les divergences d’opinion entre les différentes parties prenantes qui sont à l’origine du retard pris dans l’adoption du projet de recommandation. Plusieurs directions de la Commission étaient impliquées dans le processus, chacune soumise à un lobbying intense en provenance d’acteurs aux intérêts souvent incompatibles : d’un côté la DG Entreprises défendant les intérêts industriels, de l’autre les DG Environnement et Sanco défendant respectivement les positions des associations de protection de l’environnement et de la santé des consommateurs.


La définition adoptée par la Commission procède d’arbitrages entre les attentes des uns et des autres.

Premières réactions de la société civile et de l’industrie chimique : trois principaux points de polémique

Au lendemain de la parution de cette nouvelle définition, les plus actives des « parties prenantes » ont d’ores et déjà réagi officiellement : parmi eux, du côté de la société civile, le Bureau européen de l’environnement (BEE)4Nano definition too narrow says EEB, Communiqué de presse du Bureau Européen de l’Environnement, 18 octobre 2011 – qui fédère plus de 140 ONG dans 31 pays , les Amis de la Terre Australie (FoE Australia)5European Commission caves to industry pressure on nano definition, leaves people and environment at risk, Les Amis de la Terre Australie, 19 oct. 2011, le Center for International Environmental Law (CIEL)6CIEL welcomes new EU definition of nanomaterials as a necessary step towards assuring safety, CIEL, oct. 2011, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC)7BEUC welcomes adoption of ‘nano-definition’ but calls for proper regulation of safety risks, BEUC, 19 oct. 2011 ou encore l’Association des consommateurs européens sur la normalisation (ANEC)8Nanomaterials: a very small step on the long and bumpy road to consumer safety, ANEC, 19 oct. 2011 ; du côté industriel, le Conseil européen des fédérations de l’industrie chimique (CEFIC)9Practical nanomaterials definition needed to push forward next great innovation breakthroughs, CEFIC, 18 oct. 2011.

I – Le plafond de 100 nm

Les Amis de la Terre Australie, l’ANEC et le BEUC dénoncent l’adoption du seuil plafond de 100 nm jugé trop restrictif : ces associations auraient souhaité un seuil plafond plus élevé, qui aurait permis de prendre en compte davantage de matériaux10Elles s’appuient sur les considérations du Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (SCENIHR) qui a souligné l’absence de fondement scientifique à cette limite de 100 nm, ainsi que sur les résultats d’études toxicologiques faisant état de la toxicité de particules submicroniques dépassant les 100 nm. Comme l’illustrent les Amis de la Terre, si cette définition était appliquée à la réglementation, cela impliquerait que des substances composées à 45% de particules de 95nm et à 55% de particules de 105 nm échapperaient à la réglementation applicable aux nanomatériaux et ne seraient pas soumises aux éventuelles obligations d’étiquetage ou d’évaluation sanitaire. Le tout aux dépens des consommateurs et des travailleurs exposés à ces substances sur lesquelles continuera donc de planer la menace d’un risque supposé mais non évalué. En réponse à la consultation de la Commission sur sa première proposition de définition en 2010, de nombreuses associations avaient milité pour un seuil de 300 nm11NGO recommendations for the European definition of nanomaterials, 23 nov. 2010.
Les Amis de la Terre Australie rappellent que des marques cosmétiques européennes et des fabriquants américains de produits bioactifs sont déjà en train de modifier leurs produits pour exploiter les nouvelles propriétés optiques, chimiques et biologiques des nanomatériaux dont la taille est supérieure à 100nm, afin d’échapper à l’étiquetage et aux exigences d’évaluation de sécurité anticipés pour les matériaux dont la taille est comprise entre 1 et 100 nm.

II – Le seuil de 50%

Certaines organisations – dont CIEL et l’ANEC – applaudissent le choix du nombre de particules, et non de leur masse, comme unité de mesure des nanomatériaux ; à l’inverse, le CEFIC redoute que l’adoption de cette définition dans les réglementations entraîne une hausse importante des coûts pour les entreprises. La Commission a suivi ici les recommandations du SCENIHR12Scientific Basis for the Definition of the Term “nanomaterial”, SCENIHR, 8 décembre 2010, qui avaient été notamment soutenues par l’ANEC en 2010.

La Commission a en revanche largement relevé la proportion de matériaux de taille nanométrique requise pour qualifier une substance de nanomatériau par rapport à ce qui était prévu : le taux retenu – 50% de particules de taille nanométrique en nombre dans la matière considérée13Schématiquement, les particules dont est composé le nanomatériau ont une ou plusieurs dimensions comprises entre 1 et 100 nm pour au moins x% de la distribution de leur nombre en fonction de leur taille ; le débat a porté sur le x% : 0,15, 1… puis 50 – est 50 fois supérieur à celui proposé par la DG Environnement et soutenu par la société civile (1%), et plus de 333 fois plus élevé que celui défendu par le CSRSEN / SCENIHR (0,15%)14voir note 4 et soutenu par la DG Sanco.
Les associations ont manifesté leur surprise, incompréhension et hostilité devant un seuil si élevé. CIEL relève par exemple que même l’industrie allemande n’en avait pas tant demandé : elle avait milité pour un taux de 10% environ « seulement ».

La Commission a toutefois prévu qu’en cas d’inquiétudes en termes de risques environnementaux ou sanitaires ce taux pourra être abaissé en deçà de 50% – mais en aucun cas relevé – du moins d’ici 2014. Si cette mesure est saluée par CIEL ou ClientEarth, les Amis de la Terre Australie dénoncent quant à eux le fait que la charge de la preuve de la toxicité des matériaux sur lesquels portent cette inquiétude incombera alors aux associations. Or démontrer que certains nanomatériaux peuvent causer des dommages est déjà en soi rendu très difficile par les nombreuses incertitudes scientifiques, l’absence de méthodes et d’instruments fiables en matière d’évaluation des risques, la variabilité des nanomatériaux ou encore manque d’informations sur l’exposition réelle à ces matériaux. Faire cette même démonstration, mais sur une part déterminée de nanoparticules dans un échantillon, relève donc tout simplement de la gageure.

III – L’inclusion des agglomérats et aggrégats

Tandis que CIEL se félicite de l’inclusion des agglomérats et aggrégats dans la définition, le CEFIC considère que cette mesure rendra toute législation européenne sur les nanomatériaux trop contraignante.

Une définition scientifique… mais surtout politique

L’apparente technicité des débats et le caractère finalement arbitraire de sélection des seuils retenus illustrent la forte dimension politique à l’oeuvre derrière les décisions prises : les autorités européennes ayant eu à prendre une décision sur des bases scientifiques certes – grâce à l’éclairage scientifique des experts sollicités – mais surtout à opérer un arbitrage entre des intérêts d’acteurs divergents.
Les associations regrettent le déséquilibre entre les forces en présence – les lobbys industriels ayant des moyens hors de proportion en comparaison de ceux de la société civile qui n’a pas les ressources humaines ni financières pour prendre une part aussi active que l’industrie dans les groupes de travail ou les activités de lobbying auprès de la Commission.
Notons qu’au sein même de la société civile, des nuances apparaissent dans l’appréciation portée à la définition adoptée par la Commission européenne. CIEL, le BEE et le BEUC ont, malgré leurs réserves, accueilli favorablement l’adoption de cette définition, en espèrant qu’elle permettra d’ouvrir la voie à une véritable régulation par l’Union Européenne en la matière. Mais les Amis de la Terre Australie sont quant à eux beaucoup plus critiques : ils estiment que le texte adopté par la Commission est une injure au processus démocratique de consultation et d’implication des parties prenantes dont se réclament pourtant en théorie les institutions. Censée encourager la prise en compte des considérations environnementales, sanitaires, sociales et éthiques, et guider l’action publique par des considérations d’intérêt général plutôt que vers la satisfaction des seuls intérêts industriels, la Commission aurait manqué à son devoir de privilégier le principe de précaution.

Le début d’une nouvelle aventure : des problèmes d’application à prévoir

David Azoulay de CIEL rappelle que cette définition n’est pas une fin en soi, mais un outil nécessaire à la régulation de la fabrication et de l’utilisation des nanomatériaux.
Désormais les institutions européennes (et les Etats membres s’ils le souhaitent) auront une définition commune à laquelle se référer pour leurs éventuelles régulations. Et les scientifiques pourront également mettre en cohérence la terminologie de leurs méthodes d’évaluation et de gestion des risques.
A certaines exceptions près (notamment celle d’Andrew Maynard15Don’t define nanomaterials, Nature, 475, 31, 7 juillet 2011, et Define nanomaterials for regulatory purposes? EU JRC says yes, 2020Science.org, 6 sept. 2011 ), cette définition était vue par beaucoup comme un préalable à toute démarche de régulation ou d’évaluation des risques. Vito Buonsante, juriste pour ClientEarth, souligne16Industry, NGOs comment on EU Commission’s nanomaterial definition, Chemical Watch, 18 oct. 2011 ainsi qu’il n’y a désormais plus de raison justifiant que les données précises portant sur les risques des nanomatériaux ne soient pas documentées dans REACH en tant que substances à part ; les fabricants et les importateurs n’ont plus d’excuse pour ne pas les enregistrer et la tâche de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) sera facilitée. Cette définition devrait donc contribuer à faire avancer les choses.
Reste que de nombreux écueils attendent les autorités chargées de mettre en oeuvre les régulations qui se baseront sur cette définition – notamment ceux posés par les seuils, l’inclusion dans la définition des aggrégats et agglomérats et des nanomatériaux d’origine naturelle (et pas seulement ceux qui sont manufacturés), ou encore la fiabilité des méthodes de mesure17EC adopts cross-cutting definition of nanomaterials to be used for all regulatory purposes, 2020Science.org, 18 oct. 2011.
Depuis 2014, la définition des nanomatériaux est en cours de révision, les travaux et les tractations continuent…

Les prochains rendez-vous importants à l’agenda européen

Le 28 octobre 2011 s’est tenu la réunion des CARACAL, les autorités compétentes pour la mise en oeuvre de REACH et de la réglementation CLP relative à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et mélanges chimiques. L’application de REACH aux nanomatériaux sera au programme.
La question devrait avoir été approfondie un mois plus tard, les 22 et 23 novembre, lors de la réunion du sous-groupe des CARACAL spécifiquement dédié aux nanomatériaux, le CASG Nano (pour Competent Authorities Sub-Group on Nanomaterials).

Le suspense français : quelle définition pour R-Nano?

Dans le cas de la France, il n’est pas sûr, à l’heure actuelle, que le décret relatif à la déclaration annuelle des substances à l’état nanoparticulaire s’appuiera sur la nouvelle définition de la Commission européenne. Il se peut que le gouvernement français tente de maintenir une définition permettant d’englober dans sa réglementation plus de nanomatériaux que la définition adoptée par la Commission. Tous les espoirs de la société civile se tournent donc vers le choix français en cours, qui sera déterminant pour la suite : si la définition retenue est plus large que celle de la Commission et donc plus conforme avec le principe de précaution, elle pourrait servir d’exemple et être suivie dans d’autres pays ?

Les prochains RDV nanos

18
Nov.
2024
Harmonisation & standardisation des méthodes de tests pour les nanomatériaux et les matériaux avancés (MACRAMÉ & nanoPASS, en ligne)
En ligne
Atelier
20
Nov.
2024
Les nanotechnologies : un exemple de prévention du risque chimique en milieu industriel (ATC, Paris)
Paris
Formation
  • Module dispensé dans le cadre de la formation « Interactions entre les produits chimiques toxiques et l’organism humain » accessible à toute personne possédant un niveau de formation scientifique de base (niveau licence ou expérience professionnelle).
  • Organisateur : Association Toxicologie Chimie (ATC)
  • Intervenante : Chantal Fresnay, Ingénieure-Hygiéniste, Thales, Palaiseau
  • Site internet : https://www.atctoxicologie.fr/notre-formation.html
21
Nov.
2024
Maîtrise des risques liés aux nanomatériaux (CEA, Grenoble – France)
Grenoble
Formation
  • Sensibilisation destinée aux personnels au contact de nanomatériaux en phase de recherche, formulation, production, maintenance, nettoyage, entretien… ainsi qu’aux animateurs ou ingénieurs de sécurité, chefs d’installation, chefs de laboratoires où sont manipulées des nanoparticules.
  • Organisateur : INSTN Grenoble (CEA)
  • Au programme : impact potentiel sur la santé ; métrologie et protections ; maîtrise des risques potentiels liés aux nanomatériaux ; prise en compte des aspects sociétaux
  • Site internet : https://instn.cea.fr/formation/maitrise-des-risques-lies-aux-nanomateriaux-sensibilisation

Fiche initialement créée en octobre 2011

Notes and references

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