A quand un registre européen des nanomatériaux et des produits qui en contiennent ?
Par l’équipe AVICENN – dernier ajout novembre 2022
A quand un registre européen des nanomatériaux et des produits qui en contiennent ?
Un registre demandé depuis 2009 par les pouvoirs publics et la société…
Un registre communautaire des nanoproduits sur le marché européen a été demandé de longue date par de nombreux acteurs pour combler notre manque d’information sur les produits nano sur le marché et l’absence d’étiquetage clair et systématique :
- Par le parlement européen1En avril 2009, le Parlement européen avait ainsi invité « la Commission à dresser d’ici juin 2011 un inventaire des différents types et utilisations des nanomatériaux sur le marché communautaire, tout en respectant les secrets commerciaux qui se justifient, comme les recettes, et à rendre un tel inventaire accessible au public »(Voir Résolution du Parlement européen du 24 avril 2009 sur les aspects réglementaires des nanomatériaux, 2009.). En mars 2012, les députés européens du Science and Technology Options Assessment (STOA) avaient réitéré cette demande via « la mise sur pied et la mise en oeuvre d’un système de notification obligatoire des produits contenant des nanoparticules, accessibles le cas échéant au grand public afin que les consommateurs puissent faire leurs propres choix de façon informée et que les agences sanitaires puissent intervenir immédiatement en cas de danger avéré »NanoSafety – Risk Governance of Manufactured Nanoparticles, STOA, mars 2012 (p.107). Plus récemment, le 18 juillet 2013, la commission ENVI du Parlement européen a envoyé une lettreLettre de la commission (ENVI) du Parlement européen à la Commission européenne, 18 juillet 2013 à la Commission européenne dans laquelle elle insistait sur la nécessité de la mise en place d’un inventaire européen des produits de consommation comportant des nanomatériaux..
- Par les Etats membres : beaucoup d’Etats membres souhaitent une politique volontariste et unifiée au niveau européen. A défaut, ils ont pour l’instant été amenés à agir individuellement à l’échelle nationale 2(Voir le résumé en anglais du rapport National Action Plan for the safe use and handling of Nanomaterials, Ministère de l’Environnement suédois, octobre 2013 – en suédois, résumé en anglais à partir de la page 31) qui n’est pas la plus pertinente mais la seule de leur ressort : ils déploient, faute de mieux, des dispositifs limités à leur territoire avec la mise en place de registres nationaux des nanomatériaux et/ou des produits en contenant..
- L’Allemagne, dont le ministère de l’environnement a publiquement soutenu la création d’un registre européen des produits contenant des nanos dès 20123Fin 2012, le ministère de l’environnement allemand avait publiquement soutenu la création d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux, voir: Concept for a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt (Agence fédérale de l’environnement), décembre 2012. En mars 2014, il a publié une évaluation détaillée des impacts d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux (voir Assessment of Impacts of a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt – Agence fédérale de l’environnement-, mars 2014) selon laquelle :
– les secteurs des revêtements et des encres seraient les plus touchés par la mise en oeuvre d’un tel registre, suivis par les produits textiles et le papier ;
– un registre harmonisé au niveau européen est préférable à des registres nationaux disparates et permettrait une meilleure traçabilité et gestion des risques, bénéfiques autant aux consommateurs qu’aux pouvoirs publics et aux entreprises.
Un porte-parole de l’agence de l’environnement a récemment confirmé qu’en l’absence de mise en place d’un registre européen, l’Allemagne mettrait à son tour sur pied un registre au niveau fédéral, voir Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014. - En France, premier Etat à avoir mis sur pied un registre des nanomatériaux importés, produits et distribués sur son territoire avec la création du registre r-nano en 2013, les autorités avaient exprimé dès 2010 leur souhait d’une « harmonisation européenne »4Cf. Réponse des autorités françaises à la consultation publique « Towards a strategic nanotechnology action plan (SNAP) 2010-2015 », mars 2010, réitéré en 20135Réponse des autorités françaises à la consultation publique de la Commission européenne relative à la révision éventuelle des annexes du règlement REACH pour les adapter aux nanomatériaux, SGAE, septembre 2013 et encore en 20216Voir page 44 du PNSE 4
- L‘Autriche, la Croatie, la République tchèque, le Danemark, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suède ont également exprimé leur préférence pour un registre harmonisé à l’échelle européenne, de concert avec la France et l’Allemagne, lors d’une conférence à La Haye en avril 20137Cf. Considerations on information needs for nanomaterials in consumer products; Discussion of a labelling and reporting scheme for nanomaterials in consumer products in the EU, JRC, avril 2014 et Pragmatic steps towards a more effective EU nano policy. Building Blocks for Completing EU Regulation of Nanomaterials (Conference), Ministère des infrastructures et de l’environnement des Pays-Bas, 2013.
- L’Allemagne, dont le ministère de l’environnement a publiquement soutenu la création d’un registre européen des produits contenant des nanos dès 20123Fin 2012, le ministère de l’environnement allemand avait publiquement soutenu la création d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux, voir: Concept for a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt (Agence fédérale de l’environnement), décembre 2012. En mars 2014, il a publié une évaluation détaillée des impacts d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux (voir Assessment of Impacts of a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt – Agence fédérale de l’environnement-, mars 2014) selon laquelle :
- Par le centre commun de recherche de la Commission européenne : Le Centre commun de recherches (JRC) rattaché à la Commission européenne a lui aussi tout récemment plaidé en faveur de procédures harmonisées au niveau européen, en avril 20148Considerations on information needs for nanomaterials in consumer products; Discussion of a labelling and reporting scheme for nanomaterials in consumer products in the EU, JRC, avril 2014.
- Par la société civile : La société civile réclame depuis longtemps une plus grande transparence sur la présence de nanomatériaux dans les produits de consommation9Cf. « Nanogouvernance : comment lUnion européenne doit-elle mettre en place la traçabilité des nanomatériaux ? », ETUI, 2011. C’est le cas notamment :
- des associations de consommateurs européennes comme le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC)10Stratégie européenne sur les nanotechnologies: vers une nano protection des consommateurs, BEUC, 3 oct. 2012 et de l’Association européenne pour la coordination de la représentation des consommateurs dans la normalisation (ANEC)11Hazardous chemicals in products – The need for enhanced EU regulations, ANEC, juin 2016.
- des syndicats : En fait, cette préoccupation est largement partagée par le secteur associatif : fin octobre 2012, une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) européennes impliquées dans les domaines de la protection de l’environnement, des consommateurs ou des salariés12L’Association européenne pour la coordination de la représentation des consommateurs dans la normalisation (ANEC), le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), la Confédération européenne des syndicats (CES ou ETUC), le Center for international environmental law (CIEL), ClientEarth, la European environmental citizens organisation for standardisation (ECOS), le Bureau européen de l’Environnement (EEB), Women in Europe for a Common Future (WECF) avait envoyé une lettre13Lettre à la Commission européenne sur le deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux, 23 octobre 2012 (en anglais) à la Commission européenne dans laquelle elles critiquaient notamment l’immobilisme de la Commission concernant la mise en place d’un inventaire des nanoproduits.
- Ces ONG ont de nouveau rappelé cette exigence dans une prise de position datée d’avril 2014 publiée sur le site de l’association de défense de l’environnement CIEL14Position paper on the regulation of nanomaterials, ClientEarth, le BEE, ECOS, l’ANEC, HCWH et BEUC, avril 2014.
- Par l’Organisation mondiale de la santé (OMS): La branche Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait écrit en 2013 que les gouvernements et les organisations internationales devraient envisager de créer des systèmes de surveillance obligatoire des nanomatériaux »15Governments and international agencies should consider instituting mandatory monitoring schemes and health surveillance systems » : OMS (Europe), Nanotechnology and human health: Scientific evidence and risk governance, 2013 (p. 91).
- Par des scientifiques autrichiens16Cf. A European nano-registry as a reliable database for quantitative risk assessment of nanomaterials? A comparison of national approaches, Pavlicek A et al., NanoImpact, 21, janvier 2021 – et même chinois17Cf. Regulation of engineered nanomaterials: current challenges, insights and future directions, Environmental Science and Pollution Research, 1-18, 2017 : « Compulsory reporting schemes (registration and labelling) for commercial products containing ENMs should be adopted ».
Et pourtant, un registre redouté par certains
Une harmonisation à l’échelle européenne des différents registres nationaux en vigueur (ou en projet) dans certains États membres est vivement souhaitée par la société civile, les États membres et le Parlement européen…
Les fédérations industrielles sont plus ambivalentes sur le sujet : dans leur discours, certaines disent préférer un registre européen plutôt qu’une juxtaposition de registres nationaux différents… Mais dans les faits, le statu quo peut être plus avantageux pour les entreprises, qui ne font semble-t-il aucun lobbying en faveur d’un registre européen.
- Au niveau des industriels français et européens : Selon l’Usine Nouvelle, certains industriels français « n’hésitent pas à dire que l’on va tuer des activités. Et inciter à délocaliser là où la réglementation est moins contraignante, comme en Asie »18Nanomatériaux : les PME en quête d’information, L’Usine Nouvelle, 21 mai 2014.. Le géant allemand de l’industrie chimique BASF s’est prononcé contre la création d’un registre spécifique des nanomatériaux fin mai 201419No need for nano risk register – BASF, Tce Today, 28 mai 2014. En juin 2014 encore, les fédérations industrielles européennes ont publié une brochure Europe needs safe and innovative nanotechnologies and nanomaterials qui défend le statu quo.
- Aux Etats-Unis, le Bureau du représentant américain au commerce, qui redoute les atteintes au secret commercial et/ou industriel, le coût pour les contribuables, la charge administrative, …20En avril 2014, avant même la parution de la consultation de la Commission (cf. ci-dessous), le Bureau du représentant américain au commerce (USTR) a publié un rapport (Voir 2014 Report on Technical Barriers to Trade, United States Trade Representative (USTR), avril 2014, p.72) sur les obstacles techniques au commerce parmi lesquels figurent le futur – et pour l’instant encore hypothétique – registre nano européen ainsi que les registres nano nationaux. L’USTR considère que ces registres portent atteinte au secret commercial et/ou industriel, coûtent de l’argent aux contribuables, demandent un fort investissement en temps et représentent un fardeau administratif supplémentaire.
La Commission européenne peu encline à la création d’un registre nano
L’été 2014, la Commission européenne a lancé une « consultation sur les mesures de transparence concernant les nanomatériaux sur le marché » annoncée début 201321En mars 2013, sous la pression de la société civile et de certains Etats membres, la Commission européenne avait ouvert la discussion sur la faisabilité d’un inventaire des produits nano à l’échelle européenne : EU Commission to tender for nano register impact assessment, Chemical Watch, 21 mars 2013. La Commission européenne a reçu 202 réponses à cette consultation publique22– 100 réponses en provenance de l’industrie
– 102 réponses en provenance des autres parties prenantes (dont une dizaine émanant de pouvoirs publics et 85 environ émanant d’ONG – dont Avicenn – ou de citoyens).
Un résumé complet et l’analyse des consultations publiques ont été publiées en janvier 2015 : « Summary of the public consultation on transparency for nanomaterials on the market »..
Pourtant, depuis décembre 2014, la Commission s’est dite défavorable à la mise en place d’un registre à l’échelle européenne. Comme l’avait anticipé le journal Chemical Watch, aucune décision n’a été prise par la Commission avant le renouvellement de l’exécutif de la Commission de l’automne 201423Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014.
Une semaine après la réunion du CASG nano le 4 décembre 2014, Chemical Watch nous avait appris que la mise en place d’un registre européen n’était pas envisagée par la Commission24EU nanomaterials register looks unlikely, Chemical Watch, 11 décembre 2014 ; voir l’article traduit en français Un registre européen des nanomatériaux de plus en plus improbable , le blog Enjeux, 6 janvier 2015, aux motifs que l’exemple français ne permettait pas aux consommateurs d’identifier les produits sur le marché contenant des nanomatériaux, que 62% des substances notifiées au registre français R-Nano en 2013 sont déjà couverts par les enregistrements de REACH et que 90% devraient l’être à partir de 2018.
Le Bureau européen de l’environnement (BEE) – seule ONG présente à la réunion – ainsi que plusieurs représentants d’Etats membres avaient manifesté leur désapprobation vis-à-vis de la position de la Commission, qui devait présenter sa décision finale d’ici la mi-2015. Ils contestaient les chiffres qui ont été présentés, qui sont pour certains basés sur les matériaux à l’échelle macroscopique : le nombre de nanomatériaux alors enregistrés en vertu de REACH était en effet très faible. France nature environnement (FNE) contacté par AVICENN a exprimé le souhait que « la Commission revoie sa copie et se base sur l’exemple français pour créer un registre européen débouchant sur un étiquetage clair des produits utilisant des nanomatériaux, notamment dans l’alimentation ».
D’autres ONG européennes informées par AVICENN le 12 décembre (Les Amis de la Terre Allemagne, Öko-Institut, ECOS) avaient également manifesté leur consternation face à l’annonce et à l’argumentation de la Commission : si le registre français ne permet pas, en effet, d’identifier les produits commercialisés contenant des nanomatériaux, rien n’empêche la Commission – si ce n’est son absence de volonté politique ! – de proposer un registre plus ambitieux que le registre R-Nano qui aille jusqu’à l’identification des produits pour les consommateurs25En 2015, le BEE, CIEL et les Amis de la Terre allemagne (BUND) ont envoyé une note à la Commission en réponse à ses conclusions provisoires (voir : NGO comments on Transparency measures for nanomaterials on the market: Working conclusions , EEB, CIEL, BUND, 12 janvier 2015). Les trois ONG contestent les conclusions de la Commission qu’elles jugent biaisées en faveur des intérêts économiques de l’industrie, au détriment des préoccupations sanitaires et environnementales et de la transparence. Elles développent dans cette note les arguments mentionnés plus haut, lorsque nous les avions interrogées en décembre, et notamment les distorsions que la Commission a fait subir aux enseignements tirés de l’expérience française du registre R-Nano :
– elles réfutent l’argument avancé par la Commission sur la base du système R-Nano selon lequel le fardeau pour les industriels serait trop lourd : certes, la première année de mise en oeuvre de l’enregistrement obligatoire français a demandé un effort important des entreprises en 2013 ; la mise en oeuvre d’une nouvelle tâche génère inévitablement des coûts d’organisation, de collecte et de saisie des informations. Mais ces coûts diminuent de façon significative une fois que la pratique d’enregistrement est régulièrement installée dans les entreprises. Dès 2014, la 2ème année de mise en oeuvre de la déclaration obligatoire en France, les représentants de l’industrie ont reconnu que la quantité de travail était beaucoup moins lourde.
– elles rappellent aussi que les critiques adressées par la société civile française à R-Nano doivent conduire à élargir la publication des données enregistrées… mais qu’en aucun cas elles ne doivent être récupérées par la Commission pour rejeter la création d’un registre communautaire très largement soutenu par la société civile française (cf. les réponses d’AVICENN, de France Nature Environnement, de la CFTC, de la CGT, de Sarah Dubernet, du groupe EELV Aquitaine, etc.)..
- Le 5 décembre 2014, dans une note communiquée à l’ensemble des 28 ministres de l’environnement de l’Union européenne, dix d’entre eux (dont Ségolène Royal pour la France)26En l’occurrence les ministres de l’environnement de sept Etats membres (Autriche, Belgique, Allemagne, France, Pays-Bas, Suède et Danemark) et de la Norvège, soutenus par leurs homologues croates et luxembourgeois – Cf. Key issues in chemicals policy on the road to a non-toxic environment – Information from the Austrian, Belgian, Danish, German, French, Dutch and Swedish delegations, and Norway, supported by the Croatian and Luxembourg delegations, 5 décembre 2014 avaient de nouveau exprimé leur volonté que la Commission et « mette sur pied une base de données européenne de nanomatériaux afin d’accroître la transparence et la surveillance des nanomatériaux et de construire de la confiance »27Ce point a été abordé collectivement par l’ensemble des ministres de l’environnement présents le 17 décembre à Bruxelles lors du Conseil Environnement. Le communiqué de presse publié à l’issue de la réunion précise que les ministres ont jugé comme prioritaires la minimisation ou la substitution des substances préoccupantes (parmi lesquelles figurent les nanomatériaux) et l’amélioration de la qualité des enregistrements REACH (voir Press release – 3363rd ENVIRONMENT Council meeting (provisional version), 17 décembre 2014).
- Patrick Lévy, également sollicité par AVICENN, avait répondu que l’UIC et le MEDEF ne sont pas favorables à la mise en place d’un dispositif européen comparable à R-Nano. Toutefois, si un nombre significatif d’Etats membres allait vers un tel dispositif, ils pourraient être amenés à revoir leur position.
- La coexistence de plusieurs registres nationaux hétérogènes entraînera des coûts importants pour les entreprises et permettra une moindre traçabilité et gestion des risques. Or en l’absence de mise en place d’un registre européen, l’Allemagne pourrait mettre à son tour sur pied un registre national28Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014, après la France, le Danemark et la Belgique.
- Fin 2015 : le Danemark a plaidé pour un registre européen des nanomatériaux : Le premier bilan du registre nano danois, réalisé et publié fin 201529Assessment of the administrative burdens on businesses with a reporting obligation to the Danish Nanoproductregister, COWI, EPA, Environmental project No. 1804, 2015, pointe les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du projet (parmi lesquelles les problèmes d’accès aux données auprès des fournisseurs) et plaide pour la mise en place d’un registre au niveau européen.
Malgré tout, en mars 2016, la Commission a confirmé son rejet d’un registre européen et imposé à la place un « observatoire » bien insuffisant. Lors d’une réunion du CASG-nano, elle a ainsi informé les représentants des États membres qu’elle excluait la mise en place d’un registre des nanomatériaux, mais envisageait à la place la mise en ligne d’un site web public regroupant les informations déjà existantes sur les nanomatériaux30Cf. Commission rejects idea of EU nano register, Chemical Watch, 16 mars 2016. Ce « Nano Observatory », effectivement mis en place par l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) les années suivantes, est certes précieux, mais loin d’être à la hauteur des attentes.
La Commission européenne prétend ainsi « mieux légiférer » (sic) en limitant les coûts et le fardeau administratif pour les entreprises… sans considération pour l’indignation des ONG et pouvoirs publics. Car, comme l’on s’y attendait, ce « Nano Observatory » ne donne guère plus d’informations que celles obtenues par les États membres, rendus impuissants du fait du secret industriel et commercial que leur opposent les entreprises. Cinq ans après sa création, le déficit d’information pourtant dénoncé depuis de longues années par de nombreux Etats membres, ONG et scientifiques est toujours criant.
Le 13 avril 2016, trois ONG européennes, ECOS, CIEL (membres associés d’AVICENN) et Öko-Institute ont proposé une « Déclaration sur les déchets contenant des nanomatériaux » signée par plus de 80 organismes de toute la planète, dont AVICENN. Parmi la liste des recommandations figure la création d’un registre européen public des nano-produits pour aider à identifier les niveaux et les flux de déchets nano, dont l’OCDE a encore récemment rappelé l’impérieuse nécessité.
Seuls les industriels sont solidaires de la décision de la Commission européenne : David Carlander, DG de la Nanotechnology Industries Association (NIA), avait défendu l’idée qu’un registre européen irait à l’encontre de la confiance des consommateurs et porterait ainsi préjudice à l’innovation et aux emplois européens »31Nano registers: are they having the desired effect?, Chemical Watch, juin 2016. Autrement dit, moins nous en savons, mieux c’est. Une version bien singulière de « l’Europe de la connaissance », non ?
En attendant, celles et ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent se tourner vers les quelques inventaires existants que nous avons rassemblés mais dont la fiabilité est malheureusement toute relative ! Le dernier rapport de l’Observatoire européen des nanomatériaux (EUON) ne comptabilise ainsi que 2200 produits contenant des nanomatériaux sur le marché européen32Cf. Study of the EU market for nanomaterials, including substances, uses, volumes and key operators, EUON, 2022 – un nombre très largement sous-estimé.
Pas de registre = pas d’étiquetage
Rappelons que l’absence d’un tel registre et les lacunes de l’enregistrement des nanomatériaux dans Reach sont des obstacles majeurs à l’étiquetage des nanomatériaux (pourtant obligatoire dans l’alimentation, les cosmétiques et les biocides) : dans la mesure où de nombreuses entreprises (celles qui ne sont pas en amont de la chaîne d’approvisionnement) ignorent souvent que les ingrédients que leur vendent leurs fournisseurs peuvent comporter des nanomatériaux (du fait du silence des fabricants), elles ne peuvent ajouter la mention [nano] sur l’étiquette de leurs produits comme elles le devraient !
Le consommateur est donc perdant sur tous les plans : pas de registre, pas d’étiquetage…
AVICENN soutient la volonté des autorités françaises, réitérée dans le dernier Plan national santé environnement (PNSE 4), de promouvoir l’extension du registre r-nano à l’échelle européenne.
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- Site internet : www.inrs.fr/…/formation/…JA1030_2025
Cette fiche a été initialement créée en février 2019
Notes and references
- 1En avril 2009, le Parlement européen avait ainsi invité « la Commission à dresser d’ici juin 2011 un inventaire des différents types et utilisations des nanomatériaux sur le marché communautaire, tout en respectant les secrets commerciaux qui se justifient, comme les recettes, et à rendre un tel inventaire accessible au public »(Voir Résolution du Parlement européen du 24 avril 2009 sur les aspects réglementaires des nanomatériaux, 2009.). En mars 2012, les députés européens du Science and Technology Options Assessment (STOA) avaient réitéré cette demande via « la mise sur pied et la mise en oeuvre d’un système de notification obligatoire des produits contenant des nanoparticules, accessibles le cas échéant au grand public afin que les consommateurs puissent faire leurs propres choix de façon informée et que les agences sanitaires puissent intervenir immédiatement en cas de danger avéré »NanoSafety – Risk Governance of Manufactured Nanoparticles, STOA, mars 2012 (p.107). Plus récemment, le 18 juillet 2013, la commission ENVI du Parlement européen a envoyé une lettreLettre de la commission (ENVI) du Parlement européen à la Commission européenne, 18 juillet 2013 à la Commission européenne dans laquelle elle insistait sur la nécessité de la mise en place d’un inventaire européen des produits de consommation comportant des nanomatériaux.
- 2(Voir le résumé en anglais du rapport National Action Plan for the safe use and handling of Nanomaterials, Ministère de l’Environnement suédois, octobre 2013 – en suédois, résumé en anglais à partir de la page 31)
- 3Fin 2012, le ministère de l’environnement allemand avait publiquement soutenu la création d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux, voir: Concept for a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt (Agence fédérale de l’environnement), décembre 2012. En mars 2014, il a publié une évaluation détaillée des impacts d’un registre européen des produits contenant des nanomatériaux (voir Assessment of Impacts of a European Register of Products Containing Nanomaterials, Umweltbundesamt – Agence fédérale de l’environnement-, mars 2014) selon laquelle :
– les secteurs des revêtements et des encres seraient les plus touchés par la mise en oeuvre d’un tel registre, suivis par les produits textiles et le papier ;
– un registre harmonisé au niveau européen est préférable à des registres nationaux disparates et permettrait une meilleure traçabilité et gestion des risques, bénéfiques autant aux consommateurs qu’aux pouvoirs publics et aux entreprises.
Un porte-parole de l’agence de l’environnement a récemment confirmé qu’en l’absence de mise en place d’un registre européen, l’Allemagne mettrait à son tour sur pied un registre au niveau fédéral, voir Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014 - 4
- 5
- 6Voir page 44 du PNSE 4
- 7Cf. Considerations on information needs for nanomaterials in consumer products; Discussion of a labelling and reporting scheme for nanomaterials in consumer products in the EU, JRC, avril 2014 et Pragmatic steps towards a more effective EU nano policy. Building Blocks for Completing EU Regulation of Nanomaterials (Conference), Ministère des infrastructures et de l’environnement des Pays-Bas, 2013
- 8
- 9
- 10
- 11
- 12L’Association européenne pour la coordination de la représentation des consommateurs dans la normalisation (ANEC), le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), la Confédération européenne des syndicats (CES ou ETUC), le Center for international environmental law (CIEL), ClientEarth, la European environmental citizens organisation for standardisation (ECOS), le Bureau européen de l’Environnement (EEB), Women in Europe for a Common Future (WECF)
- 13Lettre à la Commission européenne sur le deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux, 23 octobre 2012 (en anglais)
- 14Position paper on the regulation of nanomaterials, ClientEarth, le BEE, ECOS, l’ANEC, HCWH et BEUC, avril 2014
- 15Governments and international agencies should consider instituting mandatory monitoring schemes and health surveillance systems » : OMS (Europe), Nanotechnology and human health: Scientific evidence and risk governance, 2013 (p. 91)
- 16Cf. A European nano-registry as a reliable database for quantitative risk assessment of nanomaterials? A comparison of national approaches, Pavlicek A et al., NanoImpact, 21, janvier 2021
- 17Cf. Regulation of engineered nanomaterials: current challenges, insights and future directions, Environmental Science and Pollution Research, 1-18, 2017 : « Compulsory reporting schemes (registration and labelling) for commercial products containing ENMs should be adopted »
- 18Nanomatériaux : les PME en quête d’information, L’Usine Nouvelle, 21 mai 2014.
- 19No need for nano risk register – BASF, Tce Today, 28 mai 2014
- 20En avril 2014, avant même la parution de la consultation de la Commission (cf. ci-dessous), le Bureau du représentant américain au commerce (USTR) a publié un rapport (Voir 2014 Report on Technical Barriers to Trade, United States Trade Representative (USTR), avril 2014, p.72) sur les obstacles techniques au commerce parmi lesquels figurent le futur – et pour l’instant encore hypothétique – registre nano européen ainsi que les registres nano nationaux. L’USTR considère que ces registres portent atteinte au secret commercial et/ou industriel, coûtent de l’argent aux contribuables, demandent un fort investissement en temps et représentent un fardeau administratif supplémentaire
- 21En mars 2013, sous la pression de la société civile et de certains Etats membres, la Commission européenne avait ouvert la discussion sur la faisabilité d’un inventaire des produits nano à l’échelle européenne : EU Commission to tender for nano register impact assessment, Chemical Watch, 21 mars 2013
- 22– 100 réponses en provenance de l’industrie
– 102 réponses en provenance des autres parties prenantes (dont une dizaine émanant de pouvoirs publics et 85 environ émanant d’ONG – dont Avicenn – ou de citoyens).
Un résumé complet et l’analyse des consultations publiques ont été publiées en janvier 2015 : « Summary of the public consultation on transparency for nanomaterials on the market ». - 23Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014
- 24EU nanomaterials register looks unlikely, Chemical Watch, 11 décembre 2014 ; voir l’article traduit en français Un registre européen des nanomatériaux de plus en plus improbable , le blog Enjeux, 6 janvier 2015
- 25En 2015, le BEE, CIEL et les Amis de la Terre allemagne (BUND) ont envoyé une note à la Commission en réponse à ses conclusions provisoires (voir : NGO comments on Transparency measures for nanomaterials on the market: Working conclusions , EEB, CIEL, BUND, 12 janvier 2015). Les trois ONG contestent les conclusions de la Commission qu’elles jugent biaisées en faveur des intérêts économiques de l’industrie, au détriment des préoccupations sanitaires et environnementales et de la transparence. Elles développent dans cette note les arguments mentionnés plus haut, lorsque nous les avions interrogées en décembre, et notamment les distorsions que la Commission a fait subir aux enseignements tirés de l’expérience française du registre R-Nano :
– elles réfutent l’argument avancé par la Commission sur la base du système R-Nano selon lequel le fardeau pour les industriels serait trop lourd : certes, la première année de mise en oeuvre de l’enregistrement obligatoire français a demandé un effort important des entreprises en 2013 ; la mise en oeuvre d’une nouvelle tâche génère inévitablement des coûts d’organisation, de collecte et de saisie des informations. Mais ces coûts diminuent de façon significative une fois que la pratique d’enregistrement est régulièrement installée dans les entreprises. Dès 2014, la 2ème année de mise en oeuvre de la déclaration obligatoire en France, les représentants de l’industrie ont reconnu que la quantité de travail était beaucoup moins lourde.
– elles rappellent aussi que les critiques adressées par la société civile française à R-Nano doivent conduire à élargir la publication des données enregistrées… mais qu’en aucun cas elles ne doivent être récupérées par la Commission pour rejeter la création d’un registre communautaire très largement soutenu par la société civile française (cf. les réponses d’AVICENN, de France Nature Environnement, de la CFTC, de la CGT, de Sarah Dubernet, du groupe EELV Aquitaine, etc.). - 26En l’occurrence les ministres de l’environnement de sept Etats membres (Autriche, Belgique, Allemagne, France, Pays-Bas, Suède et Danemark) et de la Norvège, soutenus par leurs homologues croates et luxembourgeois – Cf. Key issues in chemicals policy on the road to a non-toxic environment – Information from the Austrian, Belgian, Danish, German, French, Dutch and Swedish delegations, and Norway, supported by the Croatian and Luxembourg delegations, 5 décembre 2014
- 27Ce point a été abordé collectivement par l’ensemble des ministres de l’environnement présents le 17 décembre à Bruxelles lors du Conseil Environnement. Le communiqué de presse publié à l’issue de la réunion précise que les ministres ont jugé comme prioritaires la minimisation ou la substitution des substances préoccupantes (parmi lesquelles figurent les nanomatériaux) et l’amélioration de la qualité des enregistrements REACH (voir Press release – 3363rd ENVIRONMENT Council meeting (provisional version), 17 décembre 2014)
- 28Commission forced to reveal nano options, ENDS Europe, 25 mars 2014 et European Commission, member states weigh options for nano inventory, Chemical Watch, 27 mars 2014,
- 29Assessment of the administrative burdens on businesses with a reporting obligation to the Danish Nanoproductregister, COWI, EPA, Environmental project No. 1804, 2015
- 30Cf. Commission rejects idea of EU nano register, Chemical Watch, 16 mars 2016
- 31Nano registers: are they having the desired effect?, Chemical Watch, juin 2016
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