Nanos dans les produits phytos : l’information fait toujours cruellement défaut
Une expertise demandée par notre association AVICENN et dont les résultats ont été publiés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) confirme le manque de données disponibles sur les nanos utilisées en agriculture. Les auteurs du rapport, de la société italienne Innovamol, mettent en avant la nécessité de changer la réglementation européenne afin de mieux identifier, évaluer et encadrer les nanos dans les champs.
A l’origine du rapport : une demande par AVICENN
En 2022, l’Observatoire européen des nanomatériaux (EUON), rattaché à l’agence européenne des produits chimiques (ECHA), avait lancé un appel à sujets d’étude sur le domaine des nanomatériaux. AVICENN, en partenariat avec d’autres ONG européennes1Center for International Environmental Law (CIEL), ClientEarth, European Environmental Bureau and Health and Environment Alliance (HEAL), avait alors envoyé plusieurs propositions, dont l’une sur l’utilisation des nanos dans les pesticides et les engrais (justifiée, entre autres, par le nombre très important de publications sur le sujet ainsi que par le fait que l’agriculture arrive chaque année en tête de liste des secteurs d’utilisation des nanomatériaux2en nombre de déclarations enregistrées dans la base française r-nano).
En septembre 2022, nous apprenions que notre sujet avait été retenu par l’ECHA. Et un an plus tard, en septembre 2023, que le bureau d’études italien Innovamol avait été mandaté pour réaliser une synthèse des connaissances sur le sujet et formuler des préconisations. Cette société est spécialisée dans l’analyse et la synthèse de données scientifiques via l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et du machine-learning (ML).
→ Son rapport final, intitulé Collection and review of information on nanomaterial-based and nanoenabled plant protection products, biocidal products and fertilising products, a été transmis en mai 2024 à l’ECHA, qui en a autorisé la publication, six mois plus tard, sur le site de l’EUON.
Une synthèse de l’état des connaissances sur les nanos dans les phytos
Innovamol a compilé 11 000 documents, dont plus de 3 000 ont été jugés pertinents et 1872 finalement retenus et analysés : articles scientifiques, brevets, livres, thèses, rapports institutionnels, pages web, tribunes, etc.
Innovamol a également recueilli 75 contributions via une consultation à laquelle une soixantaine de chercheurs ont répondu (5 fabricants de produits chimiques, 4 représentants d’agences réglementaires et 6 ONG, dont notre association AVICENN).
Selon Alberto del Rio qui a piloté l’étude pour Innovamol et avec qui AVICENN a échangé, les substances les plus communément citées dans la littérature scientifique pour des applications en agriculture sont :
- les nanoparticules métalliques : argent, zinc, cuivre, fer
- les nanoparticules de silice,
- certains polymères et hybrides (type Polycaprolactone : PCL), poly(lactic-co-glycolic acid : PLGA),
- les nanoparticules carbonées : oxyde de graphène, carbon dots, nanotubes de carbone multiparois
- les nanoparticules de chitosane.
Les avantages (escomptés) de l’utilisation des nanos en agriculture sont multiples et portent principalement sur l’amélioration :
- des propriétés antifongiques (pour les nanoparticules de cuivre ou d’oxydes de zinc par exemple), de la résistance aux maladies (pour les nanoparticules de silice notamment),
- de l’absorption des nutriments (pour les nanoparticules de fer et de zinc),
- des mécanismes de libération contrôlée des produits agrochimiques (des nanovecteurs sont conçus pour prolonger le relargage des nutriments et des pesticides, à des doses plus faibles et prétendument plus efficaces et moins néfastes sur le reste de l’environnement)
- de la défense des plantes (meilleures réponse au stress et résistance aux agents pathogènes par l’induction, via les nanoparticules, d’activités enzymatiques antioxydantes et d’un renforcement de l’intégrité des parois cellulaires)
- de la biodégradabilité de certains composants (avec le recours à des nanocomposites biodégradables).
Près de cinquante pages sont consacrées plus en détails aux connaissances scientifiques disponibles sur les différents types de nanoparticules, leurs propriétés potentiellement utiles en matière d’agriculture et les éventuels risques qui pourraient y être associés.
Les auteurs pointent également les nombreuses lacunes en termes de connaissances concernant tant la commercialisation et l’utilisation des nanos dans le domaine agricole, que l’exposition humaine et environnementale et les dangers associés.
Dans un article d’AgraPresse publié en même temps que le rapport, Alberto del Rio regrette « l’absence quasi-totale de données disponibles au niveau du marché européen » et le fait qu’il soit « très difficile de savoir si une entreprise met actuellement sur le marché des produits sous forme nanoparticulaire ».
Des recommandations très pertinentes
Le rapport propose également une analyse de la réglementation européenne existante et déplore qu’elle ne contienne pas de dispositions spécifiques concernant les nanos dans les pesticides ou les engrais. Il rappelle que si le règlement (EU) n°528/2012 rend obligatoire l’étiquetage (nano) des nanomatériaux dans les produits biocides, ainsi qu’une évaluation des risques préalable à la mise sur le marché, il ne s’applique pas aux produits agricoles. Ces derniers sont couverts par le règlement (CE) n°1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques et le règlement n°2019/1009 sur les produits fertilisants : or, aucun de ces deux textes ne prend en considération la taille des particules utilisées dans les pesticides et les engrais (et ce, ni pour les substances actives ni pour les co-formulants). Et pourtant, à composition chimique égale, la réactivité des nanoparticules est plus importante que celle des particules plus grosses : leur toxicité et leur éco-toxicité peuvent donc être plus importantes, ce qui nécessite la mise en place de garde-fous.
Les recommandations du rapport à cet égard sont très pertinentes. Elles soulignent le besoin de :
- mettre à jour la législation européenne afin d’intégrer une définition et des dispositions spécifiques pour les nanomatériaux dans les règlements sur les produits phytopharmaceutiques et les fertilisants
- établir un cadre pour des instructions d’utilisation normalisées
- créer une base de données des nanos utilisés dans l’agriculture de l’UE et mettre en place un système de notification obligatoire pour les fabricants
- demander des analyses documentaires systématiques et des tests obligatoires de toxicité et d’écotoxicité pour étayer les allégations d’efficacité et permettre aux pouvoirs publics de remplir leurs missions.
Et maintenant ?
Hasard du calendrier, le rapport d’Innovamol a été mis en ligne vingt ans exactement après le rapport La Ferme atomisée du collectif canadien ETC Group qui demandait l’interdiction de l’utilisation des intrants agricoles contenant des nanos tant que les risques de ces nouveaux produits n’avaient pas été évalués.
Si le rapport d’Innovamol formule les choses différemment, ses recommandations vont elles aussi dans le sens d’une évaluation nano-spécifique préalable à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché. Quel écho recevront ces recommandations dans les instances européennes ? Une réunion est prévue à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) prochainement. A suivre donc !
A noter également : au niveau français, deux rapports de l’Agence française de sécurité sanitaire (ANSES) sont attendus pour 2025. L’un sur les nanomatériaux dans les produits biocides et phytopharmaceutiques, l’autre sur les améliorations à apporter à la base française r-nano pour que les autorités, les professionnels et le public puissent avoir une meilleure visibilité sur les caractéristiques, volumes localisations, efficacité et risques des produits concernés.
Ces rapport devraient contribuer à renforcer la prise de conscience d’un besoin impérieux d’amélioration des connaissances sur les nanos contenus dans les produits phytopharmaceutiques : davantage de données doivent être exigées des fabricants afin qu’une évaluation robuste des risques qui y sont associés puisse enfin être menée… sans attendre vingt années supplémentaires !
Les dernières actus nano
Les prochains RDV nano
- 6e congrès interdisciplinaire de nanosciences, dédié à tous les scientifiques académiques et industriels dans les nanosciences et nanotechnologies qu’ils soient chercheurs, ingénieurs, doctorants, post-docs, etc.
- Du 18 au 21 mars 2025
- Organisateur : Centre national de Compétences en Nanosciences du CNRS, C’Nano
- Site internet : https://cnano2025.sciencesconf.org
- Advanced Characterization Techniques in Nanomaterials and Nanotechnology
- 10th European Congress on Advanced Nanotechnology and Nanomaterials
- Les 14 et 15 avril 2025
- Website: https://nanomaterialsconference.com
- 7ème Gordon Research Conference (GRC) « Environmental nanotechology »
- Chairs: Peter Vikeslan and Denise Mitrano
- Dates: 1er-6 juin 2025
- Site internet: https://www.grc.org/environmental-nanotechnology-conference/2025/
Notes and references
- 1Center for International Environmental Law (CIEL), ClientEarth, European Environmental Bureau and Health and Environment Alliance (HEAL)
- 2en nombre de déclarations enregistrées