Nanos et agriculture
Nanos et agriculture
Par l’équipe AVICENN – Dernier ajout mai 2024
Les « promesses » des nanos en matière d’agriculture
De nombreuses promesses entourent les nanomatériaux dans les produits phytosanitaires. Schématiquement, on peut distinguer plusieurs types de bénéfices recherchés pour les engrais et les pesticides :
- limiter la quantité de matière active utilisée, grâce à une matière active dont l’efficacité est accrue par un ratio surface / volume plus élevé à l’échelle nanométrique
- déclencher des mécanismes d’autodéfense de certains végétaux contre des maladies (produits « éliciteurs »)
- favoriser la biodisponibilité de la matière active :
- grâce à sa taille nanométrique, la matière active est plus facilement absorbée par les plantes
- ou grâce à une nano-encapsulation qui permet une libération de la matière active plus lente et plus étalée dans le temps (« effet retard »)
- éviter le lessivage par la pluie ou la dégradation par la lumière, grâce à l’encapsulation de la matière active
Un autre volet d’applications des nanotechnologies concerne l’agriculture dite « de précision », grâce aux nanocapteurs pour optimiser les conditions de culture1Une équipe française travaille sur ces sujets : Agrotic. Aux USA, une expérimentation de l’implantation de nanocapteurs à l’intérieur même d’un végétal pour détecter précocement le stress hydrique est signalée en 2018. Pour approfondir la question de la digitalisation de l’agriculture voir notamment : The ongoing digitalisation of agriculture: identifying key research areas, Science for Environment Policy, 581, juin 2022.
Enfin, les nanotechnologies pourraient aider à la conception de capteurs plus performants permettant de détecter plus facilement des éléments pathogènes2Voir par exemple An overview on the nanotechnological expansion, toxicity assessment and remediating approaches in Agriculture and Food industry, Muthukrishnan L, Environmental Technology & Innovation, 25, février 2022 ou des traces de phytosanitaires dans les produits des récoltes3Voir par exemple :
– Nano-sensor detects pesticides on fruit in minutes, Karolinska Institutet, juin 2022
– Nanoparticles Make Pesticide Detection Super Sensitive, Asian Scientist Magazine, 5 mars 2018.
Quelles applications nano déjà sur le marché ?
Dans le secteur agricole comme dans tous les autres, on reste vraiment dans le flou quand il s’agit d’identifier les produits nano-additivés déjà commercialisés : les produits phytosanitaires ne sont soumis à aucune obligation d’étiquetage [nano]4Le règlement biocides, qui rend obligatoire l’étiquetage [nano], ne s’applique pas aux phytosanitaires, et les fiches de sécurité ne mentionnent quasiment jamais la présence de nanomatériaux dans les produits.
Ce que nous apprennent les déclarations sur R-nano
Grâce à la déclaration obligatoire instituée par la France depuis 2013, on sait néanmoins qu’une partie des quelques 500 000 tonnes de substances nano déclarées chaque année dans le registre R-Nano est utilisée en agriculture, sans plus d’indication sur le volume exact ni sur les propriétés de ces nanomatériaux effectivement utilisés dans le secteur agricole.
Depuis 2014, l’agriculture arrive certes en tête des secteurs d’utilisation déclarés, mais cette « première place » ne reflète pas nécessairement un fort tonnage – elle est peut-être simplement la manifestation de la bonne transmission de l’information au sein de la filière agricole et du nombre plus élevé, dans cette filière, d’intermédiaires entre les fabricants et les utilisateurs professionnels (en l’occurrence, les agriculteurs)5Les distributeurs de la filière agricole sont bien rodés à la transmission des informations, notamment avec la gestion des redevances pollution, via la base nationale de données sur les ventes PhytoData..
Dans le bilan 2016, une quarantaine de substances à l’état nanoparticulaires sont listées : alumine, silice, calcium, soufre, dioxyde de titane, cuivre, pigments et divers argiles (kaolin, attapulgite, terre de Fuller,…). Plutôt que des substances actives, il s’agirait essentiellement d’agents de charge / coformulants. L’ANSES procède, depuis 2017, à des vérifications sur ce point.
Deux grandes familles de nanopesticides
S’il est difficile d’estimer avec précision l’ampleur des applications des nanos dans les phytosanitaires, l’analyse des brevets et de la littérature scientifique permet de mesurer le nombre important de produits qui sont ou vont être probablement commercialisés. Dans un article publié dans Nature Nanotechnology6Wang, D., Saleh, N.B., Byro, A. et al. Nano-enabled pesticides for sustainable agriculture and global food security, Nat. Nanotechnol. 17, 347–360, 2022 des chercheurs ont identifié deux principales familles de pesticides après avoir analysé 1163 brevets et 500 articles scientifiques :
- Les nanomatériaux utilisés comme principe actif et principalement métalliques, les plus largement appliqués étant les nano-argents (comme nanobactéricides, nanofongicides et nanoinsecticides) et les nanoparticules de dioxyde de titane (comme nanobactéricides et nanofongicides)7Deux produits déjà commercialisés aux Etats-Unis sont cités: le Nu-Clo silvercide (numéro d’enregistrement EPA 7124-101, approuvé en 2007) et le DuPont Kocide 3000 (numéro d’enregistrement EPA 352-662, approuvé en 2007).
- Les nanomatériaux qui servent à la nano-encapsulation du principe actif, les plus courants étant les polymères tels que le chitosan, la cellulose et le polyéthylène existant sous forme de nanocapsules, de nanosphères, de nano(hydro)gels et de nanomicelles, des nanoparticules d’argile (par exemple, silice, montmorillonite et kaolinite), des nanocomposites ou encore des nanotubes de carbone8Cf Figure 1 de l’article cité ci-dessus .
Le manque de transparence des fabricants
Peu de distributeurs avaient connaissance de la présence de ces nanomatériaux dans les produits phytosanitaires avant 2013 : c’est seulement avec la mise en place de la déclaration obligatoire qu’ils en ont progressivement découvert l’existence. Si les fabricants étaient plus transparents, les choses seraient moins compliquées. Mais ils ne veulent pas communiquer et refusent même de répondre aux demandes d’informations sur leurs nanomatériaux formulées par l’agence européenne des produits chimiques (ECHA).
En 2014, AVICENN a néanmoins pu identifier une quarantaine de produits vendus en agriculture ayant été déclarés au registre R-nano par une demi-douzaine d’entreprises, sans que l’on puisse avoir davantage d’informations : les entreprises ne fournissent en effet aucune information sur les nanomatériaux qu’elles utilisent, ni dans les fiches de sécurité des produits concernés (fiches qui ont pourtant été mises à jour après la mise en place de R-nano), ni sur leurs sites ni sur le site de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) : info-pesticides.org.
L’effet retard (recherché au champ) est ainsi également très sensible… dans l’information ! L’Union des industries chimiques (UIC devenue France Chimie) et le Medef, soutenus par la Fédération du négoce agricole (FNA), Coop de France et l’UIPP demandent même depuis 2015 à exonérer les distributeurs de remplir la déclaration obligatoire, ce qui ne ferait qu’accroître le déficit d’information déjà trop important aujourd’hui.
La transparence, socle de la vigilance nécessaires face aux risques
À l’inverse, AVICENN a fait des propositions qui aideraient à renforcer les efforts de vigilance collective9Par exemple, demander aux fabricants d’actualiser le registre e-phy (catalogue des engrais et pesticides autorisés en agriculture consultable en ligne), en spécifiant avec le numéro d’autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque le produit contient des nanomatériaux et est donc concerné par la déclaration R-nano ; lorsqu’ensuite les distributeurs renseigneraient la base nationale de données sur les ventes Phytodata avec les codes postaux des agriculteurs acheteurs finaux, l’information sur les usages serait plus complète que dans le registre R-nano et ce, sans enregistrement supplémentaire. (Les codes postaux sont certes relativement imprécis pour géolocaliser des usages mais suffisants pour hiérarchiser et, le cas échéant, alléger la surveillance là où il n’y a pas d’enjeu ou l’augmenter en ciblant les pratiques « à risques » sur des territoires ou des groupes de population à prévenir). Plus largement, voir nos suggestions d’améliorations à apporter au dispositif R-nano.. En effet, les risques associés aux nanos dans l’agriculture ne sont pas à prendre à la légère, tant du point de vue de l’environnement que de la santé des agriculteurs et riverains. La transparence est donc essentielle pour pouvoir exercer la vigilance requise.
Quid des risques ?
Comme le résument des chercheurs indiens dans une revue de la littérature scientifique publiée en 2022, « les nanotechnologies impliquent souvent l’utilisation de nanoparticules de métal ou d’oxyde métallique, qui peuvent pénétrer dans le corps humain et s’y accumuler par bioamplification. Bien que leurs effets sur la santé humaine ne soient pas connus, les nanoparticules peuvent atteindre des concentrations toxiques dans le sol et s’écouler dans les rivières et autres plans d’eau, leur élimination devenant un énorme fardeau économique »10Cf. A comprehensive overview of nanotechnology in sustainable agriculture, Arora S et al., Journal of Biotechnology, 355 : 21-41, août 2022.
Les risques associés à l’utilisation des nanos dans l’agriculture fait l’objet d’une fiche détaillée accessible en cliquant sur le lien ci-dessous :
Une analyse précise du rapport bénéfices / risques s’impose donc.
Une remarque, une question ? Cette fiche réalisée par AVICENN a vocation à être complétée et mise à jour. N'hésitez pas à apporter votre contribution
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Les prochains RDV nanos
- Advanced Characterization Techniques in Nanomaterials and Nanotechnology
- 10th European Congress on Advanced Nanotechnology and Nanomaterials
- Website: https://nanomaterialsconference.com
- Formation destinée aux médecins du travail, intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), préventeurs d’entreprise, agents des services prévention des Carsat, Cramif et CGSS, préventeurs institutionnels (Dreets, Dreal, MSA…)
- Organisateur : Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
- Du 6 au 10 octobre 2025
- Site internet : www.inrs.fr/…/formation/…JA1030_2025
Ce dossier a été initialement mis en ligne en juillet 2017.
Notes and references
- 1Une équipe française travaille sur ces sujets : Agrotic. Aux USA, une expérimentation de l’implantation de nanocapteurs à l’intérieur même d’un végétal pour détecter précocement le stress hydrique est signalée en 2018. Pour approfondir la question de la digitalisation de l’agriculture voir notamment : The ongoing digitalisation of agriculture: identifying key research areas, Science for Environment Policy, 581, juin 2022
- 2Voir par exemple An overview on the nanotechnological expansion, toxicity assessment and remediating approaches in Agriculture and Food industry, Muthukrishnan L, Environmental Technology & Innovation, 25, février 2022
- 3Voir par exemple :
– Nano-sensor detects pesticides on fruit in minutes, Karolinska Institutet, juin 2022
– Nanoparticles Make Pesticide Detection Super Sensitive, Asian Scientist Magazine, 5 mars 2018 - 4Le règlement biocides, qui rend obligatoire l’étiquetage [nano], ne s’applique pas aux phytosanitaires, et les fiches de sécurité ne mentionnent quasiment jamais la présence de nanomatériaux dans les produits
- 5Les distributeurs de la filière agricole sont bien rodés à la transmission des informations, notamment avec la gestion des redevances pollution, via la base nationale de données sur les ventes PhytoData.
- 6Wang, D., Saleh, N.B., Byro, A. et al. Nano-enabled pesticides for sustainable agriculture and global food security, Nat. Nanotechnol. 17, 347–360, 2022
- 7Deux produits déjà commercialisés aux Etats-Unis sont cités: le Nu-Clo silvercide (numéro d’enregistrement EPA 7124-101, approuvé en 2007) et le DuPont Kocide 3000 (numéro d’enregistrement EPA 352-662, approuvé en 2007)
- 8Cf Figure 1 de l’article cité ci-dessus
- 9Par exemple, demander aux fabricants d’actualiser le registre e-phy (catalogue des engrais et pesticides autorisés en agriculture consultable en ligne), en spécifiant avec le numéro d’autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque le produit contient des nanomatériaux et est donc concerné par la déclaration R-nano ; lorsqu’ensuite les distributeurs renseigneraient la base nationale de données sur les ventes Phytodata avec les codes postaux des agriculteurs acheteurs finaux, l’information sur les usages serait plus complète que dans le registre R-nano et ce, sans enregistrement supplémentaire. (Les codes postaux sont certes relativement imprécis pour géolocaliser des usages mais suffisants pour hiérarchiser et, le cas échéant, alléger la surveillance là où il n’y a pas d’enjeu ou l’augmenter en ciblant les pratiques « à risques » sur des territoires ou des groupes de population à prévenir). Plus largement, voir nos suggestions d’améliorations à apporter au dispositif R-nano.
- 10Cf. A comprehensive overview of nanotechnology in sustainable agriculture, Arora S et al., Journal of Biotechnology, 355 : 21-41, août 2022