
Il y a bien des nanos dans des phytos… sans aucun encadrement !
L’agriculture figure parmi les principaux secteurs d’utilisation des nanos déclarées dans le registre r-nano. En 2016, l’ANSES a cherché à en savoir plus et interrogé la filière phytopharmaceutique. Elle a mis ensuite plusieurs années à faire tester une trentaine de produits par le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE). Quatre ans après la finalisation de ces tests, elle vient – enfin ! – de dévoiler le résultat de ces investigations : 32 des 33 produits testés contiennent des particules de taille inférieure à 100 nm. L’avis de l’ANSES publié hier confirme ce que d’autres acteurs, dont AVICENN, demandent depuis des années : un changement de la réglementation afin de mieux identifier, évaluer et encadrer les nanos présentes dans les produits phytopharmaceutiques, que ce soit dans les substances actives ou les co-formulants.
A l’origine de l’enquête : l’agriculture en tête des secteurs d’utilisation déclarés dans r-nano
Depuis la création du registre français r-nano, l’agriculture arrivait en tête des secteurs d’utilisation des substances à l’état nanoparticulaire déclarées dans le registre r-nano. Plusieurs milliers de déclarations chaque année : voilà qui, en plus des nombreuses publications sur les promesses des nanos dans le domaine agricole, exigeait que l’ANSES y regarde de plus près…
En 2016, une enquête de l’ANSES par courrier
L’agence avait bien envoyé un courrier à près de 1000 entreprises en 2016. Elle n’avait alors reçu qu’une centaine de réponses à l’époque, dont il ressortait qu’aucune substance active ne se présentait sous forme nanoparticulaire : selon les répondants, seuls leurs co-formulants étaient potentiellement nanos1 Sans néanmoins que les détenteurs d’autorisation de mise sur le marché en attestent formellement, tests à l’appui….
En 2020, 33 produits sous la loupe du LNE
Pour en avoir le cœur net – et sans que l’on comprenne pourquoi autant d’années auront été nécessaires, l’ANSES a fini par solliciter le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) pour tester une trentaine de produits phytopharmaceutiques et biocides afin de vérifier s’ils contenaient ou non des nanoparticules.
L’étude du LNE, fournie en annexe du rapport de l’ANSES, a été finalisée en janvier 2021 et a ensuite fait l’objet d’une longue… très longue analyse par l’ANSES. Il lui a fallu en effet plus de quatre ans (!) pour en publier les résultats, hier, sur son site internet. Les voici résumés ci-dessous :
Sur les 33 testés, 32 contiennent des nanos
Le rapport officiel rapporte qu’une ne vingtaine de produits phytopharmaceutiques a été testée pour identifier la présence de nanoparticules, ainsi qu’une dizaine de produits biocides.
→ Il s’agit donc d’un échantillonnage de produits pour une étude exploratoire, et non pas d’une analyse exhaustive de l’ensemble des produits phytopharmaceutiques et biocides commercialisés. Ces résultats permettent néanmoins d’améliorer les connaissances sur le sujet en vérifiant très concrètement ce qui jusqu’à présent ne reposait que sur du déclaratif – avec une présomption de « sur-déclaration » par les entreprises produisant ou distribuant des pesticides2Cf. les propos de Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée chargée du pôle « produits réglementés » de l’Anses, rapportés dans Actu Environnement en mars 2024, relatant un phénomène de « surdéclaration » ces dernières années, « par anticipation [en l’absence de réglementation ou de restriction des règles déclaratives, NDLR] ou par excès »..
A l’exception d’un produit biocide, tous les produits testés contiennent des nanoparticules : argile – kaolin / silice (agents de charge) ; silicate de magnésium et d’aluminium (fibres de sépiolite/halloysite, agents de charge également) / dioxyde de titane (colorant) / cuivre (substance active)…
Si la proportion de nanoparticules est variable en fonction du type de produits et de leurs compositions, ces résultats confirment le besoin urgent de se pencher sérieusement sur le sujet.
[Ne cherchez pas le nom des dits produits : ils ne figurent pas dans le rapport de l’ANSES et ont été caviardés dans le rapport du LNE en annexe].
Une « incertitude forte » sur les expositions et les dangers liés à ces nanoparticules
L’ANSES souligne que les résultats obtenus ne sont pas extrapolables aux résidus de ces produits pendant et après application : lors de la pulvérisation et une fois sur les plantes et dans l’environnement, les substances peuvent être soumises à différents phénomènes (chaleur, dilution, notamment par l’impact des précipitations, évaporation) susceptibles de modifier la forme des particules. Par conséquent, « il existe une incertitude forte sur la connaissance des expositions des personnes et des écosystèmes et des dangers liés à ces nanoparticules. »
Quelles mesures de protection des travailleurs ?
L’ANSES rappelle les mesures de prévention susceptibles de diminuer l’exposition des opérateurs/utilisateurs lors de la mise en œuvre des produits :
– des mesures de protection collective (ventilation des locaux)
– et de protection individuelle (appareil de protection respiratoire, vêtements de protection contre le risque chimique, combinaison à capuche jetable avec serrage au cou, aux poignets et aux chevilles, dépourvue de plus ou de revers, double paire de gants en butyle, en vinyle ou en nitrile, couvre-chaussures, etc.
L’ANSES préconise un encadrement spécifique des nanos dans la réglementation des phytos
Alors que le règlement n°528/2012 sur les produits biocides (qui ne concerne pas les pesticides ni les engrais) contient des dispositions spécifiques pour les nanomatériaux, le règlement n°1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques n’en contient aucune.
→ L’ANSES recommande donc de réduire le plus possible les nanoparticules susceptibles d’être présentes dans les produits phytopharmaceutiques – qu’il s »agisse des substances actives comme des co-formulants. Et rajoute : « réduire au minimum l’exposition à la source est une démarche pertinente en raison de la forte incertitude sur les niveaux expositions aux nanoparticules et de la complexité des méthodologies d’évaluation des risques en particulier pour l’environnement ».
L’ANSES plaidera auprès de la Commission européenne, des Etats membres, de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) et de l’agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) le fait d’intégrer dans les exigences des essais à soumettre dans le cadre de la réglementation sur les substances et produits phytopharmaceutiques, les méthodes recommandées dans la réglementation en vigueur sur les substances chimiques (règlement REACH)3Voir notre fiche Quel encadrement des nanomatériaux par REACH ?.
Réactions des ONG
AVICENN, qui avait obtenu de l’ECHA la réalisation du rapport Innovamol « Collection and review of information on nanomaterial-based and nanoenabled plant protection products, biocidal products and fertilising products » publié en novembre dernier, se félicite de voir converger les recommandations de l’ANSES et des chercheurs ayant travaillé sur le sujet… même si nous peinons à comprendre pourquoi la sortie de ce rapport a pris tant de temps4Nous avons demandé à plusieurs reprises à l’ANSES, lors du comité de dialogue « nanomatériaux et santé » auquel nous participons, pourquoi les résultats n’étaient pas encore publiés… sans jamais recevoir de réponse sur ce point..
Notre association a aussi recueilli les réactions des ONG qui, parmi ses adhérents, sont mobilisées sur la question des pesticides en France. Ces dernières soutiennent aussi les préconisations de l’ANSES :
– Nadine Lauverjat, de Générations futures, salue « cette avancée importante », mais voit aussi dans les résultats publiés « un signal d’alarme : tant que les exigences réglementaires ne portent pas sur les substances actives et co-formulants avant formulation, la détection des nanoparticules restera partielle, les risques mal évalués, et la protection insuffisante« . Elle demande « l’application du principe de précaution : la réduction à la source de l’exposition aux nanoparticules doit devenir la norme, non l’exception ».
– Stéphen Kerchove, d’Agir pour l’Environnement, juge également indispensable de « revoir les procédures d’autorisation de mise sur le marché : à l’heure actuelle, les procédures font l’impasse sur les effets inévitables des nanoparticules sur l’environnement et la santé ».
AVICENN va solliciter les éclairages d’autres acteurs travaillant sur les nanomatériaux et/ou sur les pesticides et engrais et participera à la prochaine réunion du comité de dialogue « nanomatériaux et santé » de l’ANSES où le rapport sera présenté, le 27 juin prochain.
A suivre donc…

Les dernières actus nano
Les prochains RDV nano

- Wébinaire citoyen à destination du grand public et de la communauté universitaire.
- Organisateur : Département de recherche Droit & transformations sociales (DETS) de l’Université de Bordeaux
- Intervenants :
- Marion Tissier-Raffin, maitre de conférence en droit public, Centre de recherche et de documentation européennes et internationales CRDEI, Université de Bordeaux
- Mathilde Detcheverry, Déléguée générale, Association AVICENN – Veillenanos
- Didier Morin, professeur des universités en Neurosciences, UMR CNRS INCIA, Université de Bordeaux
- Site internet : https://dets.u-bordeaux.fr/animation-scientifique/webinaires-citoyens/saison-2024-2025

- 5ème Joint Symposium on Nanotechnology
- Organisateurs: the Fraunhofer Nanotechnology Network, en partenariat avec l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR)
- Dates : 13-14 mai 2025
- Au programme :
- l’application de la nanotechnologie dans divers secteurs, notamment la numérisation, l’impression 2D/3D, les matériaux à base de carbone et les matériaux de batterie
- les nanos dans les réglementations européenne (REACh, matériaux en contact avec les aliments, cosmétiques, bioagents, PPP)
- adaptation et développement des lignes directrices de l’OCDE pour les tests nano et les matériaux avancés (Initiative de Malte)
- examen des NAMs spécifiques aux nanomatériaux (méthodologies de nouvelles approches)
- quand on est nano et qu’on le sait : gérer l’incertitude concernant la définition des nanomatériaux dans les cadres réglementaires
- Site internet : www.isc.fraunhofer.de/…2025/5th-symposium-nanotechnology.html
- Formation de 4 jours sur :
- les différentes voies de pénétration des produits toxiques
- l’importance de la toxicocinétique pour prévenir la toxicité des substances,
- l’absorption, la distribution, la métabolisation et l’élimination des xénobiotiques
- la toxicité des nanoparticules
- Organisateur : Association Toxicologie Chimie (ATC)
- Date : 19-22 mai 2025
- Intervenants :
- Frédéric Gaidou (Ingénieur chimiste spécialisé en Toxicologie, Groupe ERAMET, Paris. Président ATC Paris)
- Sarah Dognin dit Cruissat (Docteure en pharmacie, nutritionniste, toxicochimiste, CALMEVA, Lyon)
- Jean-Dominique Puyt (Docteur vétérinaire, Professeur honoraire de l’École Vétérinaire, Nantes)
- Isabelle Malissin (Médecin, Hôpital Lariboisière, Paris)
- Marie-Chantal Canivenc-Lavier (Nutri-toxicologue, Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation INRA-Dijon)
- Nicole Proust (Ingénieure Recherche, Directeur de recherche honoraire du CNRS, Spécialiste Nanotechnologies, Arsenic, Ondes électromagnétiques, Palaiseau)
- Site internet : https://www.atctoxicologie.fr/notre-formation.html
Notes and references
- 1Sans néanmoins que les détenteurs d’autorisation de mise sur le marché en attestent formellement, tests à l’appui…
- 2Cf. les propos de Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée chargée du pôle « produits réglementés » de l’Anses, rapportés dans Actu Environnement en mars 2024, relatant un phénomène de « surdéclaration » ces dernières années, « par anticipation [en l’absence de réglementation ou de restriction des règles déclaratives, NDLR] ou par excès ».
- 3Voir notre fiche Quel encadrement des nanomatériaux par REACH ?
- 4Nous avons demandé à plusieurs reprises à l’ANSES, lors du comité de dialogue « nanomatériaux et santé » auquel nous participons, pourquoi les résultats n’étaient pas encore publiés… sans jamais recevoir de réponse sur ce point.