Définition des nanomatériaux dans l’alimentation : les députés européens ont dit non au projet de Commission
Lors de leur dernière session plénière à Strasbourg, les députés européens ont rejeté le projet de la Commission européenne visant à intégrer, dans la réglementation relative aux « nouveaux aliments », sa recommandation de définition du terme « nanomatériaux », critiquée notamment à cause de son taux de 50% trop élevé. Il est désormais invalidé.
A peine adoptée, la nouvelle définition de la Commission vient d’être enterrée
Ce mercredi 24 avril, le Parlement européen, réuni en plénière à Strasbourg, a rejeté à plus de 62% des voix la définition du terme « nanomatériau » que la Commission européenne aurait voulu inscrire dans la législation alimentaire européenne. Plus précisément, les députés européens ont voté une résolution rejetant l’acte délégué adopté par la Commission européenne 14 mars dernier, qui visait à intégrer, dans le règlement relatif aux nouveau aliments, la recommandation de définition du terme « nanomatériau » publiée par la Commission en 2022, afin de remplacer la définition actuelle1Contenue dans le Règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil relatif aux nouveaux aliments du 25 novembre 2015, la définition actuelle d’un nanomatériau est la suivante : « matériau produit intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, ou composé de parties fonctionnelles distinctes, soit internes, soit à la surface, dont beaucoup ont une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, y compris des structures, des agglomérats ou des agrégats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm mais qui conservent des propriétés typiques de la nanoéchelle« . Le Parlement a ainsi fait valoir la possibilité dont il dispose (au même titre que le Conseil) de déposer une objection aux actes délégués de la Commission, dans les deux mois suivant leur publication.
Il y a dix ans, le Parlement européen avait déjà rejeté un projet similaire
En mars 2014 déjà, le Parlement européen avait déjà voté une résolution rejetant un acte délégué comportant une définition très similaire (comportant notamment un seuil minimal de 50% en nombre de particules inférieures à 100 nm) car il avait jugé que cette dernière ne permettait pas de « garantir un niveau élevé de protection de la santé des consommateurs et de leurs intérêts ».
Dans le même texte, le Parlement avait également demandé à la Commission de soumettre un nouvel acte délégué qui tienne compte de sa position. Et pourtant, la nouvelle proposition soumise par la Commission il y a un peu plus d’un mois en réponse à cette requête ressemblait très fortement, à quelques exceptions près, à la définition rejetée par le Parlement il y a dix ans, avec notamment le même seuil de 50%.
La définition proposée et son seuil de 50% avaient été critiqués – en vain jusqu’alors
Le vote de mercredi donne donc un sérieux coup d’arrêt au projet de la Commission européenne, à l’issue d’un long processus lors duquel la Commission s’était montrée sourde aux arguments avancés par les autorités sanitaires et les associations : elle n’avait en effet pas pris en compte les arguments de nombreuses organisations postés lors des consultations publiques de 2021 et 2023/2024.
Le but poursuivi par la Commission européenne depuis sa première recommandation de définition de 2011 a toujours été d’imposer une définition avec un seuil de 50%, non seulement dans le règlement REACH et le règlement biocides – où ce chiffre a été introduit, mais aussi dans les règlements sur les nouveaux aliments et sur les cosmétiques, dans lesquels les députés n’ont pas inclus de seuil minimal de particules sous la barre des 100 nm.
Les autorités françaises, en phase avec la volonté des députés européens de protéger la santé et l’information des consommateurs, ont appliqué une « tolérance » de 10% dans les contrôles de l’étiquetage [nano] dans l’alimentation comme dans les cosmétiques. Ce taux, plus protecteur que le taux de 50%, évite que des substances comportant par exemple ~49% de nanoparticules ne soient pas considérées ni étiquetées comme « nano ». De son côté, la Commission européenne n’a jamais jugé bon de justifier pourquoi le seuil de 50% était, selon elle, plus approprié2(si ce n’est en affirmant qu’en dessous de 50%, les nanoparticules ne sont pas majoritaires et que, par conséquent, l’ingrédient dont elles font partie n’est pas majoritairement un « nanomatériau »).
AVICENN avait répondu aux consultations3Cliquez ici pour voir notre contribution postée le 12 janvier 2024 sur le site de la Commission, ainsi que d’autres ONG, l’ANSES, les autorités françaises, etc. pour faire part de leurs inquiétudes et opposition au taux de 50% notamment, ainsi qu’à d’autres changements introduits par la Commission en 2022 susceptibles de porter atteinte à l’information et la santé des consommateurs. Etonnamment, le rapport très documenté de l’ANSES publié l’année dernière à ce sujet a été complètement passé sous silence par la Commission européenne, qui n’a jamais fait une seule référence à ce rapport – ni dans le document soumis à consultation fin 2023, ni dans l’acte délégué qu’elle a publié à la mi-mars 2024.
Les députés européens ont défendu l’information des consommateurs
Le 18 avril lors d’un premier vote en commission ENVI, puis le 24 avril lors de la dernière plénière de l’actuelle mandature, les député·es européen·nes ont largement voté – dans une proportion de plus de deux contre un – une résolution rejetant l’acte délégué de la Commission européenne avec la nouvelle définition. Cette résolution transpartisane a été préparée par Jutta Paulus (Les Verts, ALE), Christel Schaldemose (S&D), Sirpa Pietikäinen (PPE), Frédérique Ries (RENEW) et (Anja Hazekamp, The Left).
Ce vote a obtenu le soutien de foodwatch, du BEUC et d’AVICENN qui partagent, avec l’ANSES et les autorités françaises notamment, le souci de voir protégée l’obligation d’étiquetage [nano] demandée à 87% par les Européens. Avec le taux de 10%, la France a montré l’exemple et devrait être suivie. Juste après le vote, le BEUC a notamment rappelé sur twitter que « les Etats membres doivent mieux faire respecter les règles actuelles en matière d’étiquetage des nano-aliments ».
Quant aux entreprises qui sont tentées de « se cacher dernière le caractère parfois non intentionnel de la présence des nanomatériaux dans l’alimentation » (comme l’a mentionné Bruno Gautrais de la Commission européenne lors de son intervention en commission ENVI le 18 avril), le BEUC a prévenu : elles « peuvent compter sur les associations de consommateurs pour tester les produits à la recherche de nanoparticules non déclarées ».
→ Liens utiles :
– Fiche de procédure (sur le site du Parlement européen)
– Informations sur l’acte délégué rejeté (sur le site de la Commission)
– Page sur les nanomatériaux dans l’alimentation (sur le site de la Commission)
– Nos précédents articles traitant de cette question de la définition des « nanomatériaux » au niveau européen
Nos autres actus sur le sujet
Les prochains RDV nano
- 13tème conférence internationale sur les Nanostructures, Nanomatériaux et Nanoengineering (ICNNN 2024).
- Du 6 au 8 novembre 2024
- Organisateur: The Science and Engineering Institute (SCIEI)
- Site internet : https://icnnn.org
- Conférence rassemblant des experts autour de sujets de nanotoxicologie, d’organes sur puce, de chimio-informatique, de santé publique et d’environnement
- Du 6 au 8 novembre 2024
- Organisateur : International Iberian Nanotechnology Laboratory (INL)
- Site internet: www.sinfoniaproject.com/events
- 17ème réunion du comité de dialogue « nano et santé »
- Organisateur : ANSES
Notes and references
- 1Contenue dans le Règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil relatif aux nouveaux aliments du 25 novembre 2015, la définition actuelle d’un nanomatériau est la suivante : « matériau produit intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, ou composé de parties fonctionnelles distinctes, soit internes, soit à la surface, dont beaucoup ont une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, y compris des structures, des agglomérats ou des agrégats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm mais qui conservent des propriétés typiques de la nanoéchelle«
- 2(si ce n’est en affirmant qu’en dessous de 50%, les nanoparticules ne sont pas majoritaires et que, par conséquent, l’ingrédient dont elles font partie n’est pas majoritairement un « nanomatériau »)
- 3Cliquez ici pour voir notre contribution postée le 12 janvier 2024 sur le site de la Commission