Vers une nouvelle définition nano dans le futur Règlement Cosmétiques… oui mais laquelle ?

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Quelle définition du terme « nanomatériau » dans le futur Règlement Cosmétiques ?

Le Règlement européen sur les cosmétiques, en vigueur depuis 2009, est actuellement en cours de révision. L’un des objectifs de cette révision est d’améliorer le texte afin d’ “assurer la santé humaine et le fonctionnement du marché intérieur”’, et ce, en cohérence notamment avec la stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques publiée en 2020 et le Plan d’action Zéro pollution de l’Union européenne adopté en 2021. La Commission européenne, qui avait déjà organisé une consultation écrite entre mars et juin derniers, a réuni les parties prenantes le 28 juin lors d’un atelier d’échange (organisé à la fois en présentiel à Bruxelles et en ligne) ayant pour but de récolter d’éventuelles contributions et opinions de la part des industriels, des États membres et des ONG. 

La définition des nanomatériaux figurait parmi les cinq sujets à l’ordre du jour, identifiés comme les problèmes principaux à régler dans le futur règlement. AVICENN a participé, en visio, à la réunion animée par Hans Ingels, chef d’unité à la Direction générale du marché intérieur (DG Grow) de la Commission européenne, épaulé par un cabinet de conseil Ricardo.

Harmoniser les définitions : un objectif en soi ?

L’un des problèmes majeurs du Règlement Cosmétiques actuel – et auquel la révision en cours propose de remédier, est la coexistence de différentes définitions du terme “nanomatériau” dans les textes européens. La définition du terme “nanomatériau” est en effet différente selon les secteurs : celle du Règlement cosmétiques* est différente de celle du Règlement qui encadre les nanos dans l’alimentation par exemple, laquelle est aussi différente de celle du Règlement biocides.

Les fabricants de la chimie dénoncent depuis longtemps cette hétérogénéité des définitions, qu’ils accusent d’être  source de confusion et de complexité : les chaînes d’approvisionnement et de transformation étant parfois longues, certains fabricants disent ignorer, au moins partiellement, les utilisations finales des substances (nano ou non) qu’ils vendent, en particulier à des entreprises intermédiaires qui les mélangent ou transforment avant de les vendre ensuite, à leur tour, à d’autres entreprises. Une même substance donnée peut en effet être utilisée dans des secteurs très différents (interdit depuis peu dans l’alimentation, le dioxyde de titane est par exemple toujours très utilisé en peinture, dans les médicaments, dans les cosmétiques, etc.). Les fabricants peuvent dès lors avoir du mal à fournir la bonne information à leurs clients sur la qualification “nano”, ou non, des substances qu’ils commercialisent, puisque les critères d’étiquetage ou de déclaration (dans REACH, dans r-nano, dans le portail de notification des cosmétiques CPNP, etc.) ne sont pas les mêmes d’un secteur à l’autre (avec ou sans seuil dans la distribution de taille des particules, prise en compte ou non de la solubilité, etc.). 

* Pour rappel, la définition dans le Règlement Cosmétiques actuel est la suivante :

« un matériau insoluble ou bio-persistant, fabriqué intentionnellement et se caractérisant par une ou plusieurs dimensions externes, ou une structure interne, sur une échelle de 1 à 100 nm ».

Deux options différentes ont été présentées par un consultant de l’agence Ricardo :

  • la première option consisterait à remplacer  cette définition par la toute récente recommandation de définition de la Commission européenne (elle même adoptée en remplacement de la précédente version initiale de 2011) sans ajustements particuliers,  
  • la seconde option consisterait à copier-coller également cette recommandation de définition dans le futur Règlement Cosmétiques, mais en y ajoutant des adaptations spécifiques au secteur cosmétique permettant d’intégrer des matériaux présentant des caractéristiques de la nanoéchelle1“materials with features in the nanoscale”.

Plus que la cohérence et la sécurité juridiques, c’est la sécurité sanitaire qui doit prévaloir

Si aucun détail n’a été fourni quant aux modalités exactes d’adaptation, AVICENN est intervenue pour exprimer ses inquiétudes quant à l’option 1, car elle entraînerait la disparition du radar des autorités d’un grand nombre de nanoparticules manufacturées. En effet, l’inclusion d’un seuil fixe de 50%, exempterait d’étiquetage et de notification des milliers de cosmétiques contenant des nanoparticules potentiellement dangereuses pour les consommateurs. En février dernier déjà, AVICENN et 14 autres ONGs avaient interpellé la Commission européenne questionnant la légitimité scientifique de ce seuil. AVICENN a également fait part de son inquiétude quant à l’exclusion des nanocomposites de la nouvelle recommandation de définition : certaines marques pourraient l’utiliser pour échapper aux contraintes réglementaires au motif que leurs ingrédients sont des composés complexes, dans lesquels plusieurs substances sont présentes (par exemple des nanoparticules de dioxyde de titane enrobées de silice ou greffées sur des plaques de mica).

« Les autorités françaises ont utilisé un seuil de 10% jusqu’à présent et les personnes vivant dans les autres Etats membres devraient bénéficier du même niveau de protection. La cohérence et la sécurité juridiques ne devraient pas être utilisées pour imposer le seuil de 50% de la nouvelle recommandation, ni pour exclure les matériaux nanocomposites aux dépens de la  sécurité sanitaire, qui doit prévaloir. » – AVICENN

Les autorités françaises ont également défendu cette position lors de la réunion. Et bien que la question concernant la définition des nanomatériaux ait suscité moins de réactions de la part des parties prenantes, trois fédérations industrielles ont, pour leur part, exprimé leur soutien à une harmonisation sans adaptation de la définition : cette option 1 est en effet moins coûteuse et plus avantageuse pour l’industrie cosmétique, alors que l’option 2 aurait l’inconvénient, du point de vue de Cosmetics Europe, de rendre nécessaire la ré-évaluation par le Comité Scientifique européen pour la Sécurité des Consommateurs (CSSC) de très nombreux colorants utilisés en cosmétiques. Ces derniers comportent en effet quasiment tous une fraction plus ou moins importante de nanoparticules – souvent comprise entre 10 et 50%. A noter : dans la mesure où la définition actuelle du Règlement Cosmétiques ne comporte pas de seuil, ces colorants ne sont déjà pas autorisés actuellement, même s’ils sont en fait très largement présents dans nos cosmétiques.

L’harmonisation des définitions ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des consommateurs. Les problèmes liés à la coexistence de différentes définitions est un problème qui concerne finalement principalement les fournisseurs d’ingrédients. En effet, lorsque la caractérisation des substances est faite de manière complète et adéquate en amont et transmise correctement aux acteurs en aval, ces derniers peuvent appliquer la définition appropriée à leur secteur et appliquer les mesures qui s’imposent : étiquetage et notification(s), le cas échéant. 

A quoi s’attendre dans les prochains mois ?  

Une fois la procédure d’évaluation de l’impact2(“impact assessment”) finalisée, la Commission européenne va soumettre un projet de révision du Règlement Cosmétiques courant septembre au “Comité d’examen de la réglementation”, avant une présentation au Conseil et au Parlement, pour une adoption prévue en 2024, suivie d’une période de transition d’un à deux ans – soit une entrée en vigueur en 2025-2026. 

Le suspense reste donc entier aujourd’hui sur l’issue de ce processus :

  • si l’option 1 est finalement celle retenue par la Commission, des mesures de gestion devront être introduites afin de minimiser les risques sanitaires pour les consommateurs concernant les matériaux “présentant des propriétés de la nano-échelle” mais non couverts par la recommandation de définition
  • si c’est l’option 2 qui venait à être choisie, la nature et le nombre des adaptations apportées sont encore extrêmement floues à ce stade, aucune piste n’ayant été présentée ce 28 juin.

A suivre donc !

Les prochains RDV nano

5
Oct.
2025
Ecole thématique NaMasTE (CNRS, île d’Oléron – France)
Ile d'Oléron
Formation
  • Ecole thématique du Groupement de recherche NaMasTE (Nanomatériaux Manufacturés, Toxicologie, Écotoxicologie et Risques : vers un développement maitrisé)
  • Public : ingénieurs, chercheurs (contractuels et permanents), doctorants, industriels et membres d’associations travaillant sur les nanomatériaux
  • Au programme : physico-chimie, biologie, et sciences environnementales nécessaires pour appréhender les aspects clefs liés au développement maitrisé des nanomatériaux.
    → approches de Safer-by-design, qui intègrent l’analyse de la production, la caractérisation des propriétés, le devenir, et les impacts (bénéfiques ou néfastes) des nanomatériaux et des produits qui les contiennent tout au long de leur cycle de vie
  • Dates : 5 au 10 octobre 2025
  • Organisateur : CNRS
  • Site internet : https://namaste.sciencesconf.org
6
Oct.
2025
Caractériser et prévenir les risques liés aux nanomatériaux manufacturés et particules ultrafines (INRS, Vandœuvre-Lès-Nancy – France)
Nancy
Formation
  • Formation destinée aux médecins du travail, intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), préventeurs d’entreprise, agents des services prévention des Carsat, Cramif et CGSS, préventeurs institutionnels (Dreets, Dreal, MSA…)
  • Organisateur : Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
  • Du 6 au 10 octobre 2025
  • Site internet : www.inrs.fr/…/formation/…JA1030_2025
6
Oct.
2025
Intégrité scientifique, manipulation de l’information scientifique, stratégies d’influence des industries et protection des lanceurs d’alerte (Université Paris Cité, Paris – France)
Paris
Conférence
santé
conflits d'intérêts
information
recherche
risques
santé
sciences et société
  • 15h – Conférence d’Irène Frachon sur son combat pour révéler les dangers du médiator, les difficultés rencontrées par les lanceurs d’alerte face aux pressions institutionnelles et industrielles, mais aussi l’importance de leur rôle dans la défense de la santé publique.
  • 16h – Table ronde sur la manipulation de l’information scientifique et la défense des lanceurs d’alerte animée par Raphaël Lévy (professeur de physique à l’université Sorbonne Paris Nord, spécialiste des nanoparticules et de leurs utilisations en biologie, coordinateur du projet ERC NanoBubbles dédié à la recherche sur les mécanismes de correction de la science), avec :
    • Maud Bernisson, post-doctorante au LISIS (CNRS), membre du projet ERC NanoBubbles, sur les mécanismes d’influence des entreprises pharmaceutiques dans le champ scientifique
    • Marc Samama, professeur, anesthésiste-réanimateur, co-président de la Commission des blocs et plateaux techniques de la CME de l’AP-HP, past Editor-in-Chief de l’European Journal of Anaesthesiology, directeur de l’Office de l’Intégrité Scientifique de l’AP-HP
    • Solène Lellinger, maîtresse de conférences en Histoire et philosophie de la santé à l’université Paris Cité, spécialisée sur la socio-histoire du médicament et son intersection avec les pratiques médicales, et en particulier les modes de production des connaissances et informations concernant le médicament.
    • Cécile Barrois de Sarigny, adjointe à la Défenseure des Droits, chargée de la protection des lanceurs d’alerte.
  • Avec le soutien du projet ERC Synergy NanoBubbles
  • Site internet : https://u-paris.fr/sante/irene-frachon-a-paris-une-conference-et-une-table-ronde-sur-lintegrite-scientifique

Notes and references

  • 1
    “materials with features in the nanoscale”
  • 2
    (“impact assessment”)