Hausse des nanos « made in France », artefact ou vraie tendance ?
Le rapport officiel présentant les données collectées sur le portail r-nano en 2022 est enfin en ligne. On y apprend que la production française de nanos a retrouvé en 2021 son niveau d’avant COVID, tandis que les importations ont continué de baisser. Le rapport de 2023, toujours attendu, devrait confirmer ou infirmer cette évolution potentiellement liée au COVID et donc sujette à caution. Pour le reste, les données sont relativement stables ; l’agriculture reste notamment le principal secteur d’utilisation des nanos, devant les cosmétiques et la construction. Avis aux entreprises et laboratoires : la date limite pour la déclaration 2024 est le 30 avril prochain.
Des chiffres attendus depuis plus d’un an
Un an après la publication simultanée des bilans 2020 et 2021, le bilan 2022 de la déclaration obligatoire des nanomatériaux dans le registre r-nano a été publié sur le site du Ministère de l’écologie et sur le site de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), avec plus d’un an de retard1Le Code de l’environnement exige la mise à disposition du public de ces données au plus tard six mois après la date limite de déclaration par les industriels, en l’occurrence fixée au 1er mai. Le bilan 2022 aurait dû être publié en janvier 2023 (la période de déclaration ayant été rallongée jusqu’au 30 juin 2022). Les données du bilan 2022 portent sur les substances à l’état nanoparticulaire importées, fabriquées ou distribuées en France en 2021. Comme attendu, il est plus précis et plus fourni que les précédents (avec ses 1 015 pages, il est deux fois plus long que les versions antérieures), grâce aux améliorations apportées l’année dernière au formulaire et au système d’information.
La barre des 300 000 tonnes de nanos en France de nouveau atteinte
307 301 tonnes au total, c’est le volume global des nanos déclarées en 2022 pour l’année 2021. Ce chiffre, bien qu’il soit l’un des plus importants pour qui s’intéresse à la question des nanos en France, n’est malheureusement pas dans le rapport : il faut attendre l’annexe 1, à la page 78, pour le trouver2Même les adeptes du calcul mental ou les as de la calculatrice doivent attendre la page 68 pour trouver les chiffres qui permettent, en les additionnant, de trouver le résultat. Ainsi, en France, pour 2021 :
– la quantité totale des nanos produits a été de 236 548 tonnes, soit une hausse de 18,7% par rapport à 2020 ;
– a quantité totale des nanos nanos importés a été de 70 723 tonnes, soit une baisse de près de 19% par rapport à 2020.
Alors que le volume global était tombé, l’année d’avant, à 285 560 tonnes seulement du fait de la crise sanitaire liée au Covid-19, le volume global est repassé au-dessus des 300 000 tonnes, avec plus de 3/4 des nanos déclarés produits en France et moins d’1/4 importés. Le rattrapage des niveaux de production ne doit cependant pas masquer le décrochage des importations par rapport aux tonnages d’avant-crise. A voir si les chiffres du bilan 2023 confirmeront ou non cette tendance peut-être liée aux suites du Covid-19.
Peu de changement concernant les principales substances déclarées
Le marché des nanomatériaux en France a confirmé sa stabilité par rapport aux années passées :
- 1175 entreprises et laboratoires situés en France3(il s’agit, comme l’année précédente, à plus de 90%, de distributeurs) ont ainsi rempli au moins une déclaration en 2022 (contre 1203 en 2021, soit une très légère diminution de 2%) ; le nombre d’entités étrangères déclarantes est très stable (de l’ordre de 80 comme l’année précédente).
- Un peu plus de 10 700 déclarations ont été soumises au total en 2022 (contre près de 10 600 déclarations remplies par 1203), dont 10 127 exploitées dans le bilan.
- 215 catégories de substances chimiques (CAS) ont été répertoriées.
Les substances les plus produites et/ou importées en 2021 restent identiques, avec quelques variations dans l’ordre du palmarès (mais qui restent difficiles à apprécier car les volumes ne sont pas quantifiés précisément, mais présentés par bande de tonnage).
→ Arrivent ainsi en tête, en quantités supérieures à 10 000 tonnes : 1 – le noir de carbone ; 2 – la silice ; 3 – le dioxyde de titane.
Suivent ensuite, dans l’ordre et dans une quantité comprise entre 1000 et 10 000 tonnes : le carbonate de calcium, le chlorure de vinylidene, l’oxyde d’aluminium, le dioxyde de cérium mélangé au dioxyde de zirconium, un pigment rouge et le silicate de magnésium.
Les autres substances déclarées représentent des tonnages inférieurs à 1000 tonnes.
A noter : une fois encore, moins de 100 kg de nanoargent ont été déclarés au registre r-nano malgré une forte présence supposée dans quantité de produits. Ce très faible volume déclaré met une fois de plus en évidence les limites de la déclaration obligatoire qui ne porte que sur les substances nanos produites ou importées en France… Quid des substances nanos contenues dans les produits finis importés en France ? Autrement dit, le nanoargent présent dans les chaussettes “anti-odeur” importées en France (de pays d’Asie par exemple, friands de nanoargent) n’est pas couvert pas l’obligation de déclaration et donc pas présent dans le registre r-nano, alors qu’il se retrouve dans les eaux usées françaises après lavage. Pour rappel, l’Anses avait pointé, dès 20104Cf. Évaluation des risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et pour l’environnement, Afsset (aujourd’hui ANSES), mars 2010, les risques liés au relargage des nanoparticules d’argent lors du lavage des textiles qui en contiennent car il entraîne des effets délétères sur la faune aquatique.
L’agriculture principal secteur d’utilisation des nanos, devant les cosmétiques et la construction
Comme les années précédentes, l’agriculture figure toujours en tête des secteurs d’utilisation les plus déclarés5en nombre de déclarations en 2022.
Les catégories de produits les plus déclarées sont :
1 – les produits phytopharmaceutiques*,
2 – les cosmétiques et produits de soins personnels,
3 – les revêtements et peintures, solvants, diluants,
4 – « autres »
5 – les encres et toners
6 – les biocides (désinfectants, insecticides)
* La nature et la quantité de nanos utilisés pour l’agriculture restent floues : il peut s’agir en effet de pesticides, d’engrais, de semences agricoles mais aussi d’alimentation animale et de médicaments vétérinaires.
Dans un article d’Actu Environnement publié le 7 mars dernier, l’ANSES mentionne des travaux en cours sur des échantillons de nanoproduits afin d’avoir « une idée de leur nature, de leur utilisation possible et des risques qu’ils présentent spécifiquement sous cette forme”. Ces travaux, attendus depuis 2018, devaient être présentés début 2023 mais, malgré les demandes répétées d’AVICENN, aucune information n’a encore été fournie par l’agence. Pourtant, l’utilisation de ces produits, souvent pulvérisés6La « pulvérisation en dehors d’installations industrielles » est la première catégorie de processus en nombre de déclarations, cf. pages 51 à 53 du bilan r-nano 2022, conduit inévitablement à des disséminations de nanos dans l’environnement, sans information du public – ni des agriculteurs et riverains exposés.
Dans le même article, un phénomène de « surdéclaration » des nanos dans les produits phytosanitaires est évoqué, ce qui pourrait être rassurant. Ce point mériterait cependant d’être davantage étayé, à la hauteur des promesses comme des risques qui entourent l’utilisation de nanos en agriculture.
Des pistes d’amélioration présentées d’ici la fin de l’année
Initialement attendus pour 2023, les résultats des travaux visant à favoriser la robustesse et l’exploitation des données du registre r-nano ont été repoussés à début… puis fin 2024.
Le groupe de travail mis en place par l’Anses à cette fin a mené des auditions ces derniers mois et va procéder désormais à une synthèse et formalisation de recommandations.
En attendant leur publication, le chapitre 5 du rapport pointe quelques éléments importants, parmi lesquels :
- l’amélioration des descripteurs d’usage, nécessaire pour permettre de mieux cerner les utilisations des nanos en France
- l’amélioration des données déclarées par les fournisseurs étrangers, trop souvent incomplètes (pour rappel, ils ne sont pas concernés par l’obligation de déclaration) : la mauvaise qualité des données déclarées en amont de la chaîne de distribution nuit à celle dont disposent les acteurs en aval.
→ Les entreprises françaises qui importent des substances de l’étranger, sans assurance quant à la qualité de leur caractérisation physico-chimique, comme l’ANSES et plus largement les autorités françaises, sont tributaires des informations fournies (ou non) par les fournisseurs. Elles n’ont, en l’état actuel des choses, qu’une seule possibilité en cas de données manquantes ou douteuses : réaliser des tests pour contrôler la granulométrie des substances concernées.
Les souhaits d’AVICENN
Depuis des années, AVICENN appelle de ses vœux des mesures plus ambitieuses :
- Inclure dans le registre r-nano les produits dans lesquels se trouvent les nanos déclarés et mettre à disposition du public l’information sur ces produits ainsi que les volumes précis par secteur d’utilisation (agriculture, peintures, cosmétiques, alimentation, etc.). Ces informations sont aujourd’hui indisponibles7Dans le bilan 2022, les tonnages des secteurs d’activité (NACE) sont bien précisés (pages 43 et 44), mais pas ceux des secteurs d’utilisation (SU), pour lesquels ne sont présentés, pages 45 à 47, que les occurrences (i.e le nombre de déclarations), qui ne reflètent pas nécessairement le tonnage concerné, alors qu’elles permettraient de se faire une meilleure représentation des utilisations réelles de nanos, de mieux orienter les travaux d’évaluation des risques qui y sont associés et de minimiser les potentielles expositions involontaires et les contaminations environnementales qui découlent de leur utilisation.
- L’accès aux données du registre R-nano doit encore être élargi afin que tous les organismes et chercheurs travaillant sur l’évaluation et la prévention des risques nanos puissent également avoir la possibilité d’accéder aux données du registre, ainsi que demandé depuis des années par AVICENN et le Haut conseil à la santé publique (HCSP)8Cf. Bilan des connaissances relatives aux effets des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO 2) sur la santé humaine ; caractérisation de l’exposition des populations et mesures de gestion, HCSP, avril 2018 notamment. Le HCSP a obtenu ce droit l’année dernière9Cf. Décret n° 2023-196 du 22 mars 2023 relatif à la mise à disposition des informations obtenues en application des articles L. 523-1 et L. 523-2 du code de l’environnement, conformément à ce qui avait été acté dans l’action 13 du PNSE 4, mais le registre r-nano est encore beaucoup trop restreint : au niveau de la recherche, ni l’INSERM, ni le CNRS, ni l’INRAé, ni le CEA n’y ont accès par exemple, sans parler des médecins et autres acteurs de la prévention, et encore moins des riverains, associations de défense de l’environnement ou des consommateurs, syndicats ou AVICENN…
A l’inverse, les demandes de confidentialité ont augmenté, avec 157 déclarations pour lesquelles au moins une demande de confidentialité a été déposée en 2021 (près de 80 demandes portant sur les usages des nanos déclarés et près de 65 demandes portant sur les noms des substances chimiques sous forme nano – soit cinq fois plus qu’au moment de l’entrée en vigueur de r-nano). Combien ont été acceptées ? Le rapport ne le dit pas.
- Les travailleurs exposés aux nanos déclarés devraient être automatiquement inscrits dans le dispositif EpiNano de suivi épidémiologique des travailleurs exposés aux nanomatériaux : depuis dix ans, la constitution de la cohorte est à la peine faute de chefs d’entreprises disposés à jouer le jeu… car le dispositif n’est pas contraignant, mais basé sur le seul volontariat des entreprises !
Et maintenant ?
Le bilan 2023, qui aurait dû être publié fin 2023, est en cours de finalisation à l’ANSES et sera publié après sa validation par le ministère de la transition écologique.
Concernant les déclarations 2024, les entreprises et laboratoires ont jusqu’au 30 avril 31 mai prochain pour les remplir sur le site dédié https://r-nano.fr géré par l’ANSES.
[NDLR : cet article a été modifié après le report de la date limité de déclaration du 30 avril au 31 mai].
Les autres actus sur le sujet
Les prochains RDV nano
- Formation destinée aux médecins du travail, intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), préventeurs d’entreprise, agents des services prévention des Carsat, Cramif et CGSS, préventeurs institutionnels (Dreets, Dreal, MSA…)
- Organisateur : Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
- Du 6 au 10 octobre 2025
- Site internet : www.inrs.fr/…/formation/…JA1030_2025
Notes and references
- 1Le Code de l’environnement exige la mise à disposition du public de ces données au plus tard six mois après la date limite de déclaration par les industriels, en l’occurrence fixée au 1er mai. Le bilan 2022 aurait dû être publié en janvier 2023 (la période de déclaration ayant été rallongée jusqu’au 30 juin 2022)
- 2Même les adeptes du calcul mental ou les as de la calculatrice doivent attendre la page 68 pour trouver les chiffres qui permettent, en les additionnant, de trouver le résultat
- 3(il s’agit, comme l’année précédente, à plus de 90%, de distributeurs)
- 4Cf. Évaluation des risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et pour l’environnement, Afsset (aujourd’hui ANSES), mars 2010
- 5en nombre de déclarations
- 6La « pulvérisation en dehors d’installations industrielles » est la première catégorie de processus en nombre de déclarations, cf. pages 51 à 53 du bilan r-nano 2022
- 7Dans le bilan 2022, les tonnages des secteurs d’activité (NACE) sont bien précisés (pages 43 et 44), mais pas ceux des secteurs d’utilisation (SU), pour lesquels ne sont présentés, pages 45 à 47, que les occurrences (i.e le nombre de déclarations), qui ne reflètent pas nécessairement le tonnage concerné
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